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Actualités - REPORTAGES

La police en héritage - Karim Sarkis, mon oncle, ce président Le chéhabisme, un acte de foi dans les institutions(photo)

Karim Sarkis ne vient pas d’une famille politique, au sens habituel du terme. Mais ses premiers souvenirs d’enfance remontent à l’époque où il passait ses week-ends au palais de Baabda, en compagnie de son oncle, l’ancien président de la République Élias Sarkis. Avocat de formation, il a décidé aujourd’hui de se lancer dans l’arène politique par le biais des prochaines élections législatives, non pas pour conserver une place «familiale», mais pour préserver un héritage moral, les principes d’un homme qui a été aux commandes du pays au cours de l’une des périodes les plus tourmentées de son histoire. À 30 ans, Karim Sarkis ne se sent pas pressé. Il est déterminé à se lancer dans la politique, pas vraiment par ambition personnelle, mais parce qu’il pense qu’on ne peut pas attendre indéfiniment un changement qui serait parachuté de l’extérieur. Ce jeune homme simple, ouvert, qui donne aussitôt à son interlocuteur le sentiment de le connaître depuis longtemps, sait qu’il se lance dans une arène où tous les coups sont permis et où il faut avoir les reins solides pour résister, mais c’est par respect pour la mémoire de son oncle, cet homme méconnu, qu’il veut tenter l’expérience. Il raconte d’ailleurs qu’à la mort du président Élias Sarkis, en 1985, le président Camille Chamoun n’avait pas pu se rendre aux obsèques. Il est venu l’année suivante assister à la messe du souvenir et il avait alors dit au frère du défunt, Philippe (le père de Karim) : «Nous avons été injustes envers le président Sarkis». Tous les week-ends à Baabda Karim avait six ans lorsque son oncle, Élias Sarkis, a été élu à la présidence de la République en 1976. Ce dernier étant célibataire, il a reporté sur ses trois neveux et plus particulièrement sur Karim, le cadet, toute son affection filiale. Avec son frère aîné, Joseph, Karim passait donc toutes les fins de semaine au palais, s’infiltrant dans les réunions et essayant autant que possible de s’imprégner de cette expérience hors du commun. «Je me souviens surtout des bombardements qui touchaient souvent le palais de plein fouet. Une fois, mon oncle prenait l’ascenseur direct qui mène de son bureau à sa chambre et deux obus ont explosé, visant l’un son bureau, l’autre sa chambre. Je me souviens aussi qu’on descendait très souvent en catastrophe dans les abris. Malgré cela, j’adorais venir à Baabda. J’attendais avec impatience la voiture qui m’y conduisait le vendredi en fin d’après-midi, pour me reprendre le lundi matin». Karim se rappelle aussi que chaque jour à 17h des personnalités, toujours les mêmes, arrivaient au palais pour des réunions quotidiennes de travail. Il s’agissait notamment de MM. René Moawad, Fouad Boutros, Michel Eddé, Michel Murr, Ahmed Hajj, Johnny Abdo… À l’époque, cela ne signifiait pas grand-chose pour lui. Il se contentait de guetter l’arrivée de Michel René Moawad (qui a trois ans de moins que lui) pour rester avec lui. En effet, après le massacre d’Ehden, en juin 1978, les Moawad qui habitaient alors Achrafieh se sont réfugiés au palais de Baabda, le temps de s’installer à Hazmieh. Selon Karim, son oncle lui a inculqué très tôt l’amour des institutions étatiques. «Il était issu de l’Administration et il y a toujours cru, même s’il n’a pas vraiment eu l’occasion de le montrer. S’il avait été élu à une autre époque, je suis sûr qu’il aurait mieux réussi». Lecture des journaux Le président Sarkis obligeait son neveu à lire chaque jour le journal. Et lorsqu’il voyait ce dernier, qui avait dix ans, ouvrir surtout la page sportive, il le reprenait sévèrement. «Mon oncle aimait la politique puisqu’il s’était présenté à deux reprises aux élections présidentielles, en 1970 et en 1976». Mais cela ne l’a pas empêché, en 1982, de refuser les propositions de prorogation de son mandat. Selon Karim, Béchir Gemayel lui-même lui avait proposé : «Si vous voulez que je renonce à présenter ma candidature, il faudra accepter de rester à Baabda pour un nouveau mandat». Plus