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Actualités - OPINION

A l'Irwin Hall - LAU "La Bakara" de Thérèse Awad Basbous : vingt-cinq ans plus tard...(photos)

C’était une période faste pour le théâtre libanais. A l’époque on n’avait même pas besoin d’une salle avec sièges capitonnés et rideaux en velours cardinal pour faire triompher un texte qu’on découvrait avec infiniment de plaisir et permettre à une comédienne au regard de braise de nous offrir, en toute spontanéité, une de ses plus belles performances. Qui se souvient encore de Dar el-Fan et de ses soirées beyrouthines intellectuellement «in»? Ils sont certainement peu nombreux mais aussi, bien disséminés aujourd’hui ceux qui ont applaudi en 1973, dans cette demeure à l’architecture typiquement libanaise, sur les planches d’une petite scène improvisée, la première version de «La Bakara» de Thérèse Awad Basbous, adaptée et mise en scène par Fouad Naïm, et où Nidal Achkar brossait un superbe portrait de femme à la fois comblée et déchirée au cœur d’un verbe aussi éblouissant qu’un feu d’artifice… Est-ce par pure nostalgie, goût du passé ou tentation de la découverte que le groupe des élèves de la section des Humanités du L.A.U. a été exhumer ce texte foisonnant d’une femme-poète qui n’a pas fini jusqu’à ce jour, de par le biais de ses multiples écrits, de s’interroger sur la notion du couple et de la nature de la femme? Vingt-cinq ans plus tard, mise en scène par Chirine Khatib et Sandra Husni «La Bakara» (la bobine) de Thérèse Awad Basbous ne semble pas avoir épuisé l’écheveau de ses mots… Plus proche de sa conception initiale, cette pièce oscillant entre les frémissements de la poésie, les labyrinthes du rêve et une certaine vision d’absurde est ici reprise avec la fougue et la véhémence de jeunesse, d’une nouvelle génération. Une génération plus mûre car elle assista à dix-sept ans de guerre. Dans un décor minimaliste avec échafaudage en fer comme pour suggérer l’idée d’une prison ou d’élévation, les acteurs, constamment tendus comme des cordes, défendent ce texte souvent déroutant, opérant par fulgurances poétiques et parfois même par onomatopées associations verbales ou interjections. Courte, dense, faussement concise, «La Bakara» débobine un flot impétueux de vocables. Sans situations précises, sans action au sens propre du terme, sans conflits apparents, sans heurts palpables, elle met en fait en scène l’éternelle dualité femme-homme et l’unicité d’un être. Discours à découvert mêlant avec finesse mais aussi parfois une sourde brutalité des combats intérieurs inavoués. Est-ce de solitude de femme qu’il s’agit, est-ce d’une fusion de couple, est-ce d’une entente — mésentente dans les étapes de la guerre des sexes? Tout cela à la fois se mêle et s’imbrique en une trame confuse, saccadée, haletante avec des passages-embellies comme une partition aux stridences multiples brusquement flottant au gré d’une vaporeuse mélodie… Mais ce qui prédomine dans cette œuvre habitée à la fois par une fureur interrogative et une sorte de délire verbal, c’est la sensualité des mots. L’auteur glisse imperceptiblement tout un flot de sensations et d’émotions qui non seulement pimentent généreusement un texte aux digressions multiples mais lui donnent une teneur et une épaisseur insoupçonnables. Il est évident toutefois qu’il s’agit là d’une voix de femme. Douce, amère, vindicative, possessive, rêveuse, hystérique, intarissable, elle chante sur un tempo bien moderne, en un arabe guttural aux inflexions hachées, l’éphémère du bonheur, cette utopie, ce mystère que nul n’élude… «La Bakara» par-delà l’apologie d’une harmonieuse paix entre les deux sexes, fait surtout vivre toutes les contradictions d’une femme et s’érige, dans sa musicalité blessée, comme une complainte d’écorché… Les acteurs ont défendu avec zèle et enthousiasme un texte secret et elliptique. Mais ils auraient certainement à gagner, pour plus de netteté, en plaçant mieux leur voix pour un débit moins rapide et nerveux. Les costumes, de coupe originale, rappellent un peu les tragiques grecs et les œuvres mystiques du Moyen Age. Juste conciliation avec un verbe qui défie le temps et dont l’atmosphère est spatiale. Vingt-cinq ans plus tard, après tant de deuils et de chagrin, la voix de la veuve du sculpteur Michel Basbous, jaillie des ombres blanches de Rachana, continue à nous entretenir d’un monde à la fois étrange et onirique où la conquête de soi et le bonheur ne sont pas forcément un grand cristal clair…
C’était une période faste pour le théâtre libanais. A l’époque on n’avait même pas besoin d’une salle avec sièges capitonnés et rideaux en velours cardinal pour faire triompher un texte qu’on découvrait avec infiniment de plaisir et permettre à une comédienne au regard de braise de nous offrir, en toute spontanéité, une de ses plus belles performances. Qui se...