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Actualités - ANALYSE

Fausse note, Monsieur Joumblatt

Déconstruire le discours de Walid Joumblatt n’est pas une chose ardue. Le style est simple et le verbe est bien choisi pour réveiller chez les personnes les moins politisées les instincts sectaires les plus primitifs. D’ailleurs, le chef du Parti socialiste progressiste (PSP) ne s’en cache pas : «Nous ne voulons pas nous fondre dans un Mont-Liban chrétien et perdre notre identité (…). Ce qui se passe est plus grave que la guerre de la montagne». Comprendre le discours et ses justifications est une chose, accepter la logique qui le guide en est une autre. Les appréhensions de M. Joumblatt sont celles d’une minorité qui craint de se dissoudre dans un ensemble plus vaste. Chacune des communautés du pays a éprouvé, à une période ou une autre de son histoire, des inquiétudes similaires. La logique du chef du PSP est purement confessionnelle. Isolé, acculé, marginalisé, il choisit de se renfermer sur lui-même, de battre le rappel de ses troupes, de titiller la “assabiya” druze, un art qu’il maîtrise à merveille. Là aussi, M. Joumblatt n’est pas un innovateur. Beaucoup de chefs chrétiens l’ont précédé dans ce jeu infernal en entretenant et en cultivant chez leur communauté le mythe du chrétien taraudé par une peur atavique du musulman. Pour se protéger, ils ont prêché le repli sur soi, voire la séparation. Les résultats furent dramatiques. Aujourd’hui, c’est le même processus qui se produit, mais en sens inverse. N’empêche qu’un discours confessionnel qui entretient un climat malsain dans le pays et réveille les démons de la guerre ne peut être accepté d’où qu’il vienne. Ce n’est pas parce qu’il sort de la bouche de M. Joumblatt – qui prend soin, disons-le en passant, de l’enrober d’une dose d’arabisme – qu’il n’est plus confessionnel. Les craintes des uns et des autres sont sans doute justifiées. Le poids des druzes s’amenuise dramatiquement à tous les échelons de la société, alors que leur nombre ne cesse de diminuer. Ils ne représentent ni les travailleurs (en majorité des chiites venus de la campagne), ni la bourgeoisie industrielle et financière (sunnite et chrétienne), ni la classe moyenne. Dans l’administration aussi, leur présence est limitée. Les druzes sont plutôt des petits propriétaires terriens qui (sur)vivent grâce au travail de la terre. En dépit de ce lourd handicap, M. Joumblatt s’est pourtant imposé, tout au long de ces dernières années, comme un leader politique incontournable. Chef unique lorsqu’il détenait pendant la guerre une puissance militaire redoutable et chef relativement contesté en temps de paix, avec le retour du clan Arslan. Pour protéger son leadership, M. Joumblatt s’est allié ces dernières années à la puissance financière représentée par M. Rafic Hariri. Et pour continuer d’entretenir sa clientèle, il s’est taillé un fief au sein de l’État. Avec le nouveau mandat, les deux principales assises de son pouvoir ont disparu. M. Hariri a été écarté et le ministère des Déplacés lui a été retiré. Il se trouve donc dans une situation très délicate. Un Mont-Liban unifié serait pour lui le coup de grâce. Et il serait malheureux que le projet de découpage électoral en gestation ne prenne pas en considération ces appréhensions. Attaquer pour mieux se défendre, voilà ce que M. Joumblatt est en train de faire. Mais dans sa stratégie, très agressive, il y a trois erreurs. Dans son discours incendiaire dimanche, le chef du PSP se pose comme le protecteur des druzes, des chiites et des sunnites du Mont-Liban, «qui refusent d’être des esclaves au service d’une certaine partie du secteur nord» du mohafazat. Pourtant, dans un entretien qu’il nous avait accordé il y a quelques semaines, M. Joumblatt reconnaissait, avec résignation, que son poids politique était réduit au rôle de «chef d’un quart d’une tribu druze». M. Joumblatt semble par ailleurs prisonnier de sa logique de minoritaire quand il assimile l’individu – en l’occurrence le président Émile Lahoud – à la collectivité – les maronites. Il attribue en effet au chef de l’État des intentions confessionnelles, alors que ce dernier n’a encore pris aucune décision justifiant les accusations dirigées contre lui. Au contraire, le président Lahoud a prouvé par ses actes, jusqu’à présent, que ses calculs ne sont pas motivés par d’étroites considérations sectaires. L’erreur la plus grave de M. Joumblatt est celle d’avoir choisi un terrain confessionnel pour l’affrontement. «Le système est confessionnel, on ne peut pas en sortir», nous a-t-il dit, lors d’un entretien téléphonique. Le fondateur du PSP, Kamal Joumblatt, avait opté, lui, pour une stratégie diamétralement opposée. Jamais, en temps de crise, il ne s’est replié sur sa communauté. Il a toujours mené ses batailles avec des alliés chrétiens ou musulmans, en proposant des programmes politiques de dimension nationale. C’est dans la même tranchée que Camille Chamoun qu’il a combattu le Sultan Sélim à l’époque du président Béchara el-Khoury. Dans les années soixante, il a uni ses forces aux chéhabistes. Et c’est, enfin, en proposant un système politique définitivement débarrassé du confessionnalisme qu’il a essayé de s’opposer aux phalangistes et à leurs alliés dans les années soixante-dix. Évidemment, les circonstances ne sont plus les mêmes aujourd’hui, et le Mouvement national n’existe plus. C’est vrai aussi qu’on ne peut faire assumer à Walid Joumblatt la responsabilité de l’affaiblissement des partis laïcs. Mais on peut certainement lui reprocher de n’avoir pas fait assez pour stopper ce processus de déliquescence.
Déconstruire le discours de Walid Joumblatt n’est pas une chose ardue. Le style est simple et le verbe est bien choisi pour réveiller chez les personnes les moins politisées les instincts sectaires les plus primitifs. D’ailleurs, le chef du Parti socialiste progressiste (PSP) ne s’en cache pas : «Nous ne voulons pas nous fondre dans un Mont-Liban chrétien et perdre notre identité...