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Actualités - REPORTAGE

Après les dernières mutineries Situation toujours précaire à la prison de Roumié (photos)

Après avoir été longtemps relégués aux oubliettes de la civilisation et de la mémoire, les détenus de la prison centrale de Roumié n’en finissent plus de faire l’actualité, comme pour se venger de toutes les années de silence. Alors que l’on croyait finie leur mutinerie de deux jours, grâce aux promesses du ministre de l’Intérieur, M. Michel Murr, ils ont récidivé hier, prenant cette fois en otages quatre agents des Forces de sécurité intérieure (FSI), venus réparer les dégâts de la veille. Après leur avoir adressé trois ultimatums, le responsable de la prison, le commandant Mounzer Ayoubi, a donné à ses hommes l’ordre d’investir le bâtiment pour libérer les otages. Bilan de l’opération: 5 blessés parmi les mutins et 2 parmi les FSI. Officiellement, les mutins exigeaient l’adoption d’une nouvelle loi d’amnistie. Cette revendication avait été écartée par M. Murr, parce que, avait-il dit, elle n’est pas de son ressort. Mais, selon des sources des FSI, ils se sont, cette fois, approchés de la porte du bâtiment, comme pour essayer de s’évader... Une tentative vouée naturellement à l’échec, en raison du déploiement impressionnant de forces de sécurité tout autour du bâtiment et de la présence toute proche d’une position de l’armée libanaise... Hier donc, la mutinerie de Roumié a pris une nouvelle tournure, provoquant une réaction sévère de la part des gardiens et l’adoption de mesures strictes. Des sources de sécurité précisent toutefois que la priorité est à la réparation des dégâts causés par les mutins, notamment la remise en place des 50 portes de cellules endommagées, afin de pouvoir rétablir la discipline au sein du bâtiment des détenus attendant leur jugement, où s’est déclenchée la mutinerie. Tant que ces travaux ne seront pas achevés et tant que les détenus continueront à être répartis d’une façon désordonnée dans le bâtiment, les responsables se garderont de toute action susceptible de jeter de l’huile sur le feu. Car si les forces de sécurité contrôlent l’extérieur du bâtiment, à l’intérieur, la situation demeure précaire. C’est dire que, par leur action, les mutins ont réussi à bouleverser le fonctionnement de la plus importante prison du pays, qui abrite quelque 3.000 détenus, alors qu’elle est prévue pour un millier seulement. Poursuites contre un officier Pourtant, après la spectaculaire visite du ministre de l’Intérieur à Roumié, mercredi, on croyait la mutinerie terminée. Un comité des représentants des détenus avait exposé ses doléances à M. Murr, qui avait fait des promesses concrètes. Dans la nuit de mercredi à jeudi, les équipes d’entretien relevant des FSI avaient même entamé les travaux de réparation au sein du bâtiment des mutins où toutes les portes des cellules et des armoires (près de 200) avaient été arrachées et les vitres des fenêtres brisées. Tout le monde croyait donc l’affaire réglée, d’autant que le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, M. Nasri Lahoud, avait engagé des poursuites contre le capitaine Tarek Chami des FSI qui aurait causé des brûlures aux cuisses de l’un des détenus, provoquant ainsi le vaste mouvement de protestation. Mais hier, vers midi, alors que les équipes d’entretien poursuivaient le travail de réparation, cinq détenus, accusés de meurtres, sont descendus du troisième étage — où ils sont, en principe, relégués — vers le premier où se trouvaient quatre ouvriers, afin de lancer une nouvelle offensive. Vingt autres détenus se sont joints à eux. Ensemble, ils ont défait les échafaudages et ont menacé les quatre agents des FSI, à l’aide de tiges de fer. Les détenus ont pris les ouvriers en otages, exigeant en contrepartie de leur libération, l’adoption rapide d’une nouvelle loi d’amnistie, ainsi que des mesures efficaces, améliorant les conditions d’emprisonnement et raccourcissant les délais de détention