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Actualités - OPINION

Tribune Les oreilles de la providence

Regarder par le trou de la serrure, écouter aux portes, épier nos voisins à la jumelle sont choses permises lorsqu’il s’agit de protéger son prochain contre tous les dangers qui le guettent. C’est d’ailleurs le rôle que nous attribuons à nos anges gardiens. Témoins attentifs de tous nos actes et de nos moindres pensées. Il est donc fort normal de les doter des moyens les plus modernes pour leur permettre d’accomplir leur obligeante mission. Avec ou sans fil, ils peuvent donc traverser aisément, pour nous soustraire aux innombrables périls qui nous menacent, serrures, portes et distances. Nous serions bien ingrats de ne pas leur savoir gré de l’intérêt qu’ils nous portent, de l’importance qu’ils accordent à nos faits et gestes et du soin qu’ils mettent à nous suivre en tout temps et en tout lieu. Après tout, ils boivent nos paroles, partagent nos peines et nos plaisirs, participent à nos succès comme à nos échecs, à nos amours, à nos disputes, aux malheurs et aux bonheurs qui jalonnent nos existences. Ils s’identifient en quelque sorte à nous, au point de vivre dans notre peau, en marge de leur propre vie ; et cela avec une discrétion d’autant plus méritoire qu’elle les force à subir en silence toutes les insanités que nous leur infligeons et, trop souvent, toutes les malédictions que nous leur prodiguons. on devrait à vrai dire, leur attribuer une distinction spéciale, comme le Mérite de la trompe d’Eustache, par exemple. Mais il est compréhensible que tant de zèle investi par les autorités pour veiller sur leurs ouailles suscite chez ces dernières à côté de leur gratitude, un petit sentiment d’inégalité et même d’injustice. Pourquoi faut-il que cette bienveillance officielle reste unilatérale ? Pourquoi ne seraient-ils pas, elles aussi, en droit et en mesure de partager, pour des motifs identiques, la privauté de leurs protecteurs ? C’est bien la raison pour laquelle la question est maintenant étudiée par nos législateurs en vue de rendre plus démocratique une vigilance unanimement reconnue comme indispensable à la tranquillité des citoyens. Il devient donc normal que le voyeurisme, ou pour être plus exact «l’écouteurisme» ne reste pas le monopole de ceux qui ne sont au pouvoir que de passage. Il devient même essentiel de le mettre à la portée de tous. La meilleure façon d’y aboutir – y a-t on, déjà pensé ? – serait sans doute de le privatiser. Un central d’écoute ouvert au public, moyennant finance bien entendu, rapporterait beaucoup d’argent à un budget assoiffé et résoudrait tous les problèmes qui divisent aujourd’hui le pays entre écouteurs et écoutés. L’État disposerait évidemment de tarifs privilégiés, mais tout un chacun aurait enfin accès à l’écoute de tout un chacun, selon des conditions à déterminer. La solidarité entre concitoyens se partageant les mêmes secrets serait ainsi renforcée, la transparence des affaires et des mœurs serait assurée d’office. De surcroît, un esprit de compréhension mutuelle, de compassion des uns pour les autres, d’entraide pour les personnes découvrant soudain qu’elles ont des problèmes similaires et des souffrances communes, ne tardera pas à s’instaurer dans les rapports humains. Une meilleure connaissance d’autrui, une intimité élargie à la notion tout entière, une information de bouche à oreille – la plus prisée et la plus efficace de toutes – immédiatement communiquée à l’ensemble de la population contribueront assurément à la paix civile et réduiront par voie de conséquence les frais de police et de justice qui, maintenant, pèsent lourd sur les épaules des contribuables. Que peut-on espérer de mieux ? Le tout est de faire preuve d’imagination et d’audace. Il ne restera plus alors qu’à interdire formellement, comme activités subversives, la télégraphie et la restriction mentale.
Regarder par le trou de la serrure, écouter aux portes, épier nos voisins à la jumelle sont choses permises lorsqu’il s’agit de protéger son prochain contre tous les dangers qui le guettent. C’est d’ailleurs le rôle que nous attribuons à nos anges gardiens. Témoins attentifs de tous nos actes et de nos moindres pensées. Il est donc fort normal de les doter des moyens les plus...