Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Antoine et Latifé Moultaka : le théâtre, c'est une vie(photo)

Il a une tête que l’on n’oublie pas... Celle d’un acteur de théâtre qui endosse si bien ses rôles qu’ils deviennent une seconde peau, une seconde nature. Elle ressemble à la femme de ce dernier, avec cette force tranquille qui réussit à maintenir le radeau de l’art et de l’amour en parfait équilibre. Antoine et Latifé Moultaka partagent ensemble une flamme intérieure, la passion du théâtre. Leur parcours est rare, divisé ou plutôt multiplié par deux. L’homme et la femme sont plantés au cœur d’un salon où règne un désordre d’artistes. Le décor est dressé depuis de longues années. Un piano, des fauteuils, des tableaux de peintres libanais, la plupart amis, et un masque sculpté par l’autre ami, Michel Basbous. Deux chats traversent les planches, figurants qui se frottent aux deux acteurs principaux dont la personnalité comble la pièce. La lumière, tamisée, crée une ambiance particulière, intime et accueillante. Rideau ! Les acteurs et leurs dialogues ouvrent la première scène, celle des souvenirs. Dialogues passionnés, quelquefois emportés, mais toujours complices. Quarante ans de vie commune, à se donner la réplique, quelles répétitions idéales pour ces deux acteurs! Même leurs silences se comprennent à demi-souffle. Antoine allume – encore – une cigarette et la dévore, sa main caressant une barbe indisciplinée, alliée des longues journées de réflexion. Sitôt brûlée, Latifé prend la relève, – encore – une cigarette au bout de ses lèvres souriantes. Incessant jeu de va-et-vient dans les gestes et dans les mots, secrète complémentarité de ces deux êtres qui se connaissent par et avec le cœur, au point de savoir à l’avance ce que l’autre, la moitié de l’un, dira. Acte I : Naissance d’une passion Sa première pièce, de Voltaire, Antoine, encore écolier, la montera et la présentera sur la place du village. Plus tard, le jeune Moultaka, étudiant en philosophie, apprend, grâce à son professeur Monsieur Robin, qu’il existait de nombreux auteurs dans la littérature mondiale. «En ce temps-là, on ne connaissait que Racine, Molière et Corneille». Il découvre donc par hasard un certain William Shakespeare. «En fait, c’est le cinéma qui m’a amené au théâtre, le mot cinéma». C’est là en effet, dans ces salles obscures et enchantantes, qu’il reçoit son premier choc artistique, durant la projection du film Macbeth, de Orson Welles. «Après avoir fait la connaissance de ce grand auteur qu’est Shakespeare, j’ai découvert les autres, espagnols, grecs, russes et allemands». Chaque année, il monte à l’université une nouvelle pièce, avant de toucher du doigt la cause de ses émois et adapter «son» Macbeth. Rien ne prédestinait cependant la charmante mademoiselle Chamoun aux planches de théâtre, mais beaucoup de signes semblaient la mener vers cet homme, clins d’œil d’un destin qu’elle a su saisir. Et d’abord, une même note récoltée sur les bancs de l’école. «Lorsque le père Ignace Maroun, confie-t-elle, alors recteur de l’école La Sagesse, me félicite, avec son “Bravo la mathématicienne!”, en ajoutant qu’un certain Antoine Moultaka avait la même note et… la même mèche rebelle que moi , il fallait que je le rencontre!». Premiers points communs et premier rendez-vous manqué, mais ce n’était que partie remise. Car trois ans plus tard, Latifé, alors étudiante en droit, décide, «pour ne pas perdre mon temps», d’enseigner dans une école de jeunes filles, séparée de l’école des garçons par une mythique petite église. Le hasard, qui a si bien fait les choses, a voulu que le directeur de cette école ne soit autre que… le jeune homme à la mèche rebelle. La directrice, Madame Odette, tient à faire les présentations. Le nom ne dit d’abord rien à Latifé, avant que ne se pose à elle la fatidique question : «A-t-il une mèche rebelle?», Les deux amoureux à la coiffure et à la passion similaires se retrouvent et se trouvent. «Après nous être aimés, nous nous sommes mariée en 1959, avec la bénédiction, quoi de plus normal, du père Ignace !». Cette même année, Antoine est chargé par Télé-Liban d’adapter Macbeth. Latifé, qui fut par ailleurs une des premières avocates libanaises, poursuit sa carrière juridique. «J’étais loin des bruits qui provenaient du salon, plongée dans mes dossiers. Subitement, j’ai senti que quelqu’un me regardait». Et Antoine de poursuivre : «Nous voulions une lady Macbeth, et le caractère de ma femme lui ressemblait parfaitement!», «avec ce qu’elle a de mauvais!», ajoute lady Moultaka. «J’ai commencé à jouer pour m’amuser. Et le virus est rentré en moi». Acte II : un couple mythique Latifé amorce donc un virage complet et s’en va rejoindre son époux dans l’univers profond et envoûtant du théâtre. Ensemble, ils construiront le fameux «Cercle du théâtre libanais», tables rondes d’intellectuels, amoureux de théâtre, initieront le Festival de Baalbeck et de Rachana, créeront le Théâtre d’Achrafieh, le Théâtre expérimental de Zokak el-Blatt et enfin celui de Maroun Naccache. Dans chacune de ces expériences, ils déposeront leur savoir et le rêve commun d’un théâtre vivant, nouveau, dynamique. Ensemble, ils auront également deux fils et une fille, autre fruit d’une union pleine d’amours communs. Gilbert, 39 ans, est docteur en physique théorique et chercheur au CNRS à Montpellier, Zad, 31 ans, est un artiste aux talents multiples. Pianiste, compositeur à plein temps et peintre à loisir, il a décroché le premier prix au Conservatoire national de Paris, enregistré un CD en 1997 et créé les décors d’un opéra de Mozart, Mithridate. Jihane, enfin, 27 ans, prépare une thèse en astrophysique. Ensemble, Latifé et Antoine ont été promus cette année chevaliers de l’Ordre du Cèdre. Ensemble enfin, ils diront, «le théâtre, c’est une vie», un jusqu’au boutisme qui poussera Antoine à déserter cette patrie du cœur, pour une «grève» qu’il a décrété au début de la guerre, une longue réflexion exceptionnellement interrompue pour la pièce Point à la ligne, en 1980 et La visite de la vieille dame en 1987. Latifé poursuit ses interrogations «sur le terrain». Elle présente actuellement, dans le cadre de «Beyrouth, ville culturelle», L’émigré de Brisbane de Georges Schéhadé, sur une musique de son fils Zad. Rideau de fin sur une pièce qui se joue tous les jours, avec le même talent, et des personnages hors du commun.
Il a une tête que l’on n’oublie pas... Celle d’un acteur de théâtre qui endosse si bien ses rôles qu’ils deviennent une seconde peau, une seconde nature. Elle ressemble à la femme de ce dernier, avec cette force tranquille qui réussit à maintenir le radeau de l’art et de l’amour en parfait équilibre. Antoine et Latifé Moultaka partagent ensemble une flamme intérieure, la...