Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

La cour poursuit l'interrogatoire des inculpés dans l'affaire Karamé Addoum veut prouver l'implication de Hayeck avec les FL et le commandant de réserve campe sur ses positions

A l’issue de la seconde audience consacrée à son interrogatoire dans le procès de l’affaire Karamé, le commandant de réserve, Keitel Hayeck, demeure une énigme. S’il est passé maître dans l’art de séduire son auditoire, multipliant les sourires, les expressions simplifiées et parfois les signes de fatigue, utilisant tacitement sa période de détention en Syrie comme un moyen d’attirer la sympathie, il ne parvient pas à dissiper toutes les zones d’ombre de son passé. Surtout face au procureur général, M. Adnane Addoum, déterminé à prouver les liens de l’inculpé avec les Forces Libanaises. Entre les deux hommes, c’est un duel silencieux et déséquilibré. D’un côté, le représentant du parquet, bien installé dans son fauteuil à dossier spécial (pour cause de maux de dos), à l’aise et pénétré de sa mission et de l’autre, un commandant en civil, frêle et souffreteux, qui use et abuse de son sourire à la «Ziad Rahbani», jetant un regard désabusé sur ce monde dont il croit avoir connu le pire... S’il n’y a aucune animosité entre les questions et les réponses, l’enjeu du duel est quand même important, puisqu’en définitive, la cour devra décider si oui ou non, Keitel Hayeck est intervenu dans l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé, en donnant l’ordre de lancer, pour le compte des FL, une charge explosive sur la tombe de la victime, à la veille de la cérémonie de commémoration du quarantième du décès. Deux documents d’une grande importance Pour l’instant, l’inculpé nie tout lien avec les Forces Libanaises et tout en reconnaissant les faits qui lui sont imputés, il affirme avoir agi, sur une impulsion, afin de créer un climat tendu pendant la cérémonie commémorant le quarantième de l’assassinat, et de pousser ainsi les orateurs «à résumer leurs discours». Et c’est là qu’intervient le procureur Addoum. Comme il a pris l’habitude de le faire depuis l’ouverture de ce procès, il a exhibé, hier, deux documents d’une grande importance: le premier, extrait du registre remis par les autorités syriennes au commandement de l’armée, au moment de la relaxation des 121 détenus Libanais à Mazzé, explique que le «tribunal de campagne de la brigade» a jugé Keitel Hayeck et l’a condamné à la prison à vie. Dans un petit résumé de son cas, il est dit que le commandant Keitel Hayeck est lié aux Forces Libanaises isolationnistes depuis 1979. Ses liens se sont renforcés avec Samir Geagea et ce dernier lui a demandé de combattre, avec son unité, nos forces à Jbeil, Fayadiyeh et au Kesroaun. Hayeck a été jugé pour ses liens avec les FL et ses opérations contre les troupes syriennes et il a aussi donné l’ordre de lancer une charge explosive sur la tombe de Rachid Karamé. Le second document est une copie du procès-verbal de l’interrogatoire de Camille Rami devant le juge d’instruction militaire. Dans cet interrogatoire, l’inculpé reconnaît que Keitel Hayeck travaillait pour le compte du service de sécurité des FL et qu’il lui avait même donné l’ordre de se rendre en Israël et de traiter avec l’ennemi là-bas. Deux documents accablants donc, qui ne troublent toutefois nullement le commandant Hayeck. Ce dernier maintient sa version des faits, se demandant comment les autorités syriennes ont pu commettre une telle erreur, alors qu’il a lui-même reconