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Actualités - ANALYSE

Une crise qu'on voyait venir de loin

Le président Rafic Hariri est-il sorti de scène volontairement ? Ne l’a-t-on pas plutôt poussé par les épaules, en lui tendant un piège constitutionnel ? Et même s’il avait esquivé le coup en acceptant la désignation, ne l’aurait-on pas fait buter lors du choix des ministres ? Ce sont de telles questions qui circulaient hier en matinée aussi bien au niveau de la rue que dans les cercles politiques. C’est au vice-président de la Chambre, M. Élie Ferzli, que revient l’honneur d’avoir amorcé la crise, il y a plusieurs semaines de cela. Il avait, du Park Hôtel de Chtaura, déclaré qu’un député a le droit de confier sa voix au chef de l’État pour qu’il en fasse ce que bon lui semble, en ce qui concerne la désignation d’un nouveau président du Conseil. Nous avions tout de suite analysé ces propos dans ces colonnes et estimé qu’ils ouvraient clairement la voie à une nouvelle pratique, comme cela s’est amplement confirmé. Auparavant, une vive controverse avait opposé les juristes comme les politiciens au sujet de l’article 53C (Constitution) qui traite des consultations parlementaires. Sans trop polémiquer, le président Hariri avait exprimé un point de vue très net : la procédure d’application de l’article 53 n’ayant rien de nouveau devrait continuer à se faire comme sous le régime Hraoui. En privé, le chef du gouvernement confiait tout aussi nettement à un ami qu’une interprétation à la Ferzli de l’article 53, à son avis très clair, constituerait une «hérésie» constitutionnelle menant tout droit à un conflit entre lui et le président Lahoud. Il ajoutait que pour sa part il ne souhaitait pas l’épreuve de force. Et qu’il se récuserait si on transgressait la volonté notoire du législateur de Taëf [entendre : limiter les pouvoirs du président de la République]. M. Hariri précisait donc qu’un député devait nommer lui-même le président du Conseil de son choix ou s’abstenir de citer un nom, mais ne pouvait en aucun cas s’en remettre au chef de l’État. S’il le faisait quand même, sa démarche serait considérée comme nulle et non avenue au niveau du décompte des voix. Dès lors, le président de la République, toujours selon M. Hariri, ne pourrait en aucun cas «placer» des suffrages puisqu’il n’en serait aucunement dépositaire. Pour la simple raison que sinon, on n’aurait rien fait à Taëf et on aurait gardé l’ancien système à caractère présidentiel et non parlementaire. Le président du Conseil sortant (et sorti, selon certains) indiquait encore que l’implication du chef de l’État dans une procédure en ferait partie prenante partiale dans la compétition entre postulants à la présidence du Conseil alors que par ses fonctions il devrait rester neutre. De son côté, un haririen de poids affirme que «nous sommes confrontés à une machination machiavélique, exécutée avec soin et visant à mettre notre leader sur la touche. Les présomptions se fondent sur les indices suivants : – On n’a pas, comme le demandait M. Hariri, tranché préalablement la controverse sur l’alinéa 2 de l’article 53C. – On n’a déployé en direction de M. Hariri aucune approche de conciliation pour qu’il renonce à la récusation formulée verbalement. Tout contact a été rompu avec le palais présidentiel et tous les médiateurs ont été rembarrés. – Alors que M. Hariri était en route pour Baabda, la présidence de la République a annoncé publiquement qu’elle acceptait sa récusation. – Le président de la Chambre, M. Nabih Berry, a été encore plus loin que son vice-président M. Élie Ferzli dans l’abandon des prérogatives de cette institution. Il a en effet soutenu publiquement que le chef de l’État n’était même pas tenu de prendre en compte les résultats des consultations parlementaires et qu’il pouvait nommer un président du Conseil à sa guise, en fonction de ce qu’il considérerait être l’intérêt du pays. Quand M. Sélim Hoss a réfuté cette version, M. Berry est entré en contact avec lui pour lui dire : “C’est à votre profit que j’ai fait cette interprétation”.
Le président Rafic Hariri est-il sorti de scène volontairement ? Ne l’a-t-on pas plutôt poussé par les épaules, en lui tendant un piège constitutionnel ? Et même s’il avait esquivé le coup en acceptant la désignation, ne l’aurait-on pas fait buter lors du choix des ministres ? Ce sont de telles questions qui circulaient hier en matinée aussi bien au niveau de la rue que...