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Actualités - REPORTAGE

Les grands blocs d'électeurs introuvables, panachages confessionnels et participation modeste Sueurs froides à Beyrouth, où les rumeurs étaient plus fortes que les machines électorales (photos)

Tout ne s’est pas passé comme prévu hier à Beyrouth. Dans les impressionnantes machines électorales de la liste coalisée soutenue par le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, quelque chose n’a pas fonctionné. Et dans les calculs de la principale liste de l’opposition appuyée par le député Najah Wakim et le courant aouniste, il y avait une erreur quelque part. Les blocs d’électeurs téléguidés du Hezbollah et de la «Jamaa islamiya», qui devaient en principe garantir une victoire facile à la liste consensuelle parrainée par M. Hariri, n’étaient curieusement pas au rendez-vous. Et l’écrasante majorité des chrétiens n’a rien changé à ses habitudes dominicales, préférant passer la journée d’hier à la plage, à la montagne, ou simplement à la maison, plutôt que d’aller voter. La campagne politique, qui a parfois pris la tournure d’un matraquage médiatique pour pousser les chrétiens à accomplir leur devoir d’électeurs au nom de l’équilibre communautaire au sein du prochain conseil municipal, n’a donc pas donné ses fruits. La participation chrétienne n’a pas atteint dans le meilleur des cas les 30%, faussant du même coup les calculs de la liste opposante qui pensait compenser un petit peu, à travers un vote massif des chrétiens, le déséquilibre provoqué par l’intégration des grands blocs d’électeurs basés dans le secteur ouest de Beyrouth (ou à l’est concernant le Tachnag) à la liste de M. Hariri. Une surprise en cache une autre: dans les quartiers à majorité mahométane de la capitale, la ruée sur les urnes n’a pas eu lieu, le chiffre de 40% de participation ayant rarement été dépassé. Pourtant, les machines électorales des différentes parties passent les dernières heures à rameuter leurs troupes, n’hésitant pas à faire du porte-à-porte et à quadriller tous les quartiers de Beyrouth, pour mobiliser le maximum d’électeurs. Dès 5h30 dimanche, ces machines entament leur dernier sprint. Dans un Beyrouth endormi, les QG des deux principales listes rivales sont en ébullition. A Zeidaniyeh, sous une immense tente dressée sur un parking, un homme d’une cinquantaine d’années passe en revue, sous un grand portrait du président Hariri, les derniers préparatifs, une heure et demie avant l’ouverture des bureaux de vote. A Bourj Abi Haïdar, l’état-major de la liste d’opposition de M. Abdel Hamid Fakhoury fait le dernier point de la situation. Le chef de la machine, M. Abed Ladiki, et son adjoint Charbel Chalhoub donnent leurs dernières instructions aux délégués et aux scrutateurs. A Tabaris, dans l’immeuble Khayat, les jeunes partisans du général Michel Aoun — qui ont deux candidats dans la liste Fakhoury — révisent leur plan d’action. Des groupes de militants chargés d’encadrer et de guider les électeurs sont formés. Un peu plus haut, près de l’église Saint-Nicolas, ce sont les sympathisants des «Forces libanaises» qui se partagent les tâches avant le début des opérations de vote. A Bourj-Hammoud et à Médawar, les vétérans du Tachnag vérifient en bons professionnels le fonctionnement de leur machine électorale parfaitement huilée. De folles rumeurs Dès les premières heures de la matinée, le puzzle beyrouthin, que les différentes parties prétendaient tenir, commence à s’effriter. Les rumeurs les plus folles se répandent aussi vite que le vent: panachages, retraits de candidats, renversements d’alliances, sans oublier évidemment les histoires d’invasion de bureaux de vote par des naturalisés, les achats de voix... Les opérations de vote dans certains bureaux, notamment à Médawar, sont retardées par l’absence de délégués de la liste de l’opposition qui a un manque dans le nombre de scrutateurs dans les régions arméniennes. Le candidat arménien sur cette liste, M. Krikor Keuchguérian, est représenté, en effet, par une quarantaine de délégués seulement, alors qu’il en faut au moins le double pour couvrir tous les centres de vote où sont inscrits les électeurs de cette communauté. Le Tachnag pour sa part n’a aucune difficulté dans ce domaine. Il mobilise environ 200 scrutateurs. Ce petit problème réglé, le processus électoral peut démarrer. Les trois premières heures, les bureaux de vote sont modérément fréquentés. Beaucoup d’électeurs se plaignent des carences administratives classiques, moins nombreuses il est vrai que lors des précédentes consultations populaires. A Tarik-Jédidé, Oum Ali Khodr cherche désespérément le bureau où elle doit accomplir son devoir d’électrice. «En 1996, j’ai voté à l’école secondaire el-Farouk. Cette fois, ce centre n’existe plus et je ne sais pas où aller», se lamente-t-elle. Elle hésite à se renseigner auprès des bureaux électoraux de la liste consensuelle (de M. Hariri). Il y en a un tous les 50 mètres. «Les délégués de cette liste risquent de m’accompagner jusqu’à l’isoloir pour me demander de voter pour eux», explique-t-elle. Oum Ali se résigne enfin à s’informer auprès de l’un de ces bureaux. L’endroit où elle doit voter a été transféré à l’autre bout de la ville. Elle se fraie un chemin dans un embouteillage monstre. Mais avant d’arriver dans la salle de vote, Oum Ali est assaillie par des dizaines de