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Actualités - REPORTAGES

Spéléologie - Un monde aussi touffu que celui en surface Des grottes historiques aux gouffres, le sous-sol révèle ses mystères(photos)

Un spéléologue, comme un journaliste, est toujours en quête de quelque chose. Et souvent, c’est autre chose qu’il trouve. Et quand des journalistes s’adressent à des spéléologues pour parler eau, c’est sur d’autres découvertes qu’ils tombent. La première étant que la spéléo, comme on dit familièrement, c’est un univers. Aussi touffu dans ses profondeurs que le monde de la surface. Et aussi varié. Un spéléologue, c’est un sourcier, un sorcier, doublé d’un Ali Baba, découvreur de cavernes à trésors archéologiques, géologiques et autres. On cantonne trop souvent les spéléologues dans le domaine du sport ou de l’aventure. Admettons qu’il faut être en bonne condition physique pour faire de la plongée et s’enivrer de ses aventures. Mais on oublie parfois que ces spéléologues sont des ingénieurs, des géologues, des hydrologues, des topographes, des anthropologues, des archéologues, etc. «L’exploration des cavités du sous-sol est une activité multidisciplinaire et c’est là une grande évidence : sportifs, et scientifiques travaillent en symbiose à résoudre et comprendre les mystères souterrains», dit M. Sami Karkabi, un des pionniers du Spéléo-Club du Liban. Prospection des ressources souterraines ; réalisations hydrographiques ; découverte des lieux privilégiés aménagés pour le tourisme, et de nombre de grottes qui ont contribué à enrichir les données archéologiques ; étude de la pollution des eaux souterraines fortement souillées par les eaux d’égout et les excréments humains. La spéléo est une affaire publique qui nécessite l’appui des différents ministères : ressources hydrauliques et électriques, environnement, tourisme, culture. Réalisations hydrographiques On ne compte plus les interventions des spéléologues pour découvrir les sources d’eau souterraines qui alimentent Beyrouth et le Liban ; ni les études topographiques et les travaux de sondage pour déterminer l’importance des sources et les relations entre les différentes cavités. Nous citerons à titre d’exemple : — La grotte de Mar Challita au Liban-Nord où coule une rivière souterraine aboutissant à une série de petites sources situées dans une zone d’éboulis. Le ministère des Ressources hydrauliques et électriques a demandé aux services du Spéléo-Club du Liban ( SCL) de relever la topographie précise de la grotte et de capter la source à l’amont. L’ouvrage qui a été construit a permis de canaliser toute l’eau et de minimiser les pertes. — Sans la contribution des topographes spéléologues et plus particulièrement de M. Sami Karkabi, le ministère du Tourisme n’aurait pas pu entreprendre les travaux d’aménagement de la grotte de Jiita. De même que l’Office des eaux de Beyrouth n’aurait pas pu construire le tunnel qui donne accès au siphon terminal. — La grotte de Qachqouch a été explorée par les spéléologues Michel Majdalani ( hydrologue), Antoine Comati et Alain Maroun (physicien). Le trio a traversé son syphon et découvert une rivière souterraine à l’amont. Cette expédition a permis au ministère des Ressources hydrauliques de percer un tunnel débouchant directement sur la rivière et de dévier les eaux vers la canalisation principale de Dbayé. — L’exploration du gouffre de Qattine Azar par l’Ales, la découverte de sa rivière souterraine et les essais de coloration entrepris ont permis de découvrir la relation entre cette rivière et les sources d’Antélias. Ces essais de coloration ont aussi permis une meilleure connaissance du système karstique. — Rappelons que c’est en 1969 que la rivière souterraine d’Antélias a été découverte. À l’époque, les spéléos avaient exploré 2 500 mètres de galeries, avec arrêt sur siphon. Ils devaient démontrer la relation étroite de la rivière d’Antélias avec les sources du Fouar d’Antélias. En 1996, le ministère, voulant accéder à nouveau à la rivière pour la capter et approvisionner en eau la zone s’étendant de Broummana à Mansourieh, fait appel aux membres du Spéléo-Club du Liban pour s’introduire dans le forage ( 80 cm de diamètre) et étudier la cavité. L’exploration de cette magnifique rivière souterraine sera, avec Qattin Azar, le clou de la saison spéléologique 1997. — Ce sont toujours ces sportifs