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Actualités - OPINION

Carnet de route Les rats rient

Quand j’avais le cœur encore tendre, ma compassion allait aussi aux rats. Question de labyrinthe. Les rats et les labyrinthes étaient indissociables: on lançait les bêtes dans ces trajets cauchemardesques pour mieux nous étudier, nous, cerveaux humains. La pierre de touche de l’opération s’appelait «l’intelligence». Bon, j’ai changé et surmonté même l’horreur des vivisections animales en pensant aux découvertes qui pourraient sauver nos proches, et, à la rigueur, des anonymes. Mais j’ai gardé un penchant pour ces mammifères aux neurones si semblables aux nôtres. * * * La semaine dernière, un journaliste paresseux ou pince-sans-rire glissait, en dernière page de «L’Orient-Le Jour» sur une modeste colonne de sept centimètres de haut, ce titre «Les Rats Rient». Sept centimètres, ça se lit vite, même avec les vapeurs du réveil dans la tête. Et c’était vrai. Comme le cri irrépressible de Galilée devant ses inquisiteurs, deux scientifiques américains affirmaient (en anglais): «Eppure ridono»(1). Pendant vingt ans de recherches, ils avaient interprété les infrasons émis par leurs rats comme des cris de détresse ou d’excitation sexuelle. Mais, au détour d’une chatouille gratuite, ils découvrirent que les quadrupèdes, loin d’une libido exacerbée ou d’une mélancolie profonde, RIAIENT. * * * On peut gloser sur les erreurs des biologistes éthologues (ou l’inverse), sur leur obligation d’«avouer» avant qu’un autre laboratoire ne les coiffe au poteau, l’essentiel est que ces «mammifères au museau pointu et à la longue queue» ont, comme le dit un de leur parrains, «le goût du rire». Comme les chimpanzés. Mais à un stade d’évolution plus précoce que nos sosies les primates. * * * Je ne sais pas ce que cette nouvelle a suscité chez les lecteurs. Quant à moi, elle m’a plongé dans l’enthousiasme: j’avais enfin trouvé des compagnons de notre niveau chez les quadrupèdes rongeurs. Si ce fait m’a fait modifier l’éducation de ma chatte et la parfaire, je ne m’en plains pas. Elle, habituée par une pédagogie laborieuse à tendre la joue gauche face à des rongeurs en détresse, je m’évertue à lui dire maintenant «A bon rat bon chat», sans lui imposer autre chose que de rire face au rire rateux: un combat à armes égales. Mais ma «bissé»(2) dispose-t-elle d’un rire dissuasif? J’attends le prochain fil de l’AFP ou de Reuters pour me rassurer: si les chats rient, eux aussi, ma chatte les fera fou-rire et fuir comme des dératés. Sinon, je la gaverai du poisson qu’elle aime pour la consoler de ce qu’elle n’aura pas manqué de prendre pour une moquerie. * * * Ceci dit, et pour ne pas tomber dans le calembour qui guette («Haririt-Murrira bien et Berry de même»), rendons hommage à la science qui, à vingt ans de distance, avoue des erreurs que nul amoureux déçu n’oserait ventiler. A cause de la concurrence entre labos, sans doute. Par ricochets, pour l’amour de la vérité, aussi humaine que l’erreur. Mais c’est une autre affaire. * * * Question: aimez-vous les animaux, vous, Beyrouthins, qui aimez tant les plantes vertes d’appartements. Etres vivants, êtres vivants. Soyons libéraux: préférences subjectives. Mais tout de même, anthromorphiquement parlant, je préfère le regard de «bissé» et les yeux perçants des jeunes rats aux tropismes de mes fougères. PS. Je ne fais pas partie d’une quelconque SPA («Les hommes d’abord») mais j’ai grandi avec des animaux de tous genres et de toutes races. D’où mon penchant d’adulte envers les rats, hippopotames, chiens errants des rues de ma ville... (1) «Et pourtant ils rient en extrapolant la réponse de Galilée qui soutenait devant ses juges les thèses coperniciennes, en disant: «Et pourtant elle tourne» (la terre). (2) «Minou» ou «Minette» en arabe dialectal
Quand j’avais le cœur encore tendre, ma compassion allait aussi aux rats. Question de labyrinthe. Les rats et les labyrinthes étaient indissociables: on lançait les bêtes dans ces trajets cauchemardesques pour mieux nous étudier, nous, cerveaux humains. La pierre de touche de l’opération s’appelait «l’intelligence». Bon, j’ai changé et surmonté même l’horreur des...