Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

Entretien - Les chaldéens du Liban n'ont pas émigré en masse Raphaël 1er Bidawid : il faut dénoncer le complot du silence entourant le génocide irakien(photos)

Fuyant l’insupportable chaleur de Bagdad et les toits en béton chauffés à blanc par le soleil, qui ne fraîchissent que vers minuit, le patriarche des chaldéens, Mar Raphaël Ier Bidawid (77 ans), se trouve en ce moment au Liban et se prépare à effectuer une visite en Grande-Bretagne et aux États-Unis, pour sensibiliser les Églises et l’opinion publique de ces pays à une tragédie – «un génocide», dit-il – sans exemple dans l’histoire moderne sur le plan des moyens utilisés. L’Irak en est à sa dixième année de blocus économique. Un million et demi d’enfants sont décédés, durant les huit premières années du blocus, des conséquences de la malnutrition ou faute de soins adéquats. Partiellement levées en 1998, dans le cadre d’un troc pétrole contre nourriture, les sanctions de l’Onu continuent de peser lourdement sur la population irakienne. L’Unicef avance pour ces deux dernières années 5 000 décès mensuels d’enfants, pour une population de 22 millions. Par ailleurs, des objectifs supposés être militaires continuent d’être régulièrement bombardés dans le nord irakien, et des civils y meurent toutes les semaines. Pourtant, le monde continue de tourner, les journaux de s’imprimer et les journaux télévisés de parler de frivolités. Parce que c’est Saddam Hussein qui gouverne l’Irak, l’opinion internationale est convaincue que ces chiffres sont de la pure propagande et qu’ils sont utilisés comme arme psychologique pour obtenir la levée de l’embargo qui frappe l’Irak. Le patriarche Bidawid connaît bien le Liban, pour y avoir régulièrement séjourné depuis 1966. Il en a connu les années de prospérité et d’insouciance, ainsi que les années de douleur et de guerre. Chef de la communauté chaldéenne (catholique), il est aujourd’hui étroitement associé à une démarche officielle irakienne visant à expliciter au monde le caractère inhumain du blocus imposé à l’Irak depuis dix ans. Nous le rencontrons en sa résidence libanaise, sur l’une des collines de Beit-Méry surplombant le magnifique panorama du littoral et de Beyrouth. Un champ de vision qui lui permet de balayer la côte du regard, de Khaldé à Tabarja. Le pape a dénoncé le blocus imposé à l’Irak, soulevant la colère des Américains, explique le patriarche Bidawid. Le 14 mai dernier, une délégation irakienne officielle présidée par le patriarche Bidawid, et qui comprenait également une personnalité chiite et une autre sunnite, s’est rendue au Vatican pour exprimer à Jean-Paul II «la gratitude du peuple irakien». C’est une délégation de même nature qui s’apprête à se rendre en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Il s’agit de faire tomber le «mur du silence» que l’on cherche à dresser autour de ce qui se produit en Irak. Le patriarche hoche la tête et commente en termes sévères ce black-out. «Et l’on parle de démocratie», dit-il, reprochant aux Arabes d’être «les premiers à demander le renforcement des sanctions frappant l’Irak». Jean-Paul II en Irak ? En tout état de cause, la consigne de silence entourant la crise irakienne sera certainement levée par la visite pastorale que Jean-Paul II a exprimé le souhait de faire en Irak, à l’occasion des célébrations du jubilé de l’an 2000. Si elle a lieu, cette visite se situerait tout au début de l’année liturgique, en décembre 1999. Le patriarche Bidawid croit savoir qu’elle aura lieu du 2 au 4 décembre, mais le Vatican n’a pas encore confirmé cette date. Jean-Paul II se rendrait notamment à Ur, patrie d’origine d’Abraham, qu’il a quittée en direction de la «terre promise» de Palestine. Selon le patriarche Bidawid, dans le texte où il annonce son intention de se rendre en Irak, le chef de l’Église catholique a pris soin de souligner, à l’intention des États-Unis, hostiles à une visite qui renforcera indirectement le crédit de Saddam Hussein, que des motifs uniquement pastoraux ont inspiré sa décision. Il y exprime sa «peine» pour les interprétations erronées qui en sont faites. Toutefois, Jean-Paul II est un homme qui ne transige pas sur les droits de l’homme, et qui ne considère pas que les défendre relève de la politique. C’est au nom de la justice internationale que le peuple irakien est écrasé, réduit à la misère, forcé à l’émigration. Mais par une de ces ironies du sort dont l’histoire a le secret, les États-Unis n’ont obtenu, en dix ans de