invétérés qui ont déterminé l’origine des eaux des sources de Raayan et de Safa, permettant ainsi au ministère de capter l’eau qui, à travers un conduit principal, alimente ces sources par un tunnel. Avec toujours en toile de fond l’aventure, les explorateurs parcourent le siphon de Jiita et essayent de «comprendre pourquoi on ressent le courant ascendant de l’eau jusqu’à 20 mètres de profondeur alors qu’au-delà tout semble être statique». Ils s’activent à retrouver la rivière souterraine qui alimente les sources de Roueiss afin de la capter, et approvisionner en eau les localités du caza de Jbeil. Ils étudient l’origine des sources de Daichouniyeh pour mettre en évidence les relations existantes entre son système et celui de Dara. Mais la liste est longue. Qadischa : le plus grand centre rupestre Par ailleurs, l’apport des activités spéléologiques à l’enrichissement des données historiques n’est pas négligeable. Des momies phéniciennes de la Qadischa aux sculptures romaines de la grotte de Qalaat el-Hamra, l’archéologie des grottes est marquée du sceau de la spéléologie. «Par vocation et par définition, le spéléo s’enthousiasme pour le karst profond (l’endokarst) aux conduits lui permettant de s’enfoncer le plus loin possible sous terre. C’est donc dans ce domaine où se démontre par excellence l’indissociable relation entre l’exploit sportif et l’exploitation scientifique des données», dit M. Hani Abdel Nour. Entomologiste, auteur d’une étude sur Le cavernement au Liban (publiée dans les Annales de géographie, à l’Université Saint-Joseph, 1994), professeur à la faculté des sciences de l’Université libanaise, membre fondateur et président du GERSL ( 1988 – 1992), actuellement membre de l’Ales, M. Abdel Nour indique que «sur quelque 450 phénomènes karstiques inventoriés, 217 cavités présentent un développement supérieur à 20 mètres et par conséquent appartiennent à l’endokarst, donc au domaine systématiquement recensé par les spéléologues. Quant aux phénomènes karstiques superficiels (l’exokarst ), ils relèvent traditionnellement du géomorphologue, de l’archéologue, de l’historien et du préhistorien». En effet, «si les archéologues ont pénétré dans des cavités d’accès facile, les cavités à l’accès difficile ont été explorées par les spéléologues», affirme M. Boutros Abi Aoun, archéologue membre du GERLS. «Chaque grotte a eu sa part de prospection archéologique», ajoute-t-il. Les spécialistes ont établi une carte archéologique sur laquelle figure plus de 200 sites répartis sur le territoire libanais. Les membres du SCL ont planché sur la répartition des ermitages rupestres dans la région de Tannourine. Une étude systématique des cavités de la vallée de la Qadischa a été réalisée par le GERLS. Sur base des manuscrits et des textes anciens, le groupe a «étudié, répertorié et classé toutes les cavités de cette vallée, en les plaçant pour la première fois, dans leur cadre historique authentique. Ce travail a permis d’éclairer l’histoire du Liban médiéval d’une lumière nouvelle», explique Alain Maroun, hydrologue-spéléologue. La vallée de la Qadischa serait le plus grand centre rupestre du Liban. Elle a été classée en 1996 par la Direction générale des antiquités (DGA). Hani Abdel Nour signale toutefois que «les explorations régulières ou intensives des cavernes ont eu lieu dans le Mont-Liban central et les régions de Jbeil et de Batroun». Depuis quelques années seulement, les prospections ont commencé au Nord et dans l’Anti-Liban. Et seuls une paix régionale et un déminage sérieux des lignes de front et autres zones chaudes permettront aux spéléologues d’entreprendre des travaux au Liban-Sud, dans la région de Jezzine et dans l’Hermon, riches en cavités diverses et phénomènes karstiques. Signalons aussi que l’ensemble des découvertes relatives à l’habitat troglodytique et aux aménagements rupestres ont été publiés dans al-Ouat’ouat (édité par le SCL), Le Liban souterrain (GERLS), et Spéléorient (Ales). Des moines éthiopiens et des momies En matière d’iconographie et d’épigraphie, les découvertes des spéléologues sont importantes : — En 1987, la grotte de Assi Haoqa dans la vallée de la Qadischa, révèle la deuxième plus ancienne inscription chrétienne arabe du Mont-Liban. C’est une prière datée de l’an 1504 de l’ère des Séleucides, ce qui correspond à l’an 1193 de l’ère chrétienne. Cette découverte