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Actualités - OPINION

Péroraisons funèbres

Le sanglant affront de Saïda pour venger «l’humiliation» israélienne de Jezzine, ou bien alors pour tenter de déstabiliser, à la veille de la négociation, un régime qui s’est donné pour slogan la primauté de la loi ? C’est évidemment fort possible, l’ennemi nous ayant trop souvent gratifié dans le passé, lointain et récent, de ses mortelles sollicitudes. Il ne faut pas pour autant que cette thèse de prédilection, entonnée comme un seul homme par le gros de la classe politique, serve à se donner bonne conscience, à se carrer dans un confort mental aussi coupable que dangereux. Quand bien même Israël serait-il le coupable, il lui aurait été facile en effet de puiser dans la pléthore d’organisations, mouvements et autres groupuscules de diverses obédiences, ouverts à toutes les infiltrations et qui, une décennie entière après la fin de la guerre du Liban, continuent d’échapper à l’autorité de l’État. Persister à l’ignorer, c’est préparer des tragédies futures ; et se borner à accuser l’ennemi sans tirer honnêtement les leçons domestiques de l’hécatombe de mardi, sans s’efforcer de combler les brèches apparues dans l’édifice étatique, c’est donner le sentiment au citoyen que l’on s’est résigné à la fatalité israélienne. Et qu’après le deuil national de mercredi, c’est un deuxième enterrement de première classe que l’on réserve aux martyrs de Saïda. Par-delà toutes les spéculations politiques qu’elle a suscitées, cette tragédie a offert le spectacle d’un État se privant lui-même parfois, par démagogie ou imprévoyance, de deux atouts pourtant indispensables au succès de sa démarche, qu’il s’agisse d’affirmer son autorité ou de mener à son terme une louable entreprise d’assainissement de la vie publique. Ces deux atouts, ce sont une force de sécurité interne compétente et fiable et un appareil judiciaire pénétré de sa mission certes, mais aussi tranquille sur ses arrières. Les policiers d’abord. On ne contestera pas le bien-fondé des sanctions qui ont frappé les officiers et agents des FSI chargés de la garde du tribunal de Saïda : ou bien nombre d’entre eux se sont planqués à l’instant où les tueurs entamaient leur sinistre besogne ; ou alors ils n’étaient tout simplement pas à leurs postes, notamment à l’extérieur de l’édifice. Défaillance d’autant plus coupable que la cour n’était pas réunie ce jour-là pour trancher quelque banal litige commercial ou civil, mais pour statuer sur le sort de huit criminels endurcis, convaincus de meurtre, de trafic de drogue et autres méfaits. Défaillance d’autant plus affligeante que le président de la cour – on croit rêver – s’était alarmé plus d’une fois de la précarité de la protection dans une ville où régnait notoirement l’insécurité, au point que l’on y prenait même pour cible des agents de la circulation. Pourquoi ne s’est-on pas ému, en haut lieu, des frayeurs de l’infortuné magistrat ? Et est-il vrai que d’aucuns ont tenté de justifier cette impardonnable désinvolture par des impératifs d’austérité budgétaire ? Dans tous les cas de figure, il est évident que les responsabilités dépassent largement le cadre de la maréchaussée ; se contenter d’expédients, qui d’ailleurs ne trompent personne, ne peut que démoraliser et démobiliser les Forces de sécurité intérieure, alors qu’il s’agit tout au contraire d’en relever le niveau et d’en stimuler le rendement, autrement qu’à coups de spots publicitaires. Dans tout autre pays – y compris ceux qui, faute de traditions démocratiques, cultivent la dignité du pouvoir – la tuerie de Saïda aurait forcément entraîné certaines démissions, et pas des moindres. Pas question, vient de nous rassurer sur ce point le placide Dr Hoss, qui sait sans doute de quoi il parle ; mais dans ce cas, pourquoi ne pas assigner à une tâche précise, à une mission aussi cruciale et vitale que la sécurité publique, le très inamovible et vraiment trop dispersé (ou surmené) ministre de l’Intérieur, vice-président du Conseil et éminence grise du régime ? Les juges ensuite, cruellement – et littéralement – pris aujourd’hui entre deux feux. Durant quinze années de guerre, ils n’ont pu accomplir leur tâche, placés qu’ils étaient à la merci des toutes-puissantes milices. Après cette longue inaction forcée, où se retrouvait-elle, la magistrature ? Au beau milieu d’une république livrée à l’affairisme le plus effréné, et dont les serviteurs voyaient dans leur conformité politique une garantie d’impunité autorisant les étalages les plus insolents de toute cette fortune nouvelle. À l’attrait de l’argent facile, tous les juges n’ont pas eu le courage de résister, pas plus qu’aux pressions ou interventions occultes. Les choses ont changé avec l’élection du président Lahoud, qui a fait de la lutte contre la corruption un des points forts de son programme. Pour la première fois dans les annales libanaises, un ancien ministre et des hauts fonctionnaires ont été écroués pour malversations, même si l’on peut regretter que certains dossiers n’aient pas été intégralement liquidés, ou que d’autres aient été remis à «plus tard». Voilà soudain que ces juges qui s’étaient remis à juger, ces juges qui «osaient» enfin, on s’est aperçu, mais un peu tard, qu’il fallait les passer eux-mêmes au crible et lever leur immunité, ce par quoi il eut naturellement fallu commencer. Des magistrats sont morts à Saïda, en plein exercice de leur noble fonction. La pire des injustices serait que leur sacrifice n’ait été que matière à péroraisons.
Le sanglant affront de Saïda pour venger «l’humiliation» israélienne de Jezzine, ou bien alors pour tenter de déstabiliser, à la veille de la négociation, un régime qui s’est donné pour slogan la primauté de la loi ? C’est évidemment fort possible, l’ennemi nous ayant trop souvent gratifié dans le passé, lointain et récent, de ses mortelles sollicitudes. Il ne faut pas pour...