blocus, que l’exact contraire de ce qu’ils attendaient. Car non seulement le régime de Saddam Hussein n’est pas tombé, mais il semble même avoir été renforcé par le blocus. «Le peuple irakien a fait preuve d’une extrême endurance pour survivre. Je dis bien pour survivre», commente le chef de l’Église chaldéenne. Pour comprendre les propos du patriarche Bidawid, il faut savoir que le salaire mensuel d’un fonctionnaire irakien est d’environ 5 000 dinars. Au taux de 3 000 dinars pour un dollar, ce salaire est donc de 2 dollars environ. Une somme qui lui suffit pour une semaine à dix jours, compte tenu du fait que les denrées essentielles sont distribuées grâce à des tickets de rationnement. C’est pourquoi les Irakiens vendent tout ce qui peut se vendre, et parfois leur propre personne. Et c’est pour échapper à cette situation bloquée où toute perspective d’avenir est anéantie qu’ils émigrent. Un kilo de farine en plus… «Mais les choses vont un peu mieux aujourd’hui qu’au plus fort du blocus, poursuit le patriarche, même si l’accord de troc pétrole contre nourriture dont la presse occidentale a fait si grand cas, l’année dernière, s’est résumé, pour l’Irakien moyen, par une ration supplémentaire d’un kilo de farine (un kilo) par mois». «Et l’on nous presse de dire merci», ajoute-t-il ironiquement, avant de préciser qu’au marché noir, beaucoup de marchandises introduites en contrebande à partir de Jordanie, d’Iran ou de Turquie sont disponibles, mais à des prix prohibitifs. Heureusement, le Vatican et beaucoup d’Organisations non gouvernementales, à vocation chrétienne ou purement humanitaire, viennent aujourd’hui au secours du peuple irakien, pour lui assurer un minimum de bien-être. Le patriarche Bidawid se réjouit particulièrement de la nomination de Mgr Fouad Hajje, un Libanais, à la tête de Caritas Internationalis, principal instrument de la pastorale sociale du Vatican. Ancien patron de Caritas-Liban, Mgr Hajje a selon lui «la vision, la culture et l’expérience» qu’il faut pour comprendre la situation dans laquelle se trouve la population irakienne, précisant que 20 % des aides vont aux musulmans (les chrétiens ne représentent que 5 % de la population irakienne). Un dictateur qui tient son peuple en otage, Saddam Hussein ? «Montrez-moi un pays de la région qui n’est pas gouverné par un dictateur», rétorque le patriarche à cette question. «Il n’y a que le Liban, et encore on le priverait volontiers de sa démocratie, si on le pouvait», ajoute-t-il. Comment se porte la communauté chaldéenne au Liban ? C’est la plus petite des communautés chrétiennes, souligne Bidawid. Elle compte entre 10 et 12 000 personnes. La communauté chaldéenne orientale, dite Église assyrienne d’Orient, en compte environ la moitié. Selon le chef de l’Église chaldéenne, la communauté au Liban a peu souffert du mouvement d’émigration, mais ses centres démographique et spirituel se sont déplacés. L’église Sainte-Thérèse et l’évêché, qui se trouvaient à Sodeco, ont été pillés et saccagés durant la guerre. Ces centres se sont déplacés vers le secteur Brasilia, peu après Hazmieh, où une nouvelle église-cathédrale a été bâtie. La « Peace Tower » Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, la communauté chaldéenne au Liban s’est associée voici quelques années au propriétaire – musulman – d’un terrain adjacent à celui qu’elle possède à Sodeco, et va entamer la construction d’une tour de 27 étages, la Peace Tower qui comprendra notamment, au dernier étage, un restaurant panoramique. Entouré de quatre rues, l’immeuble occupe une situation foncière idéale. Le sous-sol sera, lui, révolutionnaire. Pour la première fois en Orient, un parking entièrement automatisé y sera mis en service, de sorte que par un système de tapis roulant, la voiture sera automatiquement dirigée vers son point de stationnement puis ramenée à son propriétaire. Par fidélité à sainte Thérèse, une petite chapelle continuera d’y exister, que le copropriétaire du projet a décidé de construire à ses propres frais. On le voit, la coexistence islamo-chrétienne au Liban – et les intérêts économiques bien compris – ont encore de beaux jours devant eux.
Fuyant l’insupportable chaleur de Bagdad et les toits en béton chauffés à blanc par le soleil, qui ne fraîchissent que vers minuit, le patriarche des chaldéens, Mar Raphaël Ier Bidawid (77 ans), se trouve en ce moment au Liban et se prépare à effectuer une visite en Grande-Bretagne et aux États-Unis, pour sensibiliser les Églises et l’opinion publique de ces pays à une...