confirme l’existence de chrétiens parlant et priant en arabe dans la vallée de la Qadischa, depuis le XIIe siècle. — En 1991, une autre découverte révèle la présence, au XVe siècle, de moines éthiopiens dans la vallée de la Qadischa. Sous le porche de la grotte Assia, une inscription éthiopienne en écriture guèze est mis au jour. Elle est associée à des inscriptions syriaques et à des fresques de style africain exécutées en rouge ocre sur un crépi blanc. Les épigraphies et les peintures murales couvrent les deux absides d’une église double dédiée à deux saints : Mar Challita et Mar Assia. Grenades et démol — Mais la plus belle découverte reste sans conteste celle de huit corps momifiés, inhumés avec leurs biens, dans la grotte de Assi el-Hadath, dans la Qadischa toujours. Le micro-climat particulièrement sec qui règne dans la grotte a permis la momification des corps, la préservation des habits brodés et des ustensiles en bois, et de matériaux en papier, en cuir et en métal. Ces corps découverts en 1989 remontent au XIIIe siècle. Plusieurs autres découvertes pourraient être citées. Mais la liste est longue. «Toutefois, de multiples facettes de notre patrimoine souterrain demeurent inconnues», souligne M. Boutros Abi Aoun, archéologue et spéléologue. «Il est évident que des fouilles archéologiques qui regrouperaient les différentes compétences et disciplines pourront s’avérer indispensables pour mieux nous éclairer sur le sujet», ajoute-t-il. Les spécialistes font aussi des découvertes accablantes. Ils ont dû explorer à contrecœur de nombreux gouffres dépotoirs et gouffres-égouts dispersés dans les zones rurales à expansion touristique ; mais aussi des dépotoirs explosifs comme celui de Houet Ras Osta. Ce puits de 25 mètres donnait sur une salle truffée de vestiges de guerre : grenades quadrillées, grenades à manchon, mines antipersonnel et débris de vêtements militaires. «Les spéléos se sont déplacés sur la pointe des orteils, avec des sueurs froides et des palpitations cardiaques», raconte Mme Badr Jabbour-Gédéon, membre de l’Ales. Lors de l’exploration du gouffre de Qattin Azar, on a découvert des chaussures de femme et un emballage de démol. Quant à Mgharet Mikha ( près de Hrajel), elle sera bientôt transformée en collecteur d’égout. Sa galerie richement concrétionnée et ornée de magnifiques draperies aboutit sur un lac nauséabond, pollué par les infiltrations en provenance de fosses septiques des maisons surplombant le site. «Une odeur désagréable règne dans certaines parties ; et les magnifiques concrétions sont de couleur grise ou noirâtre. C’est une grotte où il sera bientôt impossible de pénétrer …», disent les spéléos. Des eaux souillées C’est d’ailleurs au cours de leurs tribulations que les spécialistes ont pris conscience de la contamination des nappes phréatiques «par des substances variées aussi bien animales que chimiques», indique M. Sami Karkabi. «Nous étions les premiers à signaler les agressions qui menacent les eaux souterraines. Leurs pollutions, liées au développement économique de notre société, ont atteint aujourd’hui un niveau intolérable». En 1958, suite à de nombreuses défections du personnel de la grotte de Jiita, pour raison de dysenterie amibienne, les responsables procèdent à une analyse bactériologique des eaux de la rivière souterraine. «Ces eaux apparurent fortement souillées, contaminées par des eaux d’égout et des excréments humains», révèle M. Karkabi. Depuis cette époque, les spéléos dirigent leurs recherches vers les ressources hydrauliques souterraines afin de découvrir les causes de leurs pollutions. Une liste exhaustive comportant l’origine probable de la contamination de ces eaux fut établie. Les décharges, tout d’abord. «Dolines, vallées, puits à fond perdu, carrières, grottes, gouffres… Autant de sites recherchés pour les décharges d’immondices et de rejets d’eau usée. Véhiculant matériaux solides ou liquides, ils finissent par frayer un chemin vers les nappes phréatiques», dit M. Karkabi. Il en ressort : l une pollution microbienne. Le lien est aujourd’hui établi entre le développement épidémique de certaines maladies (comme le choléra, la fièvre thyphoïde, l’hépatite virale, la poliomyélite…) et la contamination des eaux souterraines par les déchets. «Il faut savoir que même après épuration des eaux usées, certains germes pathogènes sont encore virulents