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Actualités - REPORTAGE

L'interrogatoire des inculpés dans l'affaire Karamé se poursuit Déclarations contradictoires entre Keitel Hayeck et Camille Rami devant la cour de Justice (photos)

Deux hommes que l’on croyait très proches peuvent-ils agir chacun de son côté et pour ses propres mobiles? C’est la question que se posait hier l’assistance après avoir longuement écouté les réponses contradictoires de Keitel Hayeck et Camille Rami, tous deux inculpés dans l’affaire de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé et qui passent en jugement devant la Cour de justice. Le premier, bien que souffrant, entre autres maladies, de tuberculose — il sera transféré dès aujourd’hui à l’hôpital de Bhannès, sur ordre du procureur Addoum — s’en est tenu aux mêmes déclarations, sans jamais se contredire, en dépit du flot de questions cherchant à le piéger, alors que le second a multiplié les confusions, les aveux et les contre-aveux, les explications obscures et les allusions, au point que M. Addoum lui a demandé s’il cherche à embrouiller la Cour. Pourtant, le commandant de réserve Keitel Hayeck et le sergent des FSI Camille Rami sont étroitement liés. D’abord par des liens de parenté (Rami a épousé la soeur de Hayeck) et ensuite parce que Rami travaillait sous les ordres de Hayeck, dans une cellule dirigée par ce dernier et chargée de mener des opérations contre les troupes syriennes au Liban. Autres points communs, les deux hommes ont été arrêtés et emprisonnés en Syrie, Rami de 88 à fin 91 et Hayeck de 1994 au 5/3/98 et, devant la Cour, ils ont le même avocat, Me Emile Younès. Enfin, dans l’acte d’accusation, Hayeck aurait demandé à Rami de lancer un explosif sur la tombe du premier ministre assassiné, à l’occasion du quarantième de son décès. Selon l’acte d’accusation, le but de cette opération serait de lancer l’enquête officielle sur une fausse piste et de la détourner des FL. Tout en reconnaissant les faits, chacun des deux hommes a nié avoir agi pour le compte des FL alors que le Parquet, ainsi que les avocats de la partie civile ont cherché à démontrer le contraire. Dans ses réponses, le commandant Hayeck a expliqué que l’idée de cet acte lui est venue spontanément, parce qu’il voulait créer un climat trouble qui pousserait les orateurs de la cérémonie du quarantième à résumer leurs discours et surtout à ne pas s’en prendre aux symboles de l’Etat. Il a catégoriquement nié être lié aux FL, précisant plutôt qu’il faisait partie des soldats qui ont combattu ces dernières sous les ordres du général Aoun. Du «Beaurivage» à Mazzé, en passant par Anjar Tout au long de ses explications, il a contredit plusieurs déclarations faites précédemment par Camille Rami. Ce qui a poussé le président de la Cour, M. Mounir Honein, soucieux de mener ses investigations jusqu’au bout, à interroger ce dernier une nouvelle fois. D’autant que le procureur Addoum a présenté un procès-verbal de l’interrogatoire de Rami par les services de renseignements de l’armée, dans lequel il reconnaît que Keitel Hayeck travaillait pour le service de sécurité des FL (tout comme il avoue avoir travaillé pour les services de renseignements israéliens, mais cela est une autre histoire). Pendant près de six heures, la Cour a essayé de découvrir la vérité, écoutant tantôt Hayeck et tantôt Rami, mais aussi les avocats de la partie civile et ceux de la défense. Ceux-ci n’ont d’ailleurs pas cessé d’échanger des remarques parfois aimables et souvent aigres, provoquant à plusieurs reprises la colère du président Honein, qui a alors usé vigoureusement de son maillet. Fatigué, en dépit de ses efforts pour garder la tête haute et le dos droit, Hayeck a ému à plusieurs reprises la salle. Surtout lorsque son avocat, Me Emile Younès, lui a posé des questions sur sa détention en Syrie. Il a ainsi raconté que son interrogatoire est passé par plusieurs étapes. Il a commencé à l’hôtel