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Actualités - REPORTAGES

Libertés - L'audience a été reportée au 1er décembre Le procès de Marcel Khalifé se transforme en manifestation en faveur de la tolérance (photos)

Entouré de fans enthousiastes et d’avocats dévoués, Marcel Khalifé avait pourtant l’air seul et triste, hier, dans la salle bondée où siège le juge unique Ghada Abou Karroum. La mine sombre, en dépit de sa chemise blanche, il avait l’air de maudire la fatalité qui l’avait entraîné dans ce cercle vicieux, lui qui n’a jamais reconnu d’autre Dieu que l’art et les grandes causes des peuples opprimés. Mais c’est justement Allah – ou ceux qui parlent en son nom – qui a pris sa revanche et qui a fait de lui, hier, un inculpé presque comme les autres, qui devra reprendre le chemin du tribunal le 1er décembre. Dès les premières heures du matin, le Palais de justice de Beyrouth est pris d’assaut par des dizaines de jeunes, venus soutenir leur idole et les Forces de sécurité intérieures, débordées, ne savent plus de quel côté les arrêter. Finalement, elles décident de bloquer les voies d’accès au Palais de justice, n’en laissant qu’une ouverte, pour les nombreux avocats et les journalistes. Le procès de Marcel Khalifé porte le numéro 28 et il faudra attendre midi pour que son tour arrive. À mesure que le rendez-vous fatidique approche, les forces de l’ordre deviennent plus nerveuses, multipliant les interdictions à l’égard des nombreux supporters et des journalistes. Khalifé arrive au Palais de justice vers 11h. Il est aussitôt happé par ses fans qui le portent à bout de bras, en fredonnant des chants révolutionnaires qu’il avait composés pour les grandes causes qu’il n’a cessé de défendre. Khalifé est très ému, et n’a pas vraiment le cœur à sourire. Il sait que l’affaire est grave et que malheureusement, dans certaines régions du monde, plus le temps passe et moins les religieux deviennent tolérants. Ses ennuis avaient commencé trois ans auparavant, avec la mise en vente du poème chanté de Mahmoud Darwiche «Je suis Joseph, mon père», qui comporte un verset du Coran. Dar el-Fatwa réagit aussitôt et envoie une note à la Sûreté générale qui commence par retirer l’album du marché. La note parvient à la justice libanaise, mais le juge d’instruction de Beyrouth à l’époque décide de geler le dossier et la chanson est de nouveau en vente. Les récentes nominations judiciaires placent M. Abdel Rahmane Chéhab (sunnite, originaire de la capitale) au poste de juge d’instruction de Beyrouth. Le magistrat publie aussitôt un acte d’accusation dans lequel il accuse Khalifé du crime de porter atteinte aux valeurs religieuses. Le chanteur encourt une peine de six mois à trois ans de prison. Le dossier est transmis au juge unique de Beyrouth, Ghada Bou Karroum sur laquelle repose désormais les espoirs des uns et des autres. Ce magistrat qui avait l’an dernier jugé le chef de la CGTL Élias Abou Rizk pour atteinte au prestige de l’État ne craint visiblement pas les défis. Mais cette fois, il s’agit d’une affaire particulièrement délicate. D’une part, les religieux sunnites estiment qu’il est interdit de mettre en musique le Coran, et si l’uléma chiite sayed Mohammed Hussein Fadlallah a considéré que Khalifé n’a pas porté atteinte aux valeurs de l’islam, cheikh Mohammed Chamseddine, lui, s’est rallié aux vues des sunnites. Pour les hommes de religion, la cause est donc entendue. Par contre, les nombreux avocats de l’artiste estiment que cette chanson étant une véritable œuvre d’art, scandée avec piété, elle ne comporte aucune atteinte à l’islam. De plus, Khalifé ignorait qu’il était interdit de chanter le Coran. Il n’avait aucune intention criminelle et doit donc être innocenté. Seulement, dans la loi libanaise, l’intention criminelle n’est que l’un des éléments du crime, non le seul. Il faudra donc beaucoup de doigté et de sagacité au magistrat Bou Karroum pour émettre un jugement dans cette affaire, qui puisse satisfaire les exigences des uns et les aspirations des autres. Hier, l’heure était visiblement à la conciliation et après avoir demandé à l’accusé de décliner son identité, ce qu’il a fait presque dans un murmure, le juge unique a accepté la requête du bâtonnier du Nord Rachid Derbas, demandant le report de l’audience pour «mieux étudier le dossier». Le prochain rendez-vous est fixé au 1er décembre. D’ici-là, l’affaire continuera à faire couler de l’encre. D’un côté, ceux qui militent pour l’art, symbole d’ouverture et de tolérance et de l’autre, ceux qui souhaitent retourner au Moyen Âge. D’ailleurs, à l’issue de l’audience, devant ses fans survoltés, Marcel Khalifé a clairement exprimé son amertume : «Je comparais devant un tribunal ne sachant plus si ce prétoire sera le symbole de la victoire des libertés ou celui de la défaite de l’avenir…».
Entouré de fans enthousiastes et d’avocats dévoués, Marcel Khalifé avait pourtant l’air seul et triste, hier, dans la salle bondée où siège le juge unique Ghada Abou Karroum. La mine sombre, en dépit de sa chemise blanche, il avait l’air de maudire la fatalité qui l’avait entraîné dans ce cercle vicieux, lui qui n’a jamais reconnu d’autre Dieu que l’art et les...