et susceptibles de contaminer les nappes aquifères du Karst pendant de longues périodes», indique un spécialiste. l une pollution organique. «Nous savons que les cours d’eau subaériens ou souterrains renferment une faune (poissons, anguilles, écrevisses et une faune micro ou macroscopique spécifiquement cavernicole et endogène dont la survie assure l’équilibre de l’écosystème souterrain). Or les substances nocives déversées dans les gouffres et les grottes détruisent cet équilibre…», explique Sami Karkabi. l Quand à la pollution chimique, elle provient des métaux lourds comme l’arsenic, le béryllium, le cadmium, le chrome, le plomb, le nickel, etc. Mais aussi, des pesticides et des hydrocarbures composés de cyanures, de nitrites et de nitrates, «des toxiques qui bloquent l’hémoglobine, asphyxient progressivement le sang et provoquent une cyanose». Or, «avec l’eau de ruissellement des routes, des routes de montagne en particulier, et l’arrosage des champs ou des jardins, ces polluants s’infiltrent dans les caniveaux dont le sol calcaire est fort perméable», dit le spéléologue. Il rappelle qu’«un litre de mazout suffit pour empoisonner cinq mille mètres cubes d’eau». Il faut avoir le courage et l’audace chevillés au corps pour entreprendre dans de telles conditions des explorations souterraines. «Les découvertes faites ces dernières années sont en soi éloquentes. Et je ne dirai pas que les remerciements ont afflué en nombre…», dit Sami Karkabi. Mais il y a eu aussi de très belles aventures : «Le polié de Aaïha a laissé des souvenirs inoubliables et la mégadoline de Maqlaa el-Blât fait encore palpiter les imaginations…», relève Hani Abdel Nour. Et d’ajouter : «Le meilleur reste à faire». Gouffre v/s grotte Toute cavité débutant par une verticale est classée dans la catégorie gouffre ( houet, joura, bir). Inversement, les grottes (magharat ) sont surtout formées par de longs tronçons de galeries horizontales. Les exceptions existent : Houet Faouar Dara débute par un long couloir ; et l’entrée de magharet Aïn el-Libné est un puits d’une dizaine de mètres. Devant des cavités s’enfonçant obliquement sous terre où le spéléologue progresse facilement sans cordes ni échelles, l’indécision se traduit par l’appellation bâtarde de grotte-gouffre. Antélias, le collecteur M. Hani Abdel-Nour indique que la rivière souterraine d’Antélias qui sort à la source de Faouar Antélias est le collecteur aval du mégasystème hydrogéologique de 1 573 mètres de dénivelé composé en particulier par les gouffres de Faouar Dara (-622m) et Qattin Azar ( -510m). Les groupes actifs Il existe quatre groupes de spéléologues actifs sur le territoire libanais : — Le Spéléo-Club du Liban ( SCL), fondé en 1951. — Le Groupe d’études et de recherches souterraines du Liban (GERSL), fondé en 1988 par les membres dissidents du SCL. — L’Association libanaise d’études spéléologiques( Ales), créée en 1994. — Le club de Ouadi el-Arayech, Zahlé, fondé en 1966. Une grotte sépulcrale rasée au bulldozer Un environnement également dévasté du côté de la grotte de Qalaat el-Hamra. Située à deux kilomètres du village de Aïntoura et à une centaine de mètres d’un temple romain surnommé la forteresse rouge (probablement à cause de la couleur du sol), la grotte sépulcrale renfermait des sculptures romaines assez bien conservées. Repérée pour la première fois, en 1957, par Sami Karkabi, Roger Saïdah et Zahi Hakim, la grotte a été rasée au bulldozer par les chasseurs de trésors en 1997. Il ne reste aujourd’hui que des pierres brisées et une terre labourée. Le 7e gouffre de l’Asie La région du Haut-Metn est certainement l’une des plus riches du Liban en phénomènes karstiques et en particulier en gouffres. Elle est aussi la plus explorée depuis 50 ans par les spéléologues libanais. C’est là, non loin de Majdel Tarchich, que se trouve le 7e gouffre de l’Asie: Houet Faouar Dara (profondeur 622 mètres). Il a été découvert, par hasard, par Sami Karkabi, en 1956, alors qu’il cueillait des fleurs !
Un spéléologue, comme un journaliste, est toujours en quête de quelque chose. Et souvent, c’est autre chose qu’il trouve. Et quand des journalistes s’adressent à des spéléologues pour parler eau, c’est sur d’autres découvertes qu’ils tombent. La première étant que la spéléo, comme on dit familièrement, c’est un univers. Aussi touffu dans ses profondeurs que le monde de...