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Actualités - ANALYSE

Les premières élections municipales depuis 35 ans Une volonté de changement prisonnière des fantômes du passé

On aura décidément tout vu dans ces élections municipales, les premières au Liban depuis 35 ans. Des figures qu’on croyait interdites d’apparition sur la scène publique, comme Yahya Chamas (le député condamné pour trafic de drogue puis amnistié) et Sobhi Toufayli dans la Békaa, Kamel Assaad au Sud et Samir Geagea un peu partout, ont brusquement refait surface. Des alliances totalement inattendues, voire contre nature, ont été nouées dans certaines localités, comme celles du Hezbollah et des «Forces libanaises», en principe dissoutes, avec le président du Conseil, M. Rafic Hariri, le courant de Kamel Assaad avec le Hezbollah, le mouvement Amal avec le PCL, le PSNS avec le parti Kataëb, etc. De quoi fausser tous les pronostics et toutes les analyses basées sur la logique et les critères politiques traditionnels. Bref, toutes les cartes que l’on croyait connaître se sont trouvées brouillées. Ce qui est sûr, c’est que ces élections ont été un test aussi bien pour le pouvoir que pour le peuple, peu habitué à exercer ses droits après des années de guerre et de pressions diverses. Et, curieusement, tous deux sortent renforcés par cette épreuve: le pouvoir en tant qu’autorité et le peuple qui, avec une extraordinaire vitalité, a choisi plus ou moins librement ses représentants dans les divers conseils municipaux, suivant des critères qui n’appartiennent qu’à lui. La principale leçon à tirer de tout cela, c’est que, désormais, aucune partie, personne ou courant ne peut plus prétendre parler au nom de sa communauté, de sa ville ou de sa région. Même Michel Murr, qui, tout au long de ce mois électoral, a pratiquement accompli un parcours sans faute et sort renforcé en tant que leader du Metn et en tant que ministre de l’Intérieur, doit quand même tenir compte d’un réseau d’alliances diffus, mais réel. Le résultat est un peu plus nuancé pour le président du Conseil que l’on présente généralement comme un des grands vainqueurs de cette consultation. S’il est vrai que ses tentacules s’étendent à tous les mohafazats, il a quand même échappé de justesse à la catastrophe dans sa ville natale, Saïda. Si l’on examine les chiffres, sa gigantesque coalition avec la Jamaa islamiya et le courant du Dr Nazih Bizri, face à un Moustafa Saad isolé, ne lui a permis d’enregistrer que 55% des suffrages. Autrement dit, 45% des votants ont exprimé leur désapprobation au sujet de la politique menée par le président du Conseil. Et Moustafa Saad, qui aurait pu obtenir quelque 5 sièges dans la formule de coalition proposée par Bahia Hariri, a préféré mener seul la bataille et n’obtenir qu’un siège, tout en gagnant en crédibilité et en cohérence. Petits calculs et grands principes Cela n’a sans doute pas été le calcul du Hezbollah, dont les alliances disparates ont déstabilisé la base. La formation islamiste qui s’est toujours voulue au-dessus de la politicaillerie libanaise, s’est trouvée, pourtant, à la faveur de ces élections, totalement enlisée dans le bourbier politique local. Ne voulant voir d’autre adversaire que son rival sur la scène chiite, le président de la Chambre Nabih Berry, le Hezbollah a commencé par se lancer seul dans la bataille de la banlieue sud qu’il a d’ailleurs remportée. Mais à Beyrouth, il s’est rallié à la liste de coalition appuyée par le président du Conseil, aux côtés des «Forces libanaises» mais aussi d’Amal. La victoire de la liste n’est donc pas la sienne. Au contraire. Preuve en est le cafouillage et les résultats mitigés au Sud, ainsi que sa défaite dans la ville de Baalbeck où il est né en 1982. Pour ses alliés traditionnels, au Parlement et sur la scène