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Actualités - ANALYSE

La Syrie et nous

En consacrant une partie de son discours d’investiture aux relations entre le Liban et la Syrie, le président Émile Lahoud a montré que ce dossier n’est pas clos et peut encore faire l’objet d’un débat. Il a reconnu aussi l’existence entre les deux pays d’un malaise, alourdi par des malentendus qui n’ont pas été dissipés après neuf ans de «relations privilégiées». Le président Lahoud aurait pu se contenter de répéter la peu convaincante rhétorique ressassée depuis des années par les hommes politiques de tous bords. Mais dans son souci de transparence, il a choisi d’aborder ce sujet en s’adressant aux jeunes, dans un langage simple et franc. Il a tendu la perche, saisissons-là. Pas plus que la propagande antisyrienne rappelant les méthodes de Goebbels, les thuriféraires, qui ont retourné leurs vestes à s’en limer le col, n’ont pu forger une tendance majoritaire au sein de l’opinion publique. Les gens sont critiques et refusent les certitudes assénées au mépris de leur bon sens. Les gens sont aussi méfiants par nature et l’expérience des dernières années n’a fait qu’amplifier ce sentiment. Cet état d’esprit n’est pas l’apanage d’une communauté bien déterminée. On se souvient des incidents de la Cité sportive, quand les spectateurs syriens ont été pris à partie par une foule en colère composée en majorité de musulmans. La Syrie n’a pas su – ou n’a pas voulu – se faire comprendre. Ses alliés au Liban, qui «ont utilisé l’appui (de Damas) pour eux-mêmes, provoquant la condamnation des gens» – pour reprendre les termes du général Lahoud – et qui sont confortablement installés dans leurs fauteuils, n’ont pas entrepris le moindre effort d’assainissement. L’attitude d’une partie des Libanais à l’égard de Damas est conditionnée par cette méfiance : «Que veut la Syrie du Liban?». Veut-elle l’annexer, le phagocyter, le contrôler, le dominer, l’exploiter, l’aider ? Il y a autant de réponses que de préjugés. Pourquoi ne pas inverser la question : qu’attend le Liban de la Syrie ? Depuis 1975, nous savons ce que veulent les Libanais de Damas, mais nous n’avons toujours pas de vision sur ce que le Liban, en tant qu’État, attend de la Syrie, en tant qu’État. Émile Lahoud a mis le doigt sur la plaie : «Ce fut une grave faute politique contre le Liban de considérer, comme certains l’ont fait dans le passé, que la relation avec la Syrie est temporaire, utilisable lorsqu’on est faible et que l’on trahit lorsqu’on est fort, ou encore qu’on courtise la Syrie quand elle est forte et qu’on la renie quand elle s’affaiblit, oubliant ainsi que nous nous renforçons et nous nous affaiblissons ensemble». Ceux-là qui, aujourd’hui, se posent en grands défenseurs de l’indépendance et de la souveraineté et donnent des leçons de patriotisme, sont ceux-là mêmes qui ont cautionné l’entrée de l’armée syrienne en 1976 pour échapper à une débâcle militaire certaine. Et ceux qui, aujourd’hui, louent les vertus nationalistes de la Syrie et distribuent des certificats de bonne conduite, sont ceux-là mêmes qui s’opposèrent, par le feu et le sang, à la progression de l’armée syrienne au début de la guerre. Personne n’a eu le courage de faire son autocritique, pas même la Syrie. Restons-en là. Qu’attend donc le Liban de la Syrie ? Qu’elle retire ses troupes, diront certains. Mais la réponse est un peu simpliste. Elle ne tient pas compte d’une conjoncture régionale beaucoup plus compliquée que les souhaits des uns et des autres. Les slogans «la force du Liban réside dans sa faiblesse», ou celui de «neutralité positive» ont prouvé qu’ils s’inspiraient plus d’un irréalisme puéril que d’une perspicacité politique. Pour toutes les raisons du monde, le Liban est concerné par le conflit israélo-arabe. Ne serait-ce que parce qu’il accueille sur son territoire 350 mille réfugiés palestiniens chassés par l’ennemi israélien. Ou encore parce que ce même ennemi occupe 10 % de ce territoire, en plus des sept villages annexés en 1948 et ne cache pas ses visées sur les eaux de notre pays. Si la présence militaire syrienne est commandée par des considérations liées au conflit israélo-arabe, qu’on le dise très haut et que cette question cesse d’être un sujet de discorde entre les Libanais. Pour les besoins de la confrontation avec Israël, que la Syrie stationne au Liban non pas trente-cinq mille soldats, mais deux cent mille. Cette présence, toutefois, doit être semblable à celle des troupes de l’Otan déployées en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe occidentale au temps de la guerre froide. Elle ne doit pas susciter les appréhensions ressenties par les populations des pays de l’ancien Pacte de Varsovie à l’égard des armées soviétiques déployées sur leur sol. Elle ne doit pas non plus porter atteinte à la souveraineté nationale. C’est cela que le Liban attend de la Syrie, en plus de son aide précieuse pour renforcer la stabilité et la cohésion internes, toujours pour les besoins de la confrontation avec Israël. Pour atteindre cet objectif, il sera peut-être nécessaire de réajuster certains accords bilatéraux conclus ces dernières années. Il ne faut pas hésiter à le faire, sans passion ni suspicion. Le Liban et la Syrie pourront alors proposer aux pays arabes un modèle enrichissant de relations bilatérales, à la veille du XXIe siècle.
En consacrant une partie de son discours d’investiture aux relations entre le Liban et la Syrie, le président Émile Lahoud a montré que ce dossier n’est pas clos et peut encore faire l’objet d’un débat. Il a reconnu aussi l’existence entre les deux pays d’un malaise, alourdi par des malentendus qui n’ont pas été dissipés après neuf ans de «relations...