Beaurivage (Beyrouth), s’est poursuivi à Anjar et s’est terminé à Mazzé. Il a duré 680 jours. «Entrecoupés de longues périodes d’attente, a-t-il ajouté. Car il ne faut pas croire que pendant 680 jours d’affilée, ils m’ont mis dans un sous-sol et se sont chargés de me faire avouer...» Son avocat lui a alors demandé qui l’a interrogé à l’hôtel Beaurivage et avec un sourire qui se voulait ironique mais qui était surtout pathétique, il a répondu: «Les employés de l’hôtel, bien sûr». Me Younès lui a encore demandé comment il a été traité pendant son interrogatoire par les Syriens. Là aussi Hayeck a souri: «Bien. J’ai subi un bon traitement». A d’autres questions, il a révélé qu’il a appris avoir été déféré devant la Cour de justice à travers un journal lu alors qu’il était en prison à Mazzé. Samir Geagea a alors longuement regardé le président de la Cour, comme pour lui rappeler que, jusqu’à aujourd’hui, il lui est interdit de lire des journaux, dans sa cellule à Yarzé. Poème d’amour Hayeck a raconté ensuite que son procès devant les militaires syriens s’est déroulé en deux audiences, la première de 45 minutes et la seconde de 90 minutes. Le «tribunal de campagne de la brigade» (comme il l’a appelé) était formé de 4 officiers: un brigadier, un officier en civil, un enquêteur militaire et un quatrième militaire dont il ignore le grade et la fonction. Le jugement a été rendu deux mois après et il lui a été lu par un responsable de la prison qui lui a dit qu’il est condamné en vertu d’articles de lois libanais et syriens. Selon lui, le tribunal a siégé à deux km du poste frontière syrien à Masnaa, c’est-à-dire sur le tronçon séparant les postes-frontières des deux pays et il n’y avait pas de militaires libanais alentour. Au cours de son interrogatoire en Syrie, il a signé des procès-verbaux, sans toutefois les lire. Lorsque Me Edmond Naïm lui a demandé s’il a pu correspondre avec sa famille, lorsqu’il était à Mazzé, l’inculpé a répondu qu’il a écrit un poème à son épouse. Le président lui a alors demandé de le réciter s’il se souvient de son contenu et, la voix émue, Hayeck a déclamé des vers pleins d’amour et de nostalgie adressés à son épouse à l’occasion du souvenir de leur rencontre et de leur mariage. Si Mme Hayeck n’était pas dans la salle pour écouter une telle déclaration, l’assistance, elle, en a été très touchée et Me Moustapha Assir de la partie civile a lancé: «C’est bien beau». Interrogé sur la concomitance entre le lancement de l’explosif sur la tombe du premier ministre Karamé et les attaques des FL contre ce dernier, Hayeck a répondu qu’à la mort du premier ministre, des personnes ont offert du café à Tripoli, en signe de joie. Les nombreux partisans du premier ministre assassiné — dont ses deux neveux qui ne ratent aucune audience — ont alors émis des grognements, en signe de mécontentement. Me Dayé a cité ensuite les noms des orateurs de la cérémonie: les présidents Hoss et Husseini, Robert Frangié, Kabalan Issa el-Khoury, Mgr André Haddad, Edmond Rizk et, s’adressant à Hayeck, il lui a demandé si, selon lui, ces personnes auraient pu attaquer l’Etat et mettre en danger l’unité du pays. «Il me semblait avoir lu d’autres noms», a répondu le commandant. «Bien sûr, Kabalan Issa el-Khoury et Mgr Haddad n’auraient pas pu prononcer de tels discours. Mais M. Edmond Rizk, peut-être...» Hayeck a nié être intervenu auprès des FL pour obtenir la libération de Naji Khoury, enlevé après l’assassinat du premier ministre Karamé. Khoury travaillait avec lui, dans sa cellule, et il était membre du groupe Tanzim. Selon Rami, Hayeck aurait intercédé en sa faveur auprès de Ghassan Touma et il lui aurait dit que l’objectif de l’opération sur la tombe du premier ministre était de «gêner les FL et les pousser à libérer Khoury». Lettre secrète A ce sujet, d’ailleurs, Rami a fait une série de déclarations contradictoires, commençant par dire qu’il s’agissait d’embêter les FL, qui, selon lui, essayaient