Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

Après avoir mené l'échange de corps et de prisonniers entre le Liban et Israël Frésard optimiste : Souha Béchara retrouvera bientôt la liberté (photo)

Un échange réussi après d’épuisantes négociations et des scènes de retrouvailles particulièrement émouvantes, la reprise des visites à la prison de Khiam et demain, peut-être, la libération de Souha Béchara, emprisonnée depuis 1987 pour avoir tenté d’assassiner le général Antoine Lahd... En évoquant les moments forts de son année à la tête de l’antenne du CICR à Beyrouth, Jean-Jacques Frésard est résolument optimiste, même s’il reste prudent pour ne pas compromettre les efforts qui continuent d’être déployés discrètement. Il regrette d’ailleurs de quitter le Liban pour une nouvelle affectation au bureau des déplacés rattaché aux Nations Unies, avant d’être rassuré sur le sort des 43 Libanais encore emprisonnés dans les geôles israéliennes et des quelque 130 autres détenus à Khiam. Mais il a bon espoir, car «l’expérience a montré que le meilleur est encore possible». C’est avec une grande modestie que Frésard parle du récent échange de prisonniers et de dépouilles entre le Liban et Israël au terme de huit mois d’âpres négociations et après pas mal de nuits blanches. Et en partant aujourd’hui pour New York, où se trouve sa nouvelle affectation, il pense surtout aux larmes dans les yeux des mères serrant contre leur cœur des fils qu’elles n’avaient plus vus depuis des années. «De tels moments effacent toute la fatigue, la dureté de certaines scènes et parfois le découragement, dit-il. C’est la meilleure des récompenses». Frésard ne sera toutefois plus là pour partager un tel moment avec la mère de Souha Béchara qui, selon lui, pourrait être bientôt libérée. «Elle a, dit-il, fêté son 31e anniversaire en prison (elle y est entrée à 20 ans), mais je ne crois pas qu’elle y restera encore longtemps». Il est heureux de voir que grâce au récent échange, les gouvernements libanais et israélien ont parlé entre eux par CICR interposé et «le gouvernement libanais sort grandi de l’affaire puisque la communauté internationale a pu constater qu’il respecte ses engagements». M. Frésard est aussi heureux d’annoncer la reprise officielle, depuis mardi, des visites à la prison de Khiam. En l’écoutant parler du Liban qu’il aime, «ce paradis qui ne le restera pas longtemps si on continue à saccager l’environnement», du bonheur des parents retrouvant leur fils libéré, et de la dignité des mères qui n’ont pas encore eu cette joie, on ne peut que se sentir un peu honteux de se contenter souvent d’horizons étriqués. Jean-Jacques Frésard est bousculé. Il doit boucler ses malles et faire encore quelques adieux avant de prendre l’avion, mais il trouve quand même le temps d’accorder un ultime entretien à «L’Orient-Le Jour». Sur son affectation à New York, il précise que «les Nations Unies veulent relancer le bureau des déplacés, car la communauté internationale constate qu’il y a désormais plus de déplacés dans un même pays que de réfugiés d’un pays à l’autre». Frésard aurait toutefois souhaité rester encore un peu au Liban, ne serait-ce que pour continuer à œuvrer pour la libération de tous les détenus libanais en Israël. Mais en parlant de l’échange, il se garde bien de dire quoique ce soit qui puisse nuire à ceux qui croupissent encore dans les prisons. Selon lui, le cas de Souha Béchara est entre les mains du général Antoine Lahd. Frésard précise avoir abordé plusieurs fois ce thème avec le chef de l’ALS et, selon lui, l’emprisonnement de Béchara ne devrait plus se prolonger. Selon certaines sources, le général Lahd serait prêt à envisager sa libération, à condition toutefois qu’on n’en fasse pas une héroïne et, donc, qu’elle s’éloigne quelque temps du pays. Selon Frésard, le cas de Moustafa Dirani et Abdel Karim Obeid est bien plus compliqué. «Dès que nous avons commencé à parler d’un éventuel échange, les Israéliens ont aussitôt fait savoir que ces deux-là n’en feraient pas partie», dit-il. Un rôle difficile pour Hariri Selon lui, le jour même de l’opération d’Ansariyé (le 5 septembre 1997), les Israéliens ont contacté l’antenne du CICR à Tel-Aviv pour lui demander d’entamer des négociations avec le gouvernement libanais par le biais de notre antenne à Beyrouth. Surtout qu’un combattant d’Amal avait trouvé la tête du soldat israélien et l’avait remise à l’armée libanaise. «J’ai commencé par m’adresser au ministère des Affaires étrangères qui est notre interlocuteur normal dans ce genre de situation. M. Boueiz se trouvait au Brésil et c’est le président Hariri qui nous a relancés, devenant ainsi le canal et pratiquement le maître d’œuvre de l’opération». Le précédent échange en 1996 avait été réalisé par le biais des Allemands. «Mais en 1997, les Allemands n’avaient pas d’ambassadeur à Téhéran, à la suite de l’incident diplomatique entre les deux pays provoqué par l’affaire Mikonos. Ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas jouer un rôle dans les négociations éventuelles. Il en a été de même pour les Américains. Quant aux Russes, M. Possovaliouk a essayé d’intervenir, mais il s’y est pris un peu tard. En fait, le CICR étant une organisation humanitaire, le fait que nous nous chargions des négociations arrangeait tout le monde». Frésard confie qu’«au départ, les positions étaient très éloignées». Mais, selon lui, les Israéliens, contrairement à l’échange précédent, ne souhaitaient avoir pour interlocuteur indirect que le gouvernement libanais. «Ce ne fut pas facile pour le président du Conseil libanais. Mais il s’est mis à l’abri d’éventuelles contestations futures en choisissant les prisonniers selon leur ancienneté et leur état de santé». Au début aussi, Israël voulait échanger les restes de son soldat contre des dépouilles de combattants libanais. Frésard et son homologue à Tel-Aviv passaient leur temps à échanger des messages et à en envoyer d’autres à leurs interlocuteurs. «Nous étions des facteurs, mais aussi des facilitateurs, essayant de trouver des solutions lorsqu’un nouvel obstacle se présentait». Frésard ne cache pas sa révolte face à l’exhibition par la presse des images des restes du soldat israélien tué à Ansariyé. «Non seulement, cela donne une mauvaise image du Liban à l’étranger, mais de plus j’estime que les restes ont droit à une certaine décence». Il raconte ensuite que lorsque l’avion qui transportait les restes du soldat israélien s’est posé à Tel-Aviv, un rabbin de l’armée est monté à bord, a examiné les restes et a effectué les rites traditionnels pour les morts. Les soldats israéliens ont ensuite embarqué les 40 dépouilles de résistants libanais à bord de l’avion et celui-ci est revenu vers Beyrouth. Selon lui, en cette nuit mouvementée, c’est comme si la distance s’est réduite entre Beyrouth et Tel-Aviv. Frésard précise toutefois que, jusqu’à la dernière minute, les Israéliens doutaient de la réussite de l’opération. «Surtout après les prises de position du président de la Chambre». Il ajoute que lorsque le président du Conseil lui a demandé de traiter uniquement avec lui, cela a facilité sa mission. Bien sûr, il a continué à rencontrer régulièrement le secrétaire général du Hezbollah, mais il évoquait avec lui des questions diverses, relatives au Sud et éventuellement l’échange. «Toutefois, les négociations ont eu lieu avec le gouvernement uniquement. La France et la Syrie ont favorisé le dialogue, mais celui-ci a eu lieu entre les gouvernements libanais et israélien par CICR interposé», précise-t-il. La Tora et une kippa pour Ron Arad Pendant toute la période des négociations, l’ALS a suspendu les visites à la prison de Khiam, dans une tentative de faire pression sur le gouvernement libanais. «Résultat, les mères venaient chez nous et nous ne pouvions rien pour elles. Heureusement, les visites vont reprendre désormais». Frésard a visité la prison de Khiam, mais comme partout où ils se rendent, les délégués du CICR restent discrets. C’est l’une des conditions posées avant de les autoriser à inspecter les prisons. «Je peux simplement vous dire qu’on ne viole pas les femmes à Khiam, comme on l’a dit. Nous essayons de faire de notre mieux pour améliorer les conditions de détention. En tout cas, lorsque nous visitons une prison, nous exigeons de voir tous les prisonniers (non pas seulement ceux que l’on veut bien nous montrer), d’effectuer des visites régulières (pour vérifier que les prisonniers ne font pas l’objet de représailles), sans témoins et dans un lieu de notre choix pour éviter les micros dissimulés». Le problème c’est que, contrairement aux conventions de Genève, les Israéliens leur interdisent de rencontrer Moustafa Dirani et cheikh Abdel Karim Obeid. Tout comme ils interdisent aux familles libanaises de rendre visite aux détenus libanais en Israël. Par contre, le CICR avait réussi, en 1988, à faire parvenir au pilote israélien, Ron Arad, capturé au Liban en 1987, la Tora et une kippa. Mais ensuite, il n’y a plus eu de nouvelles de ce pilote. «Ce silence est d’ailleurs inexplicable. Pourtant, il n’y a pas de raison pour croire qu’il est mort. Sa réapparition favoriserait un nouvel échange...». Frésard évoque aussi trois autres soldats israéliens disparus en 1982, à Sultan Yacoub, dans la Békaa-Ouest, où leur tank s’était fourvoyé. «On a retrouvé le tank, mais jamais les corps des soldats. On sait qu’ils sont morts, mais leurs dépouilles n’ont jamais été rendues...». Frésard rappelle que la mission du CICR ne se limite pas à négocier des échanges ou à visiter des prisonniers. «Nous nous occupons de la situation des gens vivant dans la zone occupée et dans les villages le long de la ligne de front. Nous essayons ainsi de négocier le rapatriement des dépouilles des miliciens de l’ALS originaires de localités hors de la zone occupée. Le gouvernement libanais refuse. C’est dommage car on peut bien rapatrier les dépouilles des soldats israéliens, mais les Libanais ne peuvent reposer dans leur village natal, simplement parce qu’ils ont choisi le mauvais camp...». Frésard est conscient que son activité lui renvoie souvent une image déformée du monde. «On ne voit plus que l’humanité qui s’entre-tue, les familles séparées, les drames, les injustices et à la longue, c’est pesant». Du Liban, Frésard a connu le meilleur et le pire. Il évoque son expérience en 1982, lors de l’invasion israélienne. «C’était dangereux, horrible, mais il fallait agir». En 1997, c’était bien sûr différent, mais «toujours aussi intense». «Je reviendrai sûrement au Liban, ajoute-t-il. Il y a, ici, une douceur de vivre qu’on ne trouve nulle part ailleurs. J’espère que les Libanais préserveront ce paradis...».
Un échange réussi après d’épuisantes négociations et des scènes de retrouvailles particulièrement émouvantes, la reprise des visites à la prison de Khiam et demain, peut-être, la libération de Souha Béchara, emprisonnée depuis 1987 pour avoir tenté d’assassiner le général Antoine Lahd... En évoquant les moments forts de son année à la tête de l’antenne du CICR...