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Actualités - REPORTAGE

La "mère des batailles"à Tripoli sur fond de règlement de compte Karamé-Hariri(photos)

A Tripoli la spacieuse (el-Fayha’), il n’y a décidément pas de place pour tout le monde. Personne ne veut composer, chacun veut éliminer l’autre. Les uns veulent affirmer une présence politique acquise lors des dernières élections législatives et renforcée par la conjoncture actuelle, les autres veulent récupérer à la faveur du scrutin municipal un leadership traditionnel affaibli par un concours de circonstances. Et tous s’affrontent par listes interposées. Entre les deux parties, il y a, comme toujours, ceux qui préfèrent rester neutres par crainte de faire le mauvais choix. L’affrontement qui dure depuis bientôt six ans entre le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, et son prédécesseur, M. Omar Karamé, a incontestablement marqué la consultation populaire au Liban-Nord. Mais il était inégalement perçu d’une région à l’autre. A Tripoli, la bataille a nettement pris la tournure d’un combat de chefs entre MM. Karamé et Hariri. Et même si, comme le pensent certains, l’ancien chef du gouvernement a sciemment exagéré le rôle de son successeur en le présentant comme un prédateur politique insatiable voulant phagocyter tous les learderships régionaux du pays, ses rivaux dans la ville n’ont pas assez fait — ou dit — pour démentir ses affirmations. Dans la ville d’el-Mina et à Kalamoun, les deux autres municipalités du triangle tripolitain, la bataille électorale était beaucoup moins influencée par le bras de fer Hariri-Karamé. El-Mina, qui constitue le prolongement naturel de Tripoli en direction de la mer, possède son propre Conseil municipal de 21 membres. Celui de Kalamoun, à l’entrée sud du chef-lieu du Liban-Nord, est composé de 15 membres. Les trois circonscriptions réunies comptent environ 170.000 électeurs. Tripoli, dont le Conseil municipal est composé de 24 membres, présente donc l’enjeu politique le plus important et le tableau le plus intéressant pour les journalistes. Le «coup de maître» de M. Omar Karamé, qui a annoncé à la grande surprise de ses rivaux une liste verrouillée de 24 membres, a effectivement été bien préparé. L’ancien chef du gouvernement s’est assuré une large couverture communautaire et politique. Il a d’abord proposé comme président de la liste M. Abdel Rahmane Thamine, une personnalité de consensus acceptée par de nombreuses forces, dont la très influente «Jamaa’ islamiya». M. Karamé a su aussi se rallier les alaouites de Tripoli en intégrant à la liste «el-Karamé» (subtil jeu de mot) trois candidats proches des deux pôles de cette communauté, le député Ahmed Hbous et son prédécesseur Ali Eid. La couverture chrétienne est assurée par l’ancien député Sélim Habib et par l’actuel membre du Parlement M. Maurice Fadel. Bien qu’ayant proclamé sa neutralité dans la bataille, ce dernier est représenté dans la liste par M. Walid Moubayyed. Le candidat maronite est Elias Amouri, un fidèle partisan de M. Karamé. La «liste des indépendants» est soutenue par les députés de Tripoli hostiles à M. Omar Karamé, MM. Misbah Ahdab, Ahmed Karamé (le cousin de l’ancien chef du gouvernement) et dans une moindre mesure, M. Abdel Latif Kabbara. Il faut ajouter à ce trio le ministre des Transports, M. Omar Meskaoui. Cet «axe», comme l’appellent les Tripolitains, a adopté la candidature de M. Ahmed Kamareddine, qui conduit une liste également verrouillée, mais visiblement hétéroclite, puisqu’elle a été formée à la hâte à la dernière minute. Ce courant, hostile à Omar Karamé, est animé par les Jisr, une des 14 familles traditionnelles de Tripoli (avec les Karamé, Oweida, Mounla, Adra, Moukaddem, Zaouk, Bissar, Meskaoui, Husseini, Khlat, Naufal, Hélou et les Batch). Des machines disciplinées et omniprésentes La «Jamaa’ islamiya» n’a pas pu vaincre son aversion pour les Ahbachs dont deux représentants ont été intégrés à la liste «el-Karamé». La formation intégriste sunnite a préféré former une liste partielle de 9 membres, intitulée la «Réforme islamique», tout en promettant de donner un mot d’ordre à ses partisans particulièrement disciplinés afin qu’ils votent pour certains candidats proches de M. Omar Karamé. Deux autres listes indépendantes incomplètes participent aussi à la bataille en plus de 81 candidats qui ont préféré livrer un combat en solitaire. Cette distribution des forces, couplée aux enjeux politiques, mobilise les électeurs de Tripoli, même