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Actualités - REPORTAGE

Criminalité - L'enquête judiciaire sera clôturée demain La culpabilité des employeurs de Fatmé se confirme

«Je veux des gâteaux». La petite Fatmé parle d’une voix geignarde et c’est à peine si elle parvient à articuler ses mots, entre deux gémissements de douleur. Elle vient de subir une intervention chirurgicale aux jambes et les effets de l’anesthésie sont en train de se dissiper. La petite fille de 10 ans, victime de la barbarie des adultes, est surtout effrayée par la présence dans sa chambre de deux hommes à l’allure sévère : le juge d’instruction Salah Moukheiber et le procureur du Liban-Nord Walid Eido. Ils ont beau multiplier les amabilités, Fatmé refuse de leur parler et c’est à l’assistante sociale qu’elle confiera son vœu le plus cher : manger. Traumatisée par les sévices subis, son transport à l’hôpital islamique de Tripoli puis son déplacement vers l’AUH, ainsi que par les multiples douleurs anciennes et nouvelles, Fatmé Jassem dont le cas a bouleversé le Liban, ne sait plus de quoi se plaindre. Autour d’elle, dans la chambre 612, toute blanche et pimpante, il n’y a que des visages inconnus. Mais cette petite si peu gâtée par la vie a-t-elle vraiment envie de revoir ceux qui pendant longtemps ont constitué son quotidien? Dans un coin du long couloir, son frère Ahmed se fait tout petit. Ses deux avocates, Salima Adib et Ghada Ibrahim, qui se sont portées volontaires pour la défendre, essaient de la dérider. Mais ayant subi une intervention chirurgicale aux jambes dans la matinée, Fatmé, dont le regard d’une rare beauté est particulièrement poignant, souffre et n’a pas vraiment envie de répondre aux questions du juge Moukheiber et du procureur Eido. Elle se tourne alors vers les trois assistantes sociales envoyées par l’Union pour la protection de l’enfance au Liban (UPEL) Eliane Amm, Rima Kabbara et Dania Dib, dont les visages expriment l’émotion sincère. C’est à elles qu’elle s’adressera. Un étrange dialogue entre les magistrats et la petite par assistantes sociales interposées s’instaure. Les tortionnaires cités L’instruction étant en principe secrète, il est difficile de connaître les détails des réponses de la petite, mais ce qui est sûr, c’est que le dossier est sur le point d’être bouclé, les magistrats ayant abouti à des quasi-certitudes. Selon certaines sources, Fatmé aurait accusé ses ex-patrons, Marwan et Hanane Hamad de l’avoir battue et torturée en l’attachant par les chevilles à l’aide de chaînes en fer. Les magistrats ne l’ont pas interrogée sur d’éventuels sévices sexuels, pour ne pas augmenter son trouble, mais ils ont demandé à trois gynécologues de l’AUH, les Drs Hanna Gaspard, Karam Karam et Mohieddine Saoud de déterminer s’il y a eu ou non viol. Le fait est important car un adulte accusé de viol de mineur est passible d’une peine bien plus lourde que celui qui est accusé de coups et blessures contre un enfant. Des sources judiciaires affirment que les médecins n’ont pas constaté l’existence de sévices sexuels, la petite ayant été surtout battue et attachée. D’ailleurs les traces des liens sont visibles autour des pieds boursouflés et couverts d’ecchymoses. De plus, les magistrats qui mènent l’enquête ont trouvé au domicile des employeurs des cordes et des chaînes, qui constituent, en fait, l’instrument du crime. Pour les avocates de la victime, c’est clair, il s’agit d’une tentative d’assassinat à petit feu et elles comptent demander contre les coupables présumés la peine capitale. Contradictions La justice, elle, n’ira sans doute pas si loin. Selon le procureur Eido, l’enquête sera probablement clôturée demain jeudi, les magistrats ayant quasiment bouclé leurs investigations. Certes, les époux Hamed, entendus séparément ont nié les faits qui leur sont imputés, mais selon des sources judiciaires, l’existence des instruments du crime, l’aveu de la petite Fatmé ainsi que les nombreuses contradictions dans leurs propos, surtout après l’audition des témoins constituent des preuves suffisantes pour les inculper. Hanane Hamed avait commencé par dire que la petite s’était rendue chez l’épicier Moustapha Azizi pour acheter des pommes de terre. Elle est revenue au bout d’une heure dans un piteux état. Mme Hamed, selon sa version, l’aurait aussitôt emmenée chez le pharmacien Zakaria pour lui acheter des médicaments. Ce dernier lui ayant fait remarquer que son état est grave et qu’il nécessite une hospitalisation immédiate, elle l’a conduite à l’Hôpital islamique de Tripoli, affirmant que la petite venait d’être heurtée par une voiture, avant de l’abandonner. Face à la gravité de l’état de l’enfant, la direction de l’hôpital a alerté la police et une enquête a été ouverte. Les magistrats ont entendu l’épicier Azizi qui a juré ne pas avoir vu Fatmé ce jour-là. Il a aussi affirmé ne pas avoir entendu parler d’une voiture qui l’aurait renversée. Pourtant un tel incident ne serait pas passé inaperçu dans le quartier. Confrontée à ces dénégations, Hanane a modifié sa version, précisant que Fatmé était arrivée chez elle malade et qu’elle l’envoyait régulièrement chez le pharmacien pour y acheter des médicaments. Les magistrats ont alors entendu le pharmacien Zakaria qui a affirmé n’avoir jamais vu Fatmé avant le jour où sa patronne l’a amenée chez lui, dans un piteux état. L’avocat des Hamed, Me Mohamed Hafza, a alors avancé l’hypothèse de l’existence d’une sœur jumelle à Fatmé. Selon cette théorie, on aurait procédé à un échange entre les deux sœurs afin d’impliquer les Hamed. Les magistrats ont enquêté auprès de la famille et la prétendue jumelle, Mariam a été convoquée. Son âge réel, ses parents l’ignorent car on n’est pas vraiment pointilleux sur les dates à Wadi Khaled, le village de la famille. Mais ce qui est sûr, c’est que les deux sœurs sont assez différentes, Fatmé a les cheveux courts et Mariam mi-longs. De plus, Hanane a déclaré aux juges que sa domestique s’appelle Fatmé et qu’en arrivant chez elle, le 15 septembre 1998, elle avait déjà les cheveux courts. L’employeuse a encore affirmé que la petite souffre, depuis son arrivée chez elle, d’une maladie sanguine qui provoque des ecchymoses comme celles que l’on voit sur ses pieds et ses mains et même sur l’ensemble de son corps. Les magistrats ne croient pas beaucoup à cette version, mais ils ont demandé à des spécialistes de procéder à un ultime examen, par acquis de conscience. Les faits sont donc pratiquement clairs et les juges n’ont trouvé au cours de leur enquête aucune trace de l’implication d’une tierce partie. Il ne reste plus aux psychologues et autres experts qu’à expliquer comment un couple qui, au départ, a tout pour lui en arrive à torturer une petite fille sans mobile apparent. Et le père? Contrairement à ce qui a été annoncé, il ne sera ni arrêté ni inculpé. Il a, certes, enfreint la loi en envoyant sa fille en bas âge comme domestique chez un couple, mais à Wadi Khaled, c’est pratiquement une coutume. Après avoir vécu l’enfer, la petite Fatmé est aujourd’hui étroitement suivie par une équipe de spécialistes et ses frais d’hospitalisation sont entièrement couverts par le prince séoudien, Fayçal ben Fahd. Mais quel sera son sort, une fois l’opinion publique mobilisée par une autre affaire? Qu’adviendra-t-il d’elle, de retour chez ses parents? Des employeurs sadiques, c’est peut-être exceptionnel, mais la misère et le laisser-aller, c’est hélas courant.
«Je veux des gâteaux». La petite Fatmé parle d’une voix geignarde et c’est à peine si elle parvient à articuler ses mots, entre deux gémissements de douleur. Elle vient de subir une intervention chirurgicale aux jambes et les effets de l’anesthésie sont en train de se dissiper. La petite fille de 10 ans, victime de la barbarie des adultes, est surtout effrayée par la...