délégués agglutinés devant l’école et qui lui filent des listes de tout genre. La plupart des électeurs ont l’impression d’être agressés par cette armée de délégués dont l’insistance frôle souvent l’indélicatesse. Un petit coup d’œil sur les bulletins qui recouvrent le sol montrent bien que les imprimeurs de la nuit n’ont pas chômé. Dans les quartiers sunnites, une liste «piégée» circule beaucoup: elle contient les noms de tous les membres de la liste Hariri, à part un seul qui est remplacé par Badr Tabech, le candidat des Ahbach. Dans les quartiers sunnites, un autre bulletin, visiblement fabriqué par le Hezbollah, fait son apparition. Il s’agit de la liste de M. Fakhoury, dont un membre chiite, Nohad Hodroj, est remplacé par le candidat du parti islamiste, Amine Cherry, qui figure officiellement sur la liste appuyée par le premier ministre. Mais ce sont là des jeux d’enfants qui se produisent lors de toutes les élections. Les vrais problèmes commencent vers midi quand il apparaît qu’un panachage effréné, à connotation confessionnelle, est pratiqué dans les quartiers ouest de la capitale et, dans une moindre mesure, dans les secteurs est. Un bulletin imprimé circule à l’ouest, dit-on. Il comporte 24 noms sunnites. L’information est gonflée par des rumeurs propagées par des professionnels de la guerre psychologique et le téléphone arabe se charge de faire le reste. Les médias reprennent la nouvelle et l’amplifient. La situation s’aggrave lorsque à l’Est, le panachage devient systématique. Le problème devient dangereux parce que si les chrétiens de la liste Hariri ne sont pas élus, ce sont des candidats (probablement musulmans) de la liste opposante qui risquent de percer. Que faire pour recoller les morceaux? Visiblement, la machine électorale de la liste de M. Hariri est très affectée par cette information. Elle est paralysée pendant un certain temps et le contrôle des événements semble lui échapper. Pour tenter de reprendre la situation en main, le candidat de la «Jamaa islamiya» membre de la liste consensuelle, Issam Barghout, se rend au QG des «Forces libanaises» dissoutes à Achrafieh, pour essayer de resserrer les rangs. Flanqué de M. Joe Sarkis, candidat des FL, il lance un vibrant appel à ses partisans, leur demandant de préserver l’entente et l’équilibre communautaires dans leur vote. Démobilisation L’image se brouille davantage lorsque, vers 14h, une autre rumeur se répand comme une traînée de poudre. M. Sarkis se serait retiré de la course, suivi par M. Alain Biffani, candidat aouniste dans la liste de M. Fakhoury. M. Sarkis, qui a à sa disposition le plus puissant média du pays, la LBC, dément rapidement la nouvelle. M. Biffani a beaucoup plus de mal à le faire. Pendant ce temps, du côté des Arméniens, les esprits s’échauffent. Des informations en provenance de Ras-Beyrouth précisent que les noms des candidats Tachnag sont systématiquement rayés. Le grand parti arménien répond en réaffirmant sa détermination à voter pour toute la liste Hariri au sein de laquelle il est représenté par trois candidats. Les sympathisants du Tachnag sont effectivement réputés pour leur discipline. Mais le panachage est pratiqué, même s’il reste limité. Ce panachage est encouragé par l’existence sur la liste Fakhoury de deux Arméniens, dont le président de l’Association Ararat, soutenu par d’autres associations. Krikor Keuchguérian se présente comme le candidat des arméniens indépendants qui «veulent se libérer de l’hégémonie du parti unique». Il serait appuyé par le Parti communiste libanais. Toute la journée, Keuchguérian et les responsables du Tachnag se livrent à une guerre médiatique. L’intéressant dans la bataille de Beyrouth est que les deux plus importantes formations alliées à M. Hariri, le Hezbollah et la «Jamaa islamiya», n’ont pas pu — ou n’ont pas voulu — faire le plein de leurs voix. Des responsables du Hezbollah nous assurent que seule la moitié des sympathisants du parti a accompli son devoir d’électeur. Il faut dire que la base du Hezbollah, endoctrinée pour une bataille sans merci dans la banlieue sud de Beyrouth il y a deux semaines, n’a pas compris comment le parti pouvait s’allier à Beyrouth, aujourd’hui, à son ennemi d’hier. La Jamaa s’étonne aussi que pas plus de 30% de ses partisans se soient rendus aux urnes. Autant de facteurs qui ont sûrement provoqué des sueurs froides dans le dos des responsables de la machine électorale de M. Hariri. Et si l’équilibre communautaire n’était pas atteint au sein du prochain conseil municipal? Piètre consolation: chrétiens et musulmans ont de toute façon fait preuve d’une indifférence à l’égard de ce scrutin, pourtant le premier depuis 46 ans. Au-delà des considérations d’équilibre confessionnel et des calculs de boutiquier, c’est tout le comportement des habitants de Beyrouth qu’il faut étudier. Les arguments développés pour les inciter à participer au scrutin ne les ont pas convaincus. Et pourquoi ne pas réviser aussi ces arguments? Le mal vient peut-être de là.
Tout ne s’est pas passé comme prévu hier à Beyrouth. Dans les impressionnantes machines électorales de la liste coalisée soutenue par le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, quelque chose n’a pas fonctionné. Et dans les calculs de la principale liste de l’opposition appuyée par le député Najah Wakim et le courant aouniste, il y avait une erreur quelque part. Les blocs...