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Actualités - OPINION

Tapis rouge

Hafez el-Assad à Beyrouth avant le mois d’octobre: un tel déplacement, rêvons un peu, avait tout pour être ordinaire, coutumier, routinier même, sinon banal, s’agissant après tout de deux pays partageant une même frontière et une bonne tranche d’histoire, deux pays se qualifiant volontiers de frères et liés, de surcroît, par un pacte de coopération. Que ce séjour libanais du Raïs syrien revête au contraire un caractère aussi exceptionnel, aussi historique, en dit long sur les vicissitudes d’un passé encore récent, mais aussi sur la foule de questions — pourtant vitales — qui demeurent en suspens dans les consciences collectives, malgré une décennie ou presque de coordination totale entre les deux régimes syrien et libanais. Ces angoisses, il faut espérer que la visite du président syrien contribuera puissamment à les dissiper, et cela dans l’intérêt bien compris de tous. Ce ne sera certes pas chose facile: encore nombreux sont ceux qui croient que Damas ne s’est jamais vraiment résigné à l’indépendance de son petit voisin, artificiellement détaché de la «Syrie naturelle» par la Puissance mandataire française. De manière plus épisodique, la Palestine — Transjordanie incluse — a fait l’objet des mêmes revendications ou prétentions historiques, même si la Syrie a fini par concéder au Trône hachémite ce qu’elle a toujours refusé catégoriquement au Liban: l’instauration de relations diplomatiques normales, avec échange d’ambassades. «Un seul peuple, deux Etats»: la formule célèbre du président el-Assad devrait pouvoir rassurer les inquiets, si seulement un processus crédible d’émancipation de l’Etat libanais venait lui conférer un caractère définitif, permanent, irréversible. A défaut d’une telle évolution — laquelle passe nécessairement par une représentation nationale plus authentique au sein du pouvoir et par un fonctionnement harmonieux des institutions aujourd’hui arraisonnées — la Syrie n’aurait réussi à se gagner qu’un satellite, et non un partenaire pleinement convaincu. Il est vrai que les dernières élections municipales ont apporté un salutaire bol d’oxygène, donnant à voir un paysage politique nettement plus proche des réalités libanaises que celui offert par les deux législatives de 1992 et 1996; mais pas plus que cette relative régularité ne risquait de menacer le moins du monde les positions de Damas, elle ne peut suffire pour donner bonne conscience à un pouvoir qu’effraie toute perspective de changement. A plus d’un titre, la visite projetée de Hafez el-Assad, dont le pragmatisme et la pugnacité impressionnent même ses ennemis, peut être le point de départ de cette évolution ardemment souhaitée par l’écrasante majorité des Libanais. Ne serait-ce que dans les formes — et cérémonial à l’appui — la présence du premier Syrien devrait conforter la spécificité d’une entité libanaise trop souvent tenue pour une fiction. Par son timing, cette visite pourrait également être le signal d’un renouveau, porteur de promesses, au sommet de la pyramide étatique. Autant en effet M. el-Assad est en droit d’offrir un tel geste d’amitié à un allié aussi fidèle et zélé que M. Hraoui, dont le mandat tire à sa fin, autant une réédition de la prorogation intervenue en 1995 — ou alors l’élection télécommandée d’un président qui n’aurait pour autres atouts que l’agrément de Damas — ne ferait qu’aggraver le malaise populaire, au lieu de le soulager: cela à un tournant proprement décisif du processus de paix au Proche-Orient. On relèvera à ce propos que c’est à partir de Washington que le président Rafic Hariri a fait part du grand «happening» d’octobre, de même qu’il a prédit «du nouveau» pour les prochaines semaines, en ce qui concerne les volets libanais et syrien de la négociation avec Israël: Washington qui, par la voix de Madeleine Albright, a une fois de plus appelé Libanais et Syriens à considérer «sérieusement» la dernière offre israélienne d’appliquer la résolution 425 de l’ONU en échange d’arrangements de sécurité; Washington où la même Albright a souligné la nécessité d’un scrutin présidentiel dans les délais prévus au Liban, laissant croire ainsi que les Américains, après des années de laisser-faire, entendent avoir à nouveau voix au chapitre; Washington enfin où M. Hariri vient de déployer toute la mesure de ses entrées et amitiés occidentales, même si ses prestations verbales n’étaient pas toujours des plus heureuses. Que Beyrouth entretienne des rapports diplomatiques avec Séoul alors que Damas préfère s’abstenir, comme candidement avancé par le premier ministre pour preuve d’une diplomatie libanaise «indépendante», n’aura pas manqué de faire ricaner les experts américains en matière de relations internationales. Pour se laisser aller à en sourire, les Libanais, eux, attendent qu’on leur serve une autre espèce d’arguments.
Hafez el-Assad à Beyrouth avant le mois d’octobre: un tel déplacement, rêvons un peu, avait tout pour être ordinaire, coutumier, routinier même, sinon banal, s’agissant après tout de deux pays partageant une même frontière et une bonne tranche d’histoire, deux pays se qualifiant volontiers de frères et liés, de surcroît, par un pacte de coopération. Que ce séjour...