tard, à la suite de l’assassinat de Béchir, les présidents du Conseil Saëb Salam, Takieddine Solh et Chafic Wazzan lui avaient demandé de rester à Baabda pour deux ans, au nom de la Rencontre islamique. De même, M. Claude Cheysson, alors ministre français des Affaires étrangères, lui avait transmis la même suggestion au nom des présidents Mitterrand et Reagan. «Mais mon oncle n’avait rien voulu entendre, d’abord parce qu’il était fatigué (il ne savait pas encore qu’il était atteint d’une maladie incurable et en attribuait les symptômes au surmenage) et ensuite parce qu’il ne voulait pas violer la Constitution». Le jeune homme raconte comment son oncle alors président avait demandé au Dr Sélim Hoss, qui était un de ses conseillers, de lui rédiger un rapport sur le CDR (Conseil de développement et de reconstruction). Selon lui, le Dr Hoss aspirait à l’époque à être nommé président de cet organisme et à la suite de ce rapport, le président Sarkis le nomme Premier ministre, à la grande surprise de Hoss lui-même… Aujourd’hui, Karim Sarkis revendique l’héritage chéhabiste de son oncle. Mais il est conscient que le chéhabisme n’est pas un parti ni un mouvement structuré. «Ce sont des principes, une ligne de conduite, basés sur la foi dans les institutions étatiques, le désir d’édifier un État central fort, le respect de la transparence et l’honnêteté dans les rapports avec les gens. Si l’on croit en ces principes, on est forcément chéhabiste. Dans ce sens, le président Lahoud l’est assurément». Comment explique-t-il le fait que son oncle qui croyait dans les institutions étatiques ait à la fin de son mandat pavé la voie présidentielle à Béchir Gemayel, issu d’une milice ? «Jusqu’en mai 1982, mon oncle essayait de promouvoir deux candidats, René Moawad et Michel Eddé. Mais à partir de juin, après l’invasion israélienne, Béchir Gemayel était devenu incontournable. Il était devenu une réalité sur le terrain et mon oncle a préféré l’absorber et le gagner à la cause de l’État, plutôt que de mener contre lui un combat perdu d’avance». Le célibat, une fatalité Selon lui, Sarkis a toujours préféré que le président de la République ne soit pas issu d’une grande famille ou d’un parti, afin que, dans l’exercice du pouvoir, il ne s’appuie que sur les institutions de l’État. Élias Sarkis est entré dans l’Administration publique en 1958 pour être élu à la tête de la République en 1976. Mais c’est un homme malade qui quitte le palais présidentiel en 1982. Dès lors, et jusqu’à sa mort, en 1985, il passera son temps entre la France et les États-Unis pour suivre un traitement médical destiné à calmer ses douleurs, non à le guérir. «À la fin, raconte Karim, il était incapable d’écrire. Et c’est moi qui rédigeait ses télégrammes ou ses lettres. J’ai passé beaucoup de temps avec lui à cette époque et j’estime en avoir retiré un immense bénéfice. Mon oncle m’a beaucoup appris». Pourquoi avoir choisi les prochaines législatives pour se lancer dans l’arène politique ? «J’estime que me lancer dans la politique est une manière de rendre hommage à mon oncle. Quant au timing, il est à la fois le fruit d’une maturité personnelle et d’une nouvelle conjoncture. Je me sens désormais plus sûr de moi et je crois beaucoup que le mandat du président Lahoud offre une réelle chance de changement…». Compte-t-il rester célibataire comme son oncle ? «Vous savez, cela semble être une fatalité dans notre famille. Des trois frères Sarkis, mon père est le seul à s’être marié, mes deux oncles n’ayant pas vraiment eu le temps de le faire. Notre famille est modeste et lorsque leur situation financière leur a permis de s’établir, ils étaient devenus trop vieux ou trop occupés. Moi-même, j’ai deux frères dont un seul est marié. Mais qui sait, la vie n’a pas dit son dernier mot…».
Karim Sarkis ne vient pas d’une famille politique, au sens habituel du terme. Mais ses premiers souvenirs d’enfance remontent à l’époque où il passait ses week-ends au palais de Baabda, en compagnie de son oncle, l’ancien président de la République Élias Sarkis. Avocat de formation, il a décidé aujourd’hui de se lancer dans l’arène politique par le biais des prochaines...