préventive. La brigade anti-émeute Selon des sources des FSI, les autres détenus du bâtiment (près de 1.575) n’auraient pas vraiment participé à cette action, préférant se cantonner dans le rôle de spectateurs bienveillants. Les mêmes sources ajoutent que les mutins ont essayé de se rapprocher de la porte d’entrée, pour tenter de s’évader. C’est alors que les gardes ont reçu l’ordre de réagir. Le responsable de la prison, le commandant Ayoubi, a demandé en renfort une unité de la brigade anti-émeute qui a aussitôt encerclé le bâtiment. Le commandant Ayoubi a ensuite adressé trois ultimatums aux «preneurs d’otages», leur enjoignant de se rendre. Comme ils refusaient de s’exécuter, il a alors donné l’ordre d’investir le bâtiment par la force. L’unité anti-émeute a aussitôt lancé des bombes lacrymogènes et des fumigènes pour neutraliser les détenus, avant d’entrer dans le bâtiment. Les forces de l’ordre ont aussi utilisé leurs armes, tirant, selon des sources des FSI, plusieurs rafales en l’air, faisant quand même 5 blessés parmi les détenus. Selon les mêmes sources, ceux-ci auraient été atteints par des éclats, et non pas par les balles. Les 5 blessés ont été d’abord transportés à l’hôpital de Dahr el-Bachek, mais l’un d’eux aurait été ensuite envoyé à Bhannès, en raison d’une blessure au ventre. La prise d’otages a duré 2 heures, mais ses séquelles continueront à se faire sentir longtemps encore. M. Nasri Lahoud s’est d’ailleurs aussitôt rendu sur les lieux, pour enquêter sur cette nouvelle mutinerie. Jusque tard dans l’après-midi, il a interrogé les détenus et il aurait donné l’ordre de transférer les 5 principaux agitateurs à la prison de Tripoli, où, selon une source de sécurité, «ils seront des généraux sans soldats», car il n’y a, là-bas, que près de 700 détenus et la situation y est bien contrôlée. L’enquête de M. Lahoud aurait montré, qu’au total, une trentaine de détenus, tous accusés de crimes graves, auraient participé à la révolte et des mesures seront prises à leur encontre. Seulement, rien ne peut être entrepris tant que les portes des cellules du bâtiment n’auront pas été réparées. Tabou brisé Les travaux devront être achevés le plus rapidement possible, mais désormais, un grand tabou a été brisé: les détenus ont pris conscience de leur force et ils ne sont plus décidés à retomber dans l’oubli, d’autant qu’aussi bien le ministre Murr que M. Lahoud ont reconnu la justesse d’une partie de leurs revendications. Certes, les Forces de sécurité peuvent encore se rabattre sur la répression, mais ce n’est certainement pas ainsi que le problème sera résolu. Apparemment, les responsables, qui acceptent pour la première fois d’évoquer «la situation déplorable dans les prisons» en sont conscients, puisqu’ils ont jusqu’à présent évité de recourir à la force brutale. Ils ne sont d’ailleurs pas peu fiers de rappeler que, l’an dernier, une mutinerie dans l’une des prisons des Etats-Unis s’était soldée par la mort de 17 prisonniers, alors qu’une autre en Turquie avait provoqué une véritable hécatombe... S’il faut donc saluer le «savoir-faire» des forces de l’ordre, il ne faut pas oublier que les prisons du Liban souffrent d’une surpopulation évidente ainsi que des lenteurs de la procédure judiciaire. Que dire aussi des prisons elles-mêmes qui sont tout sauf un lieu de réhabilitation sociale et où, désœuvrés, les détenus apprennent tous les vices, alors qu’ils n’ont aucun moyen de gagner un peu d’argent et deviennent une terrible charge pour leurs familles, s’ils en ont une. Puisse cette mutinerie à répétition convaincre les responsables de l’urgence de se pencher sur ce problème...
Après avoir été longtemps relégués aux oubliettes de la civilisation et de la mémoire, les détenus de la prison centrale de Roumié n’en finissent plus de faire l’actualité, comme pour se venger de toutes les années de silence. Alors que l’on croyait finie leur mutinerie de deux jours, grâce aux promesses du ministre de l’Intérieur, M. Michel Murr, ils ont récidivé...