d’accuser Khoury de l’assassinat, puis de lancer leur enquête sur une fausse piste. Dans une lettre «secrète» adressée à la Cour, et dans laquelle il a écrit qu’il disait la vérité, il est revenu à la charge, précisant que le fait de lancer l’explosif avait un double objectif: déranger le brigadier syrien Ghazi Kanaan et le faire vivre dans un climat de tension permanente et gêner les FL qui ont enlevé Naji Khoury. Interrogé de nouveau par la Cour, Camille Rami s’est de nouveau embrouillé. A tel point que, se sentant un peu responsable de lui, Hayeck a essayé de l’aider en cherchant à clarifier sa pensée. Le président lui a aussitôt demandé de se taire, car il n’est pas le défenseur de Rami. Le sergent a continué à s’embrouiller, se contredisant en permanence. Interrogé par le magistrat Ralph Riachi, il a ainsi déclaré que Naji Khoury a été enlevé deux ou trois mois avant son arrestation en Syrie, le 30/4/88. Ce qui signifie que Khoury aurait été enlevé par les FL au début de 88, et, comme le laisse entendre le magistrat, son enlèvement n’aurait donc rien à voir avec l’assassinat de Karamé qui a eu lieu le 1er juin 1987. Rami a ensuite nié en bloc toutes ses précédentes déclarations ainsi que le contenu de la lettre qu’il a adressée au président de la Cour. Au point que M. Honein s’est vu contraint de la déchirer devant l’assistance. Il s’est mis ensuite à lui lire les procès-verbaux de ses précédents interrogatoires, lui demandant de préciser ce qui est faux. Rami est ainsi contraint de reconnaître que la plupart des faits sont exacts, se contentant de nier les quelques phrases impliquant les FL et son chef, notamment ce qui a trait aux contacts entre Hayeck et Ghassan Touma, ainsi que ses réunions avec Samir Geagea. Il a démenti aussi ce qu’il avait dit au sujet de la collaboration entre Keitel Hayeck et les services de renseignements de l’armée. La peur d’être condamné «Pourquoi avez-vous cherché à impliquer les services de renseignements de l’armée?», a alors demandé le président Honein. «Il fallait bien que je trouve une protection. Dans les régions est, il n’y avait que deux forces: l’armée et les FL. Il fallait bien que je dise que nous n’étions pas liés aux FL. C’est pourquoi j’ai parlé des SR de l’armée». «Mais vous avez ensuite évoqué les liens de Hayeck avec les FL» a insisté le président. Dans son élocution embrouillée, Rami a répondu que s’il n’avait pas dit cela, personne ne l’aurait cru. «J’ai alors inventé les liens de Keitel Hayeck avec les FL pour que les enquêteurs se calment. Mais il n’était pas question de gêner les FL, en lançant cette bombe. Ni d’ailleurs d’embrouiller qui que ce soit». «Pourquoi, dans ce cas, avez-vous écrit cela, dans la lettre que vous nous avez adressée? Pourtant, ici, nul n’a exercé de contraintes sur vous?», a encore demandé le président. Rami s’est alors tourné vers le procureur, en déclarant: «Dans cette salle, certaines personnes n’apprécient pas quand j’innocente les FL...» Pour justifier ses confusions, le sergent a donc invoqué en permanence la peur de se voir condamné. Mais comme l’a justement remarqué un avocat de la partie civile, la situation est la même pour tous les inculpés. Pourquoi est-il le seul à se contredire autant? C’est la Cour qui devra résoudre cette énigme. Mercredi prochain, elle reprendra l’audition des témoins, après l’intermède Hayeck qui aura occupé au total trois audiences, intenses et souvent émouvantes, même si elles n’ont pas toujours porté sur le sujet principal de ce procès: identifier les assassins du premier ministre du Liban.
Deux hommes que l’on croyait très proches peuvent-ils agir chacun de son côté et pour ses propres mobiles? C’est la question que se posait hier l’assistance après avoir longuement écouté les réponses contradictoires de Keitel Hayeck et Camille Rami, tous deux inculpés dans l’affaire de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé et qui passent en jugement devant...