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Actualités - REPORTAGES

Toxicomanie - Les jeunes sont les plus touchés I - La drogue, un fléau qui prend de l'ampleur

Il y a quelques années, au lendemain de la guerre, quand on parlait de drogue, l’image des milices se présentait à l’esprit des Libanais. C’était un contexte exceptionnel qui n’a pas épargné les plus faibles. Aujourd’hui, ce sont les jeunes Libanais qui sont les plus atteints par l’usage des drogues. La moyenne d’âge d’un toxicomane est d’ailleurs passée en l’espace d’une dizaine d’années de 35 ans à 18 ans. Le malaise est immense. Contexte social? Problèmes familiaux? Faiblesse? Les raisons sont multiples. De nos jours, on trouve beaucoup de jeunes fumeurs de haschich, et leur nombre ne fait, hélas, qu’augmenter. Dans la plupart des cas, le problème de base est familial. Absence de communication entre les générations, conflits internes, pression, mais surtout manque de désir. Les parents donnent, pour suppléer au manque d’affection dont souffrent leurs enfants, tout ce qu’ils peuvent. Argent, voitures, voyages, vêtements, permissions laxistes... C’est pourquoi, on trouve dans les milieux aisés la majorité des jeunes toxicomanes. Quand un enfant ne manque de rien, il n’y a plus de désir. Et quand, de surcroît, tout lui est permis, ses repères se dissipent. Les interdits sont alors très dangereux. Même si le Liban ne connaît pas encore le taux de consommation d’ecstasy que connaît la France (468 % en plus entre 98 et 99, soit un million de doses vendues), il devient de plus en plus prédominant. Cocaïne, héroïne, haschich surtout mais aussi, acides, crack et ecstasy. Comment pourrait-on supprimer ce fléau, quand, aujourd’hui encore, n’importe qui peut acheter librement des tranquillisants, des anxiolytiques ou des antidépresseurs dans une pharmacie? Les jeunes sont plus réceptifs et influençables que les adultes face à un schéma de conduite, qui est malheureusement devenu banalisé. Quand un jeune voit sa mère prendre un lexo à chaque petit pépin, qu’à chaque moment d’anxiété c’est un verre qui fera l’affaire, il lui est impossible de faire la part des choses. Et il a raison, les tranquillisants sont considérés comme étant des drogues dures... Un tabou Mais on se voile la face. La toxicomanie est encore un tabou. Et pourtant la réalité est là, palpable, à deux doigts de chacun. Dans les écoles, les universités, les boîtes de nuit, les bars... Dans tous les milieux sociaux, dans toutes les régions. Et les conséquences sont douloureuses. Dépendances physiologiques et psychologiques, rejet de la société, de la famille... C’est pourquoi nous avons voulu traiter les différents aspects de ce phénomène grandissant qu’est la toxicomanie au Liban. Le dossier sera scindé en deux parties. La première (aujourd’hui) traitera des différentes drogues consommées au Liban, avec un tableau relatif aux effets de la drogue; elle traitera également de la cure de sevrage que nous étudierons grâce à l’aide du Docteur Antoine Boustany. Dans un second temps, nous parlerons de la réhabilitation des toxicomanes dans la société libanaise. Il était donc essentiel de rencontrer les éducateurs du seul centre au Moyen-Orient, offrant un entourage complet à ses résidents: Oum el-Nour. C’est grâce aux interventions du Dr Boustany, ainsi que deux des éducateurs de Oum el-Nour, mais aussi à travers deux témoignages essentiels, que nous essaierons de comprendre les raisons qui peuvent pousser un individu à plonger dans les abîmes de la drogue. Le problème ne doit pas être dévié, car il ne se concentre pas sur la nature des substances utilisées, mais sur la relation qui existe entre un individu et cette substance. Un fumeur de haschich n’est pas moins toxicomane qu’un héroïnomane ou qu’un cocaïnomane, ou de quelqu’un qui se gave de tranquillisants. Ils ont tous la même conduite toxicomaniaque. La dépendance... C’est avec l’aide du Dr Antoine Boustany, psychiatre, chef du service de traitement des maladies de la dépendance à l’hôpital Saint-Charles, depuis 1991, auteur de nombreux ouvrages en arabe et en français, dont le dernier Drogues de paix et drogues de guerre a été réédité en 1998 en livre de poche par Hachette, que nous avons pu dresser un état des lieux de la toxicomanie au Liban. Nous avons également pu saisir les raisons qui poussent un jeune, plus qu’un autre, à plonger dans la drogue. «Il est impossible d’avoir de réels chiffres concernant la toxicomanie, nous n’avons pas d’infrastructure médicale comme dans les pays développés, où ils ont une idée approximative du phénomène. Chaque institution travaille à son propre compte. La seule chose que nous savons, c’est que le phénomène de la toxicomanie a pris de l’ampleur ces dix dernières années au Liban», nous explique le Dr Boustany. Le problème existe donc, puisqu’il y a des toxicomanes, et ce n’est pas parce qu’on ne peut le quantifier, qu’on doit l’occulter. «Nous savons une chose, c’est qu’il y a plus de toxicomanes qu’avant la guerre. On a remarqué que quelques années après la fin de la guerre, il y a eu un transfert des substances illicites vers les substances licites, comme l’alcool». Les substances volatiles, comme l’éther, sont très rarement utilisées au Liban. La drogue la plus commune est le haschich. Les drogues dures consommées au Liban sont l’héroïne, la cocaïne, mais aussi les tranquillisants et l’alcool. «Ils ont tous un effet néfaste sur une personne. Ils provoquent des troubles de la conduite. C’est pourquoi un toxicomane doit venir se faire soigner». «Il est important de préciser que le problème ne se situe pas au niveau de la substance utilisée, mais dans la relation d’un individu avec la substance», insiste le Dr Boustany. Un fumeur de haschich n’est donc pas moins toxicomane qu’un héroïnomane. Les deux ont la même conduite toxicomaniaque de dépendance. «Aujourd’hui, on rencontre aussi du crack, de l’ecstasy et des acides sur le marché des drogues au Liban. C’est le retour de beaucoup d’enfants d’émigrés fortunés qui transitent par Londres, et qui ramènent avec eux ces substances», nous explique le Dr Boustany concernant ces nouveaux venus au Liban. Aujourd’hui, les facteurs qui constituent un toxicomane potentiel, sont multiples. «Il existe deux facteurs essentiels, l’un psychologique et l’autre environnemental, peut-être liés, mais vraiment peut-être, à une prédisposition génétique. Toutefois, nous n’avons encore rien découvert. De toutes les manières, ce troisième facteur serait nul sans les deux autres». Du point de vue psychologique, c’est ce qui a donc attrait à l’éducation, à l’identification, bref tout ce qui concerne le psyché. «Tous les troubles, comme la peur ou le plaisir, sont générateurs d’angoisse... Ce qui, de façon simplifiée, favorise le recours à des substances. Mais qui n’est pas anxieux? C’est humain. Certains le gèrent mieux que d’autres». Le tourbillon social «C’est une question de sensibilité». Le facteur environnemental c’est, par exemple, la guerre, les boîtes de nuit, le lycée... tout ce qui fait que l’on peut être entraîné. Un exemple nous est donné par le Dr Boustany: «C’est un schéma, évidemment. Les enfants récoltent le prix du tourbillon social dans lequel leurs parents sont plongés. Se montrer, s’afficher, les parents ont investi le matériel et le social dans leur vie. Leurs enfants attendent d’eux un autre investissement, une écoute, une présence. Au lieu de ça, ils compensent avec de l’argent, des cadeaux, une voiture ou des voyages qu’ils offrent à leurs enfants. De plus, la famille veut rarement être remise en question, cela bouleverserait leur mode de vie». Il y a donc un manque