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Actualités - REPORTAGE

Interrogé par la cour de justice dans le cadre de l'affaire Karamé Keitel Hayeck déclare qu'il dirigeait une cellule qui s'attaquait aux troupes syriennes (photo)

L’inculpé Antoine Chidiac — dans le procès des personnes accusées de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé — n’est plus le seul à faire rire les magistrats et l’assistance au cours des audiences. Keitel Hayeck — libéré le 5 mars par la Syrie, pour comparaître aussitôt devant la Cour de justice dans cette affaire — a provoqué hier, à plusieurs reprises, l’hilarité de la salle. Bien que son avocat, Me Mohamed Moghrabi, ne se soit pas montré, déléguant deux personnes de son étude — qui se sont à leur tour retirées de l’audience —, l’inculpé a montré que, comme il l’avait dit au cours de l’audience précédente, il n’a pas vraiment besoin d’un défenseur. Près de quatre ans de prison en Syrie ne lui ont, en effet, pas fait perdre sa vivacité d’esprit et sa verve particulière. Le commandant — qui, selon ses propres dires, a quitté l’armée en 1991, parce qu’il était recherché par les Syriens à la suite de l’opération du 13 octobre 90, qui avait abouti à l’éviction du général Aoun — a exposé son point de vue à la cour, allant même jusqu’à reprocher au procureur général, M. Adnane Addoum, de ne pas avoir envoyé à son sujet une demande d’extradition à la Syrie. Sûr de lui, souriant et très à l’aise, bien que souffrant physiquement, il a multiplié les clins d’œil adressés aux avocats de la partie civile et les approches en direction des membres de la cour, notamment le magistrat Ralph Riachi, qui avait été le premier à lui parler dans le cadre de l’interrogatoire préliminaire, et qui n’a jamais autant ri, au cours d’une audience. Cellule de libération En plus de 5 heures d’interrogatoire, Keitel Hayeck a ainsi raconté qu’il dirigeait une cellule œuvrant pour la libération du Liban de «toutes les occupations étrangères sur son sol, mais plus particulièrement contre les troupes syriennes» et qu’il la finançait en travaillant avec la DEA (l’agence américaine pour la lutte contre les stupéfiants). Concernant l’affaire Karamé, il a reconnu avoir demandé à son beau-frère Camille Rami et à Hassan Ali Ahmed de lancer une charge de dynamite sur la tombe de l’ancien premier ministre, peu avant le quarantième de son décès. Mais il a affirmé avoir agi de son propre chef, pour «empêcher les participants à cette cérémonie d’allonger leurs discours et d’attaquer l’Etat et ses symboles, notamment l’armée libanaise et le chef de l’Etat». Cette version n’a toutefois pas convaincu le procureur général, M. Addoum, qui reste persuadé que Hayeck travaillait pour le compte des Forces libanaises et il espère le prouver au cours de la prochaine audience, mercredi, consacrée à la poursuite de l’interrogatoire du commandant. L’audience commence vers 15h30 et se poursuit sans interruption jusqu’à 21h30. C’est que la cour est assez coincée dans le temps, l’un de ses membres, M. Hekmat Harmouche, passant à la retraite le 1er juillet prochain. A ce sujet, M. Issam Naaman (de la partie civile) a proposé de soumettre au Parlement un projet de loi prolongeant l’âge de la retraite de M. Harmouche jusqu’à la fin de ce procès, alors que Me Edmond Naïm a suggéré que la cour nomme un magistrat suppléant qui assistera à toutes les audiences et évitera ainsi au tribunal de tout recommencer lorsqu’un magistrat sera nommé en remplacement de M. Harmouche. En attendant de résoudre ce problème, la cour essaie de faire aussi vite que possible, tout en se gardant toutefois de bâcler les audiences. Après l’inévitable discussion entre les avocats de la défense (notamment MM. Mohamed Fakih et Jihad Abounader de l’étude de Me Moghrabi), ceux de la partie civile et le procureur général, le président de la cour, M. Mounir Honein, décide d’entamer l’interrogatoire de Keitel Hayeck. L’interrogatoire Le commandant se dresse devant le micro et insiste pour rester debout en dépit de ses souffrances physiques. Il louche un peu, ce qui fait croire qu’il regarde toujours les avocats de la partie civile. Comme le président lui pose la première question résumant les déclarations de son beau-frère «et complice» Camille Rami, Hayeck s’écrie: «Tout cela c’est une seule question?» Il donne ainsi le ton de son interrogatoire, qui sera truffé de mots et d’expressions drôles, mais aussi de sermons en faveur de la libération du territoire. C’est que condamné en Syrie à 15 ans de travaux forcés pour plusieurs attaques contre les troupes syriennes, l’homme n’a rien à cacher. Il raconte même à la cour que lorsque les enquêteurs syriens l’interrogeaient sur des faits précis, il leur a répondu: «Ne vous fatiguez pas. Je suis responsable de toutes les attaques contre vos troupes, qui ne consistaient pas en l’explosion de voitures piégées». Il précise aussi que son interrogatoire en Syrie a duré 680 jours. Mais que c’est à Mazzé (une prison syrienne) qu’il a appris par la BBC qu’il avait été condamné par le tribunal militaire libanais à 12 ans de prison pour une tentative d’assassinat du brigadier syrien Ghazi Kanaan. C’est aussi là-bas qu’il a lu dans un journal que le procureur Addoum a refusé d’envoyer à la Syrie une demande d’extradition à son sujet. «Cela m’a beaucoup gêné, dit-il. C’est comme si le Liban renonçait à sa souveraineté. De toute façon, on m’a arrêté et nul n’a songé à réclamer ma libération. De toute façon, mes