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Actualités - REPORTAGES

Censure - Valse des interdits Simple maladresse ou répression volontaire des libertés ?

La censure s’active et frappe, encore et encore. Enfin, un organisme sérieux, serait-on tenté de dire, qui fait son travail, et pas n’importe comment ! À intervalles réguliers, le couperet tombe, impitoyable, dès lors que l’on flaire le moindre danger. Désormais, tout le monde y passe, sans distinction de race, de genre ou de couleurs : journalistes, écrivains, sculpteurs, chanteurs, cinéastes. Il manquait encore les danseurs, et pas n’importe lesquels, pour boucler la boucle et mettre la dernière touche à ce tableau désolant. «Cachez donc ce sein que je ne saurais voir», lâche dans un premier temps un des deux agents de la Sûreté générale à la vue des danseurs (mâles !) au torse nu répéter un tableau chorégraphié par le célèbre Maurice Béjart sur une chanson d’Oum Koulsoum. Pragmatiques, nos deux agents trouvent vite la solution au problème : les danseurs porteront des t-shirts noirs. Il s’agissait, tout de même, d’Oum Koulsoum, grande diva et symbole par excellence de l’islam et de l’arabité. Il fallait donc flairer, scruter, évaluer, doser et puis trancher, en s’assurant que rien, absolument rien, dans cette représentation ne puisse froisser d’une manière ou d’une autre les susceptibilités des uns et des autres. Et bien justement, il y avait un passage, un malheureux passage qui prêtait à confusion : c’était l’intervalle où les hommes sont prosternés en position de prière alors que les femmes dansent autour d’eux en tenue de vestales. Jugée «indécente et irrespectueuse» envers l’islam, il a fallu encore une fois intervenir et interdire cette partie controversée. Comment, tout musulman qu’il est, le grand Béjart n’avait-il pas repéré une éventuelle «atteinte à l’islam» dans cette chorégraphie qui a déjà fait le tour du monde dont l’Égypte ? «Je refuse absolument qu’il y ait une interférence dans un art aussi noble que la danse», souligne Mme Georgette Gébara, chorégraphe, qui avait accueilli dans son école, le temps d’une répétition, les danseurs du Béjart Ballet Lausanne (BBL). Les inspecteurs avaient, semble-t-il, affirmé qu’ils n’avaient, a priori, rien trouvé d’anormal (sauf les torses nus qui devaient être recouverts) et qu’ils devaient de toute manière «en référer à leur chef». «Ceci constituerait une véritable tare culturelle honteuse si les autorités procédaient à une censure quelconque», leur ai-je dit, poursuit Mme Gébara, qui déplore une telle réaction digne de «l’époque de l’Inquisition», comme elle dit. D’autres réactions du monde culturel et artistique sont venues corroborer les dires de Georgette Gébara. Akl Awit, journaliste, réagit tout aussi vivement en affirmant que la question de la censure n’a d’autre objectif que «l’altération de la quintessence même du Liban et de sa valeur intrinsèque incarnée par la liberté culturelle, artistique, politique etc». Élias Khoury, également journaliste, parle pour sa part de «scandale et d’humiliation» infligée aussi bien à la culture qu’à l’ensemble de la population. «Le censeur considère que le public n’est pas assez mûr et qu’il lui revient de décider pour lui de ce qu’il lui convient de voir ou de ne pas voir», dit-il en mettant l’accent sur le fait que dans cette affaire, «la réputation du Liban ainsi que son héritage culturel ne sont en aucune manière pris en considération». Et M. Khoury de s’interroger sur le profil des censeurs en se demandant dans quelle mesure ces derniers sont véritablement habilités à juger et à décider de questions culturelles. «De Marcel Khalifé à Randa Chahhal en passant par Abdo Wazen et Sadek Nayhoum, dont les ouvrages ont été interdits, pour finir avec les films de Maroun Baghdadi, Samir Habchi qui ont été charcutés, la liste est longue», a affirmé Élias Khoury qui a considéré le dernier incident comme une mise en garde aux intellectuels libanais. «Elle ne doit pas passer inaperçue», souligne-t-il. Cependant, il s’agit aujourd’hui de découvrir qui est véritablement derrière cette interdiction et de lui demander de rendre compte de ses actes, conclut M. Khoury. Christine Tohmé, directrice de l’Association libanaise des arts plastiques, Achkal Alwan, se dit pour sa part choquée par un tel comportement, qui contribue à «ternir l’image du Liban à l’extérieur», se demandant pourquoi le ministère de la Culture ne réagit pas à ce type de vexation. Car, relève Christine Tohmé, les agents de la Sûreté générale n’ont pas, eux, «un pouvoir d’appréciation artistique». À cette question, des sources du ministère de la Culture affirment, après avoir condamné ce nouvel interdit, que des mesures seront prises incessamment «pour trouver un cadre convenable qui respecte la liberté d’expression sous toutes ses formes», sans pour autant porter atteinte aux susceptibilités des uns et des autres et ce, de manière «à ce que le sacré ne soit pas altéré». En somme, si le ministère de la Culture n’assume pas l’entière responsabilité d’un tel acte, puisque, légalement, ce n’est pas lui qui censure, il lui incombe toutefois de vérifier la légitimité d’une telle censure, souligne Élias Khoury. Ce à quoi la source ministérielle répondra qu’une réunion entre le ministre et les responsables de la Sûreté générale est prévue cette semaine afin d’accorder leurs violons et d’empêcher qu’une telle atteinte aux libertés publiques ne se répète. En effet, le ministère de la Culture (et tout autre ministère d’ailleurs ) n’étant jamais consulté préalablement à une censure, il apparaît de plus en plus urgent qu’une concertation soit instaurée entre les parties concernées. D’autres expériences – tout aussi malheureuses – ont déjà prouvé que la censure a souvent opéré dans une ignorance totale de la matière traitée et non point par souci de réprimer aveuglément la liberté d’expression. Les maladresses ne doivent donc pas se repéter, d’autant plus que la censure, s’il faut en croire des parties directement concernées, a souvent fait preuve d’ouverture d’esprit et de bonne volonté. En définitive, et quelles que soient les circonstances atténuantes que l’on peut accorder aux agents de la Sûreté, l’on oublie de plus en plus qu’il est un règle sacro-sainte que l’on ne saurait ignorer et ce, en toutes circonstances : non à la censure, l’exception n’étant tolérable (et encore) que dans les cas extrêmes. Même l’art, par principe intouchable, a fini par subir des manipulations de type... surréaliste !
La censure s’active et frappe, encore et encore. Enfin, un organisme sérieux, serait-on tenté de dire, qui fait son travail, et pas n’importe comment ! À intervalles réguliers, le couperet tombe, impitoyable, dès lors que l’on flaire le moindre danger. Désormais, tout le monde y passe, sans distinction de race, de genre ou de couleurs : journalistes, écrivains, sculpteurs, chanteurs,...