réel affectif et un surplus de biens matériels pour les jeunes. Comme il n’y a pas de manque, il n’y a donc pas de désir. «C’est le manque qui crée le désir». «Le manque crée le désir, et donc l’action, vouée au succès ou à l’échec, Mais ce processus n’existe pas. Les parents me disent souvent que leurs enfants ne manquent de rien, qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils se droguent». Et pourtant ils manquent de l’essentiel. Quand il n’y a pas d’interdit, qu’on a tout, et qu’on peut tout faire, on pousse très haut la barre du tabou, du challenge. Et ce sont les substances illicites qui viennent pallier ce manque. La cure de sevrage est répartie sur deux semaines. La première semaine, c’est donc un sevrage que suit le patient, exactement comme le sevrage d’un bébé. «L’étape dure entre cinq et huit jours. Nous donnons des antidotes non addictifs. Et si cela devait advenir, c’est sous contrôle médical que nous le faisons, et de manière régressive», nous explique le Dr Boustany. «Les perturbations sont d’ordre psychologique et physiologique. Lorsqu’un toxicomane arrête de se droguer, il surgit de très douloureux symptômes. C’est le syndrome de manque». Dans la prise de drogue ou d’autres substances, il existe deux actions que l’on appelle renforcement positif et renforcement négatif. Le renforcement positif c’est le plaisir que peut apporter la prise de drogue: un tranxen qui relaxe, un lexo, un verre, un sniff ou une cigarette. Le renforcement négatif, ce sont les conséquences désagréables qui vont pousser un individu à en reprendre. «Notre cure permet d’effectuer une chimiothérapie, dans un premier temps, avec un protocole de médicaments antidotes, mais ça ne s’arrête pas qu’à ça. Si on ne se limite qu’à cette étape, c’est comme si nous n’avions rien fait». En effet, le Dr Boustany nous explique qu’il est très important de chercher à comprendre la pathologie qui sous-tend ce recours à la drogue. Pourquoi un homme est passé d’un verre à une bouteille ? «Nous faisons donc une sorte d’investigation dans trois domaines: clinique, psychologique et social. Nous avons une équipe pluridisciplinaire qui prend en charge chaque individu au cas par cas. Tous les jours nous avons une réunion avant la visite. Chaque patient doit sortir d’ici avec un diagnostic. S’il n’a pas de diagnostic, ce n’est pas qu’il n’existe pas mais c’est que nous n’avons pas pu le prouver». Un exemple que donne le Dr Boustany: «Imaginez quelqu’un en dépression. Les premiers symptômes qui apparaissent sont la fatigabilité, l’irritabilité, l’agressivité, l’insomnie. Pour se sentir mieux, cette personne va prendre un verre. Tous ces symptômes vont alors disparaître, se dissoudre. Elle dormira mieux... Au bout d’un mois ou deux, la dépression est toujours là et un verre ne suffit plus. On passe donc à deux verres. Après un an, après avoir augmenté les doses et tandis que la dépression n’a toujours pas été soignée, on est arrivé à un stade d’alcoolisme. C’est vulgarisé, certes, mais c’est un peu ce genre de schéma que l’on rencontre tous les jours». Il faut donc soigner la dépression chez un alcoolique, et non l’alcoolisme. La cause avant les conséquences. La maladie, avant les symptômes. C’est alors, après cette cure de sevrage, que le toxicomane est amené à suivre une réhabilitation. C’est à Oum el-Nour, qu’elle peut avoir lieu au Liban, et le Dr Boustany travaille souvent avec eux. C’est une sorte de circuit entre nous.
Il y a quelques années, au lendemain de la guerre, quand on parlait de drogue, l’image des milices se présentait à l’esprit des Libanais. C’était un contexte exceptionnel qui n’a pas épargné les plus faibles. Aujourd’hui, ce sont les jeunes Libanais qui sont les plus atteints par l’usage des drogues. La moyenne d’âge d’un toxicomane est d’ailleurs passée en l’espace...