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Actualités - ANALYSE

Communication - Consolider les libertés fondamentales Quelle réforme pour les médias officiels ?

Évoquer le devenir des médias officiels sous un angle strictement technique peut sembler incongru, à un moment où la presse est en émoi à la suite de développements dans lesquels des journalistes ont été impliqués. Mais malgré la crise actuelle, parler d’un nouveau rôle des médias officiels est une façon comme une autre de contribuer à consolider des libertés fondamentales dans le pays. Pourquoi les médias officiels ? Parce qu’ils se trouvent en porte-à-faux entre la tendance du gouvernement à vouloir privatiser une partie de l’Administration publique et la concurrence féroce que leur font les médias privés. Dans les années cinquante, les forces de sécurité libanaises étaient dotées de radios à transistors qui ne captaient que Radio-Liban. Aujourd’hui, le pays est envahi d’antennes paraboliques et de serveurs Internet. Et comme l’Histoire ne peut se faire à reculons, nos médias officiels sont appelés, soit à s’adapter, soit à disparaître, victimes de leur immobilisme. Héritage d’une tradition centralisatrice, le droit et le privilège de l’information audiovisuelle incombaient à l’État, y compris en démocratie. C’était une mission de civilisation que certains régimes ont détournée pour en faire un instrument de leur autoritarisme. Le Liban a toujours eu sa radio officielle, mais n’a jamais eu sa propre production journalistique. Pour pallier cette absence, il y a eu l’Ani, une agence d’information qui sert de référence à la presse locale et étrangère. Mais si la radio avait une portée populaire, l’Ani n’atteint que les seuls cercles du pouvoir et aux organes de presse. Peu avant la naissance – au début des années soixante – de l’Ani, il y eut la télévision. De privée, celle-ci est devenue d’État avec des programmes «sages», se chargeant de couvrir les différentes activités confessionnelles de façon équilibrée, des journaux télévisés qui souvent ne rapportaient que des évidences, avec comme premier souci les activités des personnalités officielles, présentées de manière hiérarchisée. Tous ces médias étaient et restent au service de l’État, unique bailleur de fonds, qui en dispose à son gré, au rythme des changements de régimes. Politiques et professionnels de la presse se rappellent très bien le rôle joué par certains directeurs généraux du ministère de l’Information. Ils doivent se rappeler aussi la «dactylo», appellation dont furent affublés certains cercles politiques, notamment du temps du mandat des présidents Fouad Chéhab et Charles Hélou. Comment ce paysage aurait-il évolué sans la guerre ? Difficile à dire. Mais le fait est qu’avec la guerre, tout a éclaté, avec comme première victime les médias officiels dans lesquels aucune fraction libanaise ne s’est reconnue. Communautés et partis politiques ont occupé le terrain, leurs médias ne respectant aucun compromis et véhiculant naturellement leurs propres conceptions. L’information était devenue engagée, avec tout ce que cela comporte cassure par rapport au rôle des médias officiels traditionnels, qui avaient comme principe sacro-saint le respect des grands équilibres nationaux. La censure Mais l’État était présent aussi dans les médias grâce à la censure. Tout était concerné par cette mesure : aussi bien les passages plutôt osés de certains films que les textes des revues et livres qui traitaient d’Israël. Les agents de la Sûreté générale étaient en charge de cette mission. Dans certaines bibliothèques et chez quelques particuliers peut-être, ont doit pouvoir encore retrouver certains exemplaires du dictionnaire Larousse, portant la trace des ciseaux de Dame Anasthasie. Conformément aux décisions du Bureau du boycottage d’Israël, le censeur se devait d’interdire l’entrée au Liban de tout texte traitant de l’État hébreu même s’il fallait pour cela sabrer dans des ouvrages aussi précieux que volumineux. Revues et libres subissaient le même sort. L’action de la censure atteignait les productions locales. On se rappelle le coup de sang de Nidal Achkar et de ses camarades du grand mouvement de la renaissance théâtral de la fin des années soixante, un soir que les FSI avaient fait une descente dans la salle où ils jouaient la pièce Majdaloun. Les membres de la troupe avaient alors défilé à la rue Hamra où ils avaient présenté leur œuvre. La presse n’était pas épargnée et le souvenir des espaces blancs dans les journaux est encore présent dans toutes les mémoires. Alors, est-il normal que l’État, toujours seul bailleur de fonds d’institutions telles que Radio-Liban, Télé-Liban ou l’Ani, ne puisse pas redéfinir à leur intention un rôle leur permettant de se reconvertir en tenant compte des nouvelles réalités qui ont transformé le paysage socio-politique libanais ? Des médias thématiques Les médias libanais, toutes appartenances confondues, sont confrontés actuellement à la rude bataille du marché publicitaire. Les médias officiels coûteraient trop cher si l’envie leur prenait de vouloir occuper le même créneau que les médias privés. Ils peuvent le faire, mais à quoi cela servirait-il ? À satisfaire la mégalomanie de certains ? Le contribuable libanais pourra un jour ou l’autre demander des comptes : pourquoi devrait-il continuer à payer des activités que les annonceurs lui offrent «gratuitement» sur d’autres médias. Dans l’ancienne Hongrie, celle de l’époque du Rideau de fer, la télévision d’État chômait le lundi : les dirigeants hongrois de l’époque comptaient ainsi inciter leurs citoyens à faire l’effort d’aller se ressourcer à d’autres activités culturelles, notamment les théâtres et les concerts de musique. Catherine Trautman, ministre française de la Culture, jugeant néfaste la soumission des télévisions officielles aux lois trop contraignantes du marché et souhaitant maintenir un service public de qualité, a décidé d’autoriser les directeurs des chaînes à réduire le temps d’antenne consacré à la publicité, moyennant une compensation par l’État des pertes ainsi subies. Une pareille approche serait inconcevable dans le système américain, où la survie des organes de presse est tributaire de leur seule capacité à affronter les règles du marché. La société d’expertise britannique qui s’est penchée dernièrement sur la situation à Télé-Liban a recommandé un certain nombre de licenciements – cent personnes sur un total d’un peu moins de six cents –, et estimé à 100 millions de dollars le prix à payer pour le renflouement de la société. Et si Télé-Liban changeait complètement de mission, en décidant de se transformer en une chaîne à thèmes, s’occupant de culture, de sport, de sciences ou encore d’activités non lucratives que seul un service d’État peut assumer ? Une telle refonte justifierait amplement les sommes que l’on y investirait. Et il y a tout lieu de croire que les téléspectateurs ne pouvaient qu’applaudir à l’initiative. Certains pourraient voir dans une telle formule une hérésie. Mais le projet doit être accompagné d’une série de mesures de soutien, notamment dans le domaine de la formation et de la reconversion des journalistes. Le service public doit dorénavant justifier les sommes qui y sont injectées. Autrement, il ne pourra indéfiniment profiter d’une indulgence qui risque de devenir de plus en plus contestée. Est-ce un crime que d’aborder un tel thème sans soulever des protestations et sans s’attirer les foudres de tous ceux qui considèrent que l’essence même de leur autorité est menacée ? Il faut espérer que non. La survie d’un service public de l’information en dépend.
Évoquer le devenir des médias officiels sous un angle strictement technique peut sembler incongru, à un moment où la presse est en émoi à la suite de développements dans lesquels des journalistes ont été impliqués. Mais malgré la crise actuelle, parler d’un nouveau rôle des médias officiels est une façon comme une autre de contribuer à consolider des libertés fondamentales dans...