Rechercher
Rechercher

Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Un séminaire organisé par le Cermoc Reconstruction ne rime pas toujours avec réconciliation

La reconstruction n’entraîne pas nécessairement la réconciliation. C’est ce qu’ont constaté en gros les chercheurs du CERMOC dans les enquêtes qu’ils ont présentées hier au cours d’un séminaire qui a mis en relief l’impact que la reconstruction dans certains quartiers pourrait avoir sur la réconciliation entre différentes communautés, sociétés et forces politiques. Le séminaire, organisé par le CERMOC, avec pour thème «Reconstruction et réconciliation», s’est tenu au Centre culturel français. Des chercheurs, politologues, anthropologues et sociologues ont exposé le fruit de leurs enquêtes, pour la plupart dans des quartiers à l’origine mixtes et qui connaissent aujourd’hui un mouvement de retour. Les activités du colloque se poursuivent aujourd’hui. Tous les travaux présentés au cours de ce séminaire font en fait partie d’un programme qui s’intitule «Vie commune et mémoire partagée», financé par l’Union européenne et auquel participent des Français et des Allemands. Le CERMOC (Centre d’études et de recherches sur le Moyen-Orient contemporain) qui s’occupe du projet collabore avec l’«Orient-Institut» pour la définition d’un espace de réconciliation. Mais pourquoi avoir choisi le Liban? Mme Elizabeth Picard, directrice du CERMOC, précise que «le Liban a connu des guerres, ce qui rend la réflexion autour de la reconstruction et de la signification de la réconciliation primordiale, notamment le rôle de la mémoire de la guerre dans la reconstruction». Mme Picard avoue que «le tableau de la situation dressé par les chercheurs est sévère et n’est pas particulièrement optimiste, mais ils ne font que constater ce qu’il y a sur le terrain». Après plus de quinze ans de guerre qui ont pratiquement séparé les communautés et confiné chacune d’entre elles dans des régions bien précises, les quartiers qui ont retrouvé récemment leur caractère mixte sont un bon baromètre de l’état de la vie commune, ou plutôt de la reprise de vie commune, au Liban. Les régions qui ont été étudiées sous cet angle sont Hadeth (un quartier), l’est de Saïda, Zghorta et Tripoli. Un exemple d’exode rural dans la banlieue-sud, le projet «Elyssar» dans la banlieue sud-ouest et le rôle des associations écologiques ont été également examinés. Les conclusions des chercheurs n’étaient généralement pas optimistes en ce qui concerne la vie commune (et pas seulement intercommunautaire) de l’après-guerre. Le rôle de l’Etat a été souvent relevé, généralement pour marquer son absence dans le règlement de conflits, sinon son rôle négatif. M. Waddah Charara, sociologue et professeur à l’Université libanaise (UL), a parlé d’un groupe de nouveaux migrants dans un quartier de la banlieue-sud, des personnes, venant toutes du caza du Hermel et qui ont créé leur propre réseau de bus, n’acceptant pas les étrangers au sein du groupe. «Le groupe a besoin d’avoir recours à la complicité et à la corruption, sachant que, sans cette corruption et sans la solidarité du groupe et son homogénéité, la survie du métier et sa rentabilité auraient été difficiles», a-t-il dit. Mais les membres du réseau savent que leurs privilèges sont fragiles et rêvent d’évasion soit vers le village natal, soit vers l’Europe, donc la «réconciliation» avec la ville n’en sort pas raffermie. La situation de ménages de confessions différentes vivant dans deux immeubles dans un quartier de Hadeth et les relations amicales ou conflictuelles qu’ils ont nouées entre eux depuis leur arrivée (à partir de 1993) ont été examinées par Mme Annie Tohmé, anthropologue à l’Université Saint-Joseph (USJ). Le quartier était déjà mixte avant la guerre, et ses habitants appartenaient à une classe sociale aisée. Aujourd’hui, les résidents nouveaux et anciens appartiennent à la même classe sociale, à revenu très modéré, mais le quartier a retrouvé sa mixité. Les relations passent de bonnes, à volontairement marginalisées, à conflictuelles (notamment pour des raisons financières), les différences de confession n’étant pas le seul critère. Pour définir l’Autre, les anciens résidents notamment se réfèrent à un système de valeurs d’avant-guerre, mais certains nouveaux n’ont parfois jamais connu des situations pareilles. Cependant, la plupart des ménages étant d’origine rurale, ils qualifient de stressante la vie en ville et ne s’y adaptent pas vraiment. La lutte entre deux «villes ennemies», Zghorta et Tripoli (Liban-Nord), a été analysée par M. Chawki Doueihy, anthropologue et professeur à l’UL. Même avant la guerre, les deux villes représentaient deux réalités opposées: Tripoli se considérait comme le foyer de l’arabisme, et Zghorta comme le foyer du maronitisme dans la montagne du Nord. Entre les deux villes, se trouve un quartier mixte, Kobbé, qui a repris sa fonction après la guerre, les chrétiens de Zghorta l’ayant réintégré. Dans le quartier, les maronites ne s’impliquent pas beaucoup, exerçant toutes leurs activités à Zghorta, alors que les sunnites s’intègrent totalement et participent activement aux activités du quartier. M. Doueihy a conclu par le constat suivant: «Cet espace risque d’avoir des lendemains difficiles». Youssef Jebahi, sociologue et professeur à l’UL, et Emmanuel Bonne, politologue au CERMOC, ont traité le cas des chrétiens de l’est de Saïda. La reconstruction des villages y est largement entamée et 40% des déplacés y sont revenus. Mais selon les deux chercheurs, la réconciliation n’a pas vraiment eu lieu, et le dialogue prend la forme d’une négociation. Voilà pourquoi le Conseil politique — qui regroupe les différentes instances politiques de Saïda — et le Cercle de dialogue du RP Sélim Ghazal ont été créés. Mais les chrétiens n’ont pas intégré la vie politique de Saïda, et sont représentés uniquement par leurs instances religieuses. Il n’ont donc pas de réelle présence politique. Un autre cas impliquant des négociations, la construction de la ville «Elyssar» dans la banlieue sud-ouest de Beyrouth a été exposé par Mme Mona Harb el-Kak, architecte et politologue à l’université de Montpellier. Les trois acteurs du projet sont le président du Conseil, Rafic Hariri, le Hezbollah et Amal. Les deux forces politiques chiites ont été incluses par M. Hariri, qui assure le financement, à cause de leur influence auprès de leur base populaire. Le dialogue est renforcé par les intérêts interdépendants, et sert en même temps de règlement de conflits. Les négociations visent pour chacun des acteurs à maximaliser ses intérêts tout en arrivant à un intérêt commun. Manipulation, pressions et échanges marchands sont trois procédés utilisés par les pôles adverses. En définitive, Elyssar est un projet de reconstruction qui concilie entre des intérêts contradictoires. Enfin, M. Karam Karam, politologue à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, a parlé du rôle grandissant des associations écologiques dans la société libanaise. Le mouvement associatif essaie aujourd’hui de rattraper le retard, vu la dégradation de la situation. Mais les militants écologistes auront eu parfois besoin de mener des campagnes pour sensibiliser les gens à leur intérêt.
La reconstruction n’entraîne pas nécessairement la réconciliation. C’est ce qu’ont constaté en gros les chercheurs du CERMOC dans les enquêtes qu’ils ont présentées hier au cours d’un séminaire qui a mis en relief l’impact que la reconstruction dans certains quartiers pourrait avoir sur la réconciliation entre différentes communautés, sociétés et forces...