les moins enthousiasmes. De Kobbé à Abou Samra, en passant par Zahiriya et Bab el-Tebbané, les quartiers de la ville sont anormalement animés pour un dimanche. Des convois de voitures hérissées de portraits de candidats sillonnent les rues, qu’elles se partagent avec des patrouilles motorisées de l’armée. Contrairement au Mont-Liban où l’affluence est restée constante toute la journée de dimanche dernier, à Tripoli, les 289 bureaux de vote de la ville sont modérément fréquentés dans la matinée. Mais au milieu de l’après-midi, la situation change et ils sont littéralement envahis. De longues files d’électeurs se forment soudain comme par enchantement: les machines des différentes listes viennent de jeter toutes leurs forces dans la bataille. Celle de la liste Karamé est omniprésente, celle de la «Jamaa’ islamiya» très disciplinée, et celle de la liste des indépendants plutôt discrète. Les milliers d’affiches des 172 candidats collées sur les murs, placardées sur les devantures des commerces ou clouées sur les troncs d’arbres, ne sont pas le seul élément à témoigner de la férocité de la confrontation. Au plus fort des opérations de vote, et alors que les campagnes électorales auraient dû être terminées, les protagonistes se sont lancés dans une polémique acerbe, au grand bonheur des Tripolitains friands de ce genre d’histoires. M. Karamé ne mâche pas ses mots. Déjà samedi, il avait accusé «les dollars (du président) Hariri» de vouloir «acheter Tripoli et hypothéquer son pouvoir de décision». Hier, il revient à la charge. Devant le sérail pendant une tournée électorale, il se déchaîne contre une journaliste travaillant pour la FTV, (télévision appartenant à M. Hariri) l’accusant de parti pris. «Honte à vous. Vous êtes journaliste et vous devriez être impartiale», lance-t-il à une collègue qui l’interrogeait sur le fait que plusieurs bureaux de vote ont ouvert tardivement leurs portes en raison de l’absence de délégués et de scrutateurs de la liste qu’il soutient. Hégémonie «Le président Karamé a perdu ses nerfs», nous déclare le député Ahdab. Selon lui, la bataille de Tripoli oppose un leadership traditionnel qui ne peut pas accepter l’existence d’autres pôles d’influence dans la ville à une nouvelle classe d’hommes politiques désirant se défaire de cette «hégémonie exercée depuis des décennies». Certains électeurs partagent aussi cet avis. «On a toujours appelé le Conseil municipal de Tripoli la caserne d’Ali Baba», déclare Ahmed, un restaurateur installé près de la mosquée al-Mansouri construite au Moyen Age par le sultan mamelouk al-Mansour. «Les Karamé considèrent Tripoli comme leur propriété privée». D’autres, cependant, croient dur comme fer que M. Karamé veut rendre aux habitants de la ville leur pouvoir de décision «pris en otage par une poignée de nouveaux venus à la solde (du président) Hariri». Dans le café «Pinky» sur le grand boulevard, les journalistes, habitués des lieux, commentent les événements. A el-Mina, le climat est moins tendu, dit l’un d’eux. Effectivement, quelques centaines de mètres plus loin, deux listes s’affrontent dans une ambiance bon enfant: l’une d’elle est conduite par le président sortant du Conseil municipal, Ahmed Alameddine, et l’autre par un homme d’affaires, Abdel Nasser Ghazi, allié à la «Jamaa’ islamiya». Le parti communiste, traditionnellement bien implanté dans cette ville, soutient une liste de cinq candidats. A el-Mina, le nombre d’électeurs chrétiens est important et peut déterminer l’issue de la bataille, alors qu’à Tripoli, ils sont beaucoup moins nombreux. «La Mère des batailles» a eu lieu sur fond de règlement de compte. Battu aux législatives de 1996 par des candidats qui se sont très vites placés sous la protection politique du président Hariri, M. Karamé s’est juré de prendre sa revanche aux municipales. Son avenir politique dépend dans une large mesure de l’issue du scrutin. Lui et ses détracteurs le savent très bien. Mais quelle que soit la couleur politique du prochain Conseil municipal, il devra rapidement se mettre au travail. Il a du pain sur la planche, car les rues de Tripoli ont besoin d’un sérieux coup de balai...
A Tripoli la spacieuse (el-Fayha’), il n’y a décidément pas de place pour tout le monde. Personne ne veut composer, chacun veut éliminer l’autre. Les uns veulent affirmer une présence politique acquise lors des dernières élections législatives et renforcée par la conjoncture actuelle, les autres veulent récupérer à la faveur du scrutin municipal un leadership...