politique (les parties de gauche, Moustafa Saad, Najah Wakim etc.), la crédibilité du Hezbollah à sérieusement été entamée, parce qu’il a préféré de petits calculs électoraux à de grands principes politiques. Reste aussi l’opposition dite chrétienne qui a éclaté en morceaux au cours de ces élections. Si le courant aouniste a adopté une position en harmonie avec les principes qu’il affiche, on comprend mal comment les «Forces libanaises» ont pu intégrer la liste de coalition parrainée par un pouvoir... qui a mis leur chef en prison. Les arguments avancés à cet égard, selon lesquels il ne s’agit pas d’une bataille politique mais d’une tentative visant à préserver l’équilibre communautaire, ne tiennent pas, car la liste d’opposition présidée par M. Fakhoury est elle aussi composée à égalité de chrétiens et de musulmans. De plus, quoi qu’on dise, à Beyrouth surtout, mais aussi un peu partout, la bataille des municipales a une coloration politique et on voit mal désormais les FL fustiger un pouvoir, et son parrain, qu’elles accusaient il n’y a pas si longtemps encore de tous les maux. C’est que, pour les FL, ce qui compte, c’est de retrouver, à n’importe quel prix, une place sur la scène politique. Et, pendant la bataille de Beyrouth, les habitants des quartiers Est de la capitale se sont pratiquement retrouvés devant un tableau leur rappelant de tristes souvenirs: une lutte sans merci entre les aounistes et les partisans des «Forces libanaises». On comprend mal aussi la logique du PNL qui a poussé ses partisans à voter massivement au Chouf (où se présentait notamment le chef du parti, M. Dory Chamoun) pour appeler au boycott du scrutin à Beyrouth. L’inconscient collectif Finalement, ces attitudes ne semblent répondre qu’à des considérations tout à fait locales et n’ont rien à voir avec les principes énoncés depuis 1990 par les pôles dits de l’opposition. Résultat, les électeurs chrétiens ne savaient plus où donner de la tête... et à qui donner leurs voix. Beaucoup ont boudé les urnes et d’autres ont voté par sympathie personnelle ou par intérêt. Bref, l’opposition dite chrétienne sort amoindrie et discréditée de cette consultation, d’autant que les fantômes d’un passé que l’on s’est échiné pendant ces années «taëfiennes» à effacer ont très vite resurgi. Seule, Zahlé a échappé à ce schéma. Et ce n’est pas tant à cause d’une pseudo-unité retrouvée des pôles de l’opposition dite chrétienne, mais plutôt grâce à un inconscient collectif chez les habitants du chef-lieu de la Békaa. La campagne menée par les partisans d’Elie Skaff et de certains leaders opposants, voulant que ces élections soient un vote de sanction pour le chef de l’Etat, sur le plan chrétien, a porté ses fruits. Tout en restant dans la tradition skaffiste de la ville, les Zahliotes ont préféré montrer au président Hraoui qu’ils ne lui pardonnaient pas les décisions prises au début de son mandat et qui étaient jugées, à cette époque, impopulaires par la rue chrétienne. Certes, il y a encore beaucoup de choses à dire sur ces élections. Les sociologues et autres chercheurs auront ainsi de la matière pour alimenter leurs analyses. Mais la première impression qui se dégage, c’est que, dans certaines régions, les électeurs sont encore tournés vers le passé, sans doute parce qu’on ne leur propose pas un nouveau discours et de nouveaux défis. Ne serait-il pas temps de songer au futur ou bien faut-il attendre 35 autres années?
On aura décidément tout vu dans ces élections municipales, les premières au Liban depuis 35 ans. Des figures qu’on croyait interdites d’apparition sur la scène publique, comme Yahya Chamas (le député condamné pour trafic de drogue puis amnistié) et Sobhi Toufayli dans la Békaa, Kamel Assaad au Sud et Samir Geagea un peu partout, ont brusquement refait surface. Des...