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Actualités - INTERVIEWS

Entretien - Un tour d'horizon des mutations socio-économiques et politiques Hélène Carrère d'Encausse : l'Europe unie et les particularismes régionaux ne vont pas ensemble

Quelle francophonie pour quelle Europe ? Et que sont devenues les relations euro-méditerranéennes à la lumière des mouvements géopolitiques, monétaires et culturels actuels qui transforment le monde à une vitesse incroyable? C’est un vaste tour d’horizon d’une richesse inégalable que nous a valu la rencontre, samedi dernier, avec Mme Hélène Carrère d’Encausse, député européen, spécialiste d’histoire et de sciences politiques, et experte confirmée de l’ex-Union soviétique. En visite au Liban dans le cadre du conseil stratégique de l’USJ, lancé il y a deux ans, sur une initiative franco- libanaise, Hélène Carrère d’Encausse nous emmène dans un long voyage autour du monde, pour mieux comprendre les mutations socio-économiques et politiques, marquées par l’avancée phénoménale de la globalisation, et par l’avènement d’une Europe, qui doit également tenir compte d’un régionalisme encore obstiné. Le problème se pose aujourd’hui en ces termes : comment concilier, alors que l’Europe économique et monétaire commence à se préciser, l’union politique, et par conséquent culturelle, avec des sous-groupes régionaux qui, d’après Mme Carrère d’Encausse, «parce qu’ils n’ont pas encore eu des droits considérables, s’attachent encore beaucoup plus à leurs privilèges et ne sont pas près d’accepter cette incorporation dans l’Europe ?». Les revendications identitaires contredisent-elles une Europe unifiée? Comment concilier particularismes et unification, identités régionales restreintes et identité européenne? Mouvements contradictoires Pour le député européen, ces deux mouvements apparaissent d’emblée comme contradictoires. Citant les questions identitaires qui se posent en Espagne (revendications des Basques et des Catalans), et dans certaines parties de l’Italie, l’historienne affirme : «On ne peut concilier les montées particularistes, qui grandiront, dans la mesure où ils n’ont pas encore eu le temps de s’épanouir. Il faudra tenir compte de cela dans l’effort d’unification», ajoute-t-elle. Le problème semble toutefois différent pour les pays de l’Est qui, outre les avantages économiques et politiques dont ils pourraient bénéficier, souhaitent vivement retourner dans «un espace auquel ils avaient l’impression d’appartenir. Les Bulgares et les Roumains, note Hélène Carrère d’Encausse, se battront moins pour leur langue que les Grecs par exemple, car ils appartiennent à l’Europe». C’est un autre ordre de priorités. Cette dialectique entre deux tendances contraires va-t-elle se poursuivre ? La réponse semble difficile pour l’instant, affirme la politologue. Il n’y a pas tout à fait contradiction. Il s’agit d’une phase d’exaspération, qui est en quelque sorte une réaction de peur de se fondre dans un grand ensemble, précise-t-elle. Cela ressemble un peu à la réaction de ceux qui, à l’intérieur des États européens, ont été adversaires de l’Europe au nom de la préservation de la nation. «C’est le même problème qui descend d’un cran», affirme Hélène Carrère d’Encausse. À moyen terme, cette situation ne peut durer, dit-elle. Quoi qu’il en soit, l’Europe s’étant beaucoup accélérée, le problème commence à être un peu dépassé, pense le député européen. Et d’ajouter : «Ceux qui revendiquent l’Europe des régions espèrent à travers cela pouvoir effacer le niveau national. Il existe une tendance aujourd’hui pour dire que l’Europe doit être celle des régions, puisque le niveau des États disparaît». L’exemple belge En tous les cas, le débat semble ouvert. Si Hélène Carrère d’Encausse pense que la «communautarisation n’est pas une chose très heureuse», l’histoire de l’Europe ayant été une histoire d’intégration de mouvements communautaires, elle reste convaincue que «l’Europe, à long terme, ne favorise pas l’épanouissement des personnalités culturelles» et que l’Union et les identités particulières ne vont pas de pair. Certains observateurs prétendent pourtant que, pour un Catalan ou un Lombard, le fait «d’être européen (Celui) et d’être en même temps fier de son identité» sont aujourd’hui « deux choses complémentaires». Ceci est d’autant plus vrai que la Lombardie et la Catalogne se sont affirmées pendant longtemps contre un État central fort (italien ou espagnol), auxquels leur allégeance est plutôt ambivalente. L’autre exemple serait peut-être celui de la Belgique qui chercherait aujourd’hui à renforcer son identité européenne depuis que son identité nationale est remise en cause. En tous les cas, il est peut-être prématuré d’apporter des réponses catégoriques à cette question délicate des identités. Cette tension va nécessairement s’atténuer, pense Mme Carrère d’Encausse. Une chose semble sûre cependant, c’est qu’à l’intérieur des frontières, certaines catégories socio-économiques se sont déjà mises à l’heure de l’unité, à savoir les jeunes, tout d’abord, qui «n’ont pas connu les frontières à l’intérieur de l’Europe», et qui circulent librement depuis un certain temps entre un pays et un autre. Ensuite, c’est une «certaine élite transnationale» appartenant à une classe économique et culturelle bien déterminée qui s’est parfaitement adaptée à l’élimination des frontières et s’intègre désormais dans une Europe économique et culturelle dont elle serait la première bénéficiaire. Ceci est par contre moins vrai pour les catégories les plus défavorisées, qui semblent se replier sur une option nationale dont la signification est d’abord «d’ordre affectif» et ensuite «politique», comme le faisait remarquer un journaliste britannique. Ainsi, par delà les tentatives de définition des groupes identitaires sécrétés par une histoire d’une «Europe lourde de tragédies», la dimension économique constitue également une justification valable des réticences exprimées par des sous-groupes sociaux qui se verront marginalisés dans une Europe autrement divisée entre riches et pauvres.
Quelle francophonie pour quelle Europe ? Et que sont devenues les relations euro-méditerranéennes à la lumière des mouvements géopolitiques, monétaires et culturels actuels qui transforment le monde à une vitesse incroyable? C’est un vaste tour d’horizon d’une richesse inégalable que nous a valu la rencontre, samedi dernier, avec Mme Hélène Carrère d’Encausse,...