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Actualités - CHRONOLOGIE

Cortbawi crie au scandale

Les dernières années ne leur ayant rien appris, les Libanais s’étaient pris à rêver d’un État modèle où la corruption serait enfin punie, ou en tout cas dénoncée. Mais selon l’ancien bâtonnier Chakib Cortbawi (qui a participé à la rédaction du projet Tabbarah), il fallait être bien naïf pour croire que le merveilleux élan des gouvernants en faveur d’une nouvelle loi sur l’enrichissement illicite émanait d’une volonté réelle de lutter contre la corruption. Le projet adopté mercredi en Conseil des ministres crée, selon lui, un nouveau tribunal spécialisé dans les plaintes pour enrichissement illicite, tout en bloquant quasi hermétiquement la saisine. Depuis plus de deux semaines, les Libanais ont les yeux tournés vers les ministres et autres responsables qui planchent sur le projet de loi sur l’enrichissement illicite. C’était à qui, parmi ces responsables, ferait de la surenchère sur le projet Tabbarah, rédigé avec l’aide d’une importante commission de juristes locaux et d’experts internationaux. Présenté au cours du Conseil des ministres de la semaine précédente, ce projet avait toutefois suscité quelques critiques, certains ministres craignant une atteinte à la loi sur le secret bancaire (dont le projet reprend pourtant mot pour mot les mêmes dispositions), et d’autres exigeant une durée de prescription plus grande (le projet prévoyait dix ans, comme c’est en général la règle). Enfin, certains ministres ont aussi protesté contre le fait que le projet Tabbarah considère l’enrichissement illicite comme un délit civil alors que, selon eux, celui qui vole les biens publics devrait être passible de poursuites pénales et donc d’emprisonnement. Une commission a été formée pour étudier toutes ces remarques et le projet définitif a été finalement adopté mercredi, provoquant la révolte de nombreux juristes, dont l’ancien bâtonnier Chakib Cortbawi qui crie au scandale. Selon lui, le projet initial accordait le droit de saisine à tout citoyen lésé directement ou indirectement par l’enrichissement illicite ou au commissaire du gouvernement, nommé pour cela. Pour éviter la diffamation, le projet Tabbarah avait prévu, au cas où le plaignant s’avérerait de mauvaise foi, de le condamner à une amende de 25 à 100 millions de livres. Dans le projet adopté en Conseil des ministres, les citoyens indirectement lésés n’ont plus le droit de porter plainte. De plus, lorsque le commissaire porte plainte spontanément, il le fait «à sa responsabilité personnelle» et s’il s’est trompé, il peut être condamné à verser une amende. Dans ces circonstances, quel est le commissaire kamikaze qui se risquerait à demander de sa propre initiative l’ouverture d’une enquête ? Enfin, et c’est là le plus étrange, le citoyen lésé directement doit présenter, en même temps que la plainte, une garantie bancaire équivalant au montant de l’amende qu’il devra payer si sa plainte est rejetée, c’est-à-dire 100 millions de livres. Dans ce cas, quel est le citoyen assez riche pour risquer de perdre une garantie aussi élevée ? En d’autres termes, et Me Cortbawi est catégorique à ce sujet, l’instance chargée d’examiner les plaintes risque de n’avoir rien à faire, la saisine étant carrément bloquée. Pour l’ancien bâtonnier, ce n’est pas une nouveauté sous le régime actuel : les éventualités de saisine du Conseil constitutionnel sont elles aussi limitées alors que la Cour chargée de juger les présidents est dotée d’un mécanisme si complexe qu’elle ne peut fonctionner. «Alors, ajoute-t-il, au lieu d’annuler la prescription afin de pouvoir poursuivre les morts et de ne pas limiter les plaintes au mandat Hraoui (neuf ans), il aurait mieux valu s’occuper des vivants et permettre aux citoyens de demander réellement des comptes». Le projet Tabbarah, en considérant cette faute comme un délit civil, avait eu le mérite d’éviter l’écueil des immunités qui empêchent (à moins qu’elles ne soient levées, ce qui est très difficile, sauf pour le cas de Yehya Chamas) toute poursuite pénale contre les députés, les ministres et les fonctionnaires en général. Reste un espoir : que le Parlement ne vote pas ce projet.
Les dernières années ne leur ayant rien appris, les Libanais s’étaient pris à rêver d’un État modèle où la corruption serait enfin punie, ou en tout cas dénoncée. Mais selon l’ancien bâtonnier Chakib Cortbawi (qui a participé à la rédaction du projet Tabbarah), il fallait être bien naïf pour croire que le merveilleux élan des gouvernants en faveur d’une...