galons, je les tire de mes actes». Visiblement, l’homme n’a aucun problème à parler de sa détention en Syrie et il reconnaît lui-même que les temps ont changé et qu’aujourd’hui, la situation est différente. Son aisance donne d’ailleurs du courage à Camille Rami qui demande à prendre la parole. Il affirme avoir écrit jeudi soir, dans sa cellule, des faits importants sur un papier qu’il souhaite remettre à la cour, à condition qu’elle en garde le contenu secret. La cour demande alors à l’assistance et naturellement aux journalistes de sortir, pour lire le papier aux représentants du parquet et aux avocats. Quelques minutes plus tard, la cour rappelle les journalistes et l’audience se poursuit normalement. D’après les questions qui suivent, on comprend que Rami a parlé dans son papier de la charge jetée sur la tombe du premier ministre assassiné. Selon certaines déductions, l’objectif était de déranger «un personnage important» (on croit savoir qu’il s’agirait du brigadier Kanaan) et l’opération s’inscrirait ainsi dans le cadre de la lutte contre les «troupes d’occupation». Interrogé à ce sujet, Keitel Hayeck déclare ne pas se souvenir exactement de ce fait. Selon lui, alors qu’il lisait le journal, en compagnie de Hassan Ali Ahmed, il aurait appris qu’une cérémonie serait organisée à l’occasion du quarantième de l’assassinat du premier ministre Karamé. Il a alors pensé que tout le monde en profiterait pour lancer des accusations contre l’Etat et ses symboles. Il aurait alors suggéré de lancer un explosif pour créer un climat troublé et pousser les participants à la cérémonie «à être moins bavards». Hassan Ali Ahmed aurait aussitôt décidé de concrétiser l’idée, tout en prenant soin, comme le lui a demandé Hayeck, de faire en sorte que la charge n’explose pas. Le magistrat Riachi lui demande alors l’étendue des dégâts qui auraient eu lieu si elle avait explosé: «Elle aurait pu causer des dommages dans un rayon de 10m», répond Hayeck. Le président Honein veut savoir si cette opération s’inscrit dans le cadre de sa lutte pour la libération du territoire et Hayeck répond par la négative. Les risques Le procureur Addoum lui demande alors si l’enjeu de l’opération justifiait les risques encourus par Ahmed et Rami (qui devaient traverser plusieurs barrages, notamment syriens). «C’est vrai que l’enjeu, quand on y pense, est ridicule. Mais Rami m’avait habitué à passer les barrages avec une grande facilité. Je n’ai donc pas pensé aux difficultés». M. Issam Naaman veut alors savoir pourquoi il a choisi cette cérémonie en particulier, puisqu’il affirme que dans tous les meetings on attaquait l’Etat et ses symboles. Quant à Me Dayé (lui aussi de la partie civile), il formule une objection sur les propos de Hayeck, puisque, selon lui, des discours très nationalistes et favorables à l’Etat et à l’unité du pays ont été prononcés (Me Edmond Rizk faisait partie des orateurs) à cette cérémonie. Le procureur interroge ensuite Hayeck sur le fameux Naji Khoury, dont Camille Rami avait parlé, précisant qu’il avait été arrêté par les FL en 87, dans le cadre de leur propre enquête sur l’assassinat de Karamé. Hayeck a l’air éberlué: «Les FL étaient-elles responsables de l’enquête?» Il nie donc tout lien entre l’arrestation de Naji Khoury et l’assassinat de Karamé. Selon lui, Khoury était un combattant du Tanzim (présidé par Abou Roy), mais il faisait aussi partie de sa cellule de lutte pour la libération du territoire. C’est lui qui lui procurait les explosifs qu’il remettait par la suite à Rami et à Ahmed. Il ajoute que Khoury a fui les régions est en 1980, à la suite de l’opération de Safra, menée par les FL contre les combattants du PNL, et s’est réfugié dans le Nord. Il n’y est revenu qu’en 1986 (après que Geagea eut pris le commandement des FL). Il aurait ensuite noué des liens avec les Palestiniens. Ce qui lui aurait peut-être valu d’être arrêté par les FL. Addoum veut savoir s’il poussait les membres de sa cellule à lutter aussi contre les troupes israéliennes, qui occupaient le territoire. Et Hayeck répond: «Géographiquement, c’était impossible, puisqu’il y avait plus de 100 km entre nous. J’apprenais à mes hommes les techniques de la guérilla et celle-ci suppose une proximité avec l’adversaire. Or nous étions dans la Békaa et l’armée israélienne était au Sud». L’armée israélienne occupe aussi la Békaa et à un moment donné, elle s’est trouvée à Sofar, rappelle Addoum. Mais Hayeck ne répond pas directement à la question. Et Me Emile Younès, avocat de Camille Rami, précise que l’affaire de la collaboration avec l’ennemi israélien est actuellement en procès devant le tribunal militaire (la prochaine audience aura lieu le 20 mai). Hayeck est ensuite invité à parler de ses relations avec Samir Geagea. Il affirme ne l’avoir rencontré que trois fois: en 1978 alors qu’il était en poste dans le jurd de Jbeil, en 86, lorsqu’il a été lui présenter ses félicitations, lorsqu’il a pris le commandement des FL, et en 1991, lorsqu’il a voulu le remercier d’avoir fait relâcher son frère Raymond, arrêté par les FL en 1991. Le procureur veut le pousser à dire qu’il a combattu aux côtés de Samir Geagea en 78. Mais il est déjà tard et le président lève l’audience. Il autorise ensuite Camille Rami et Keitel Hayeck à se donner l’accolade. Ils ne se sont pas vus depuis 1987. Les deux hommes s’étreignent longuement et ont les larmes aux yeux. C’est sur cette note d’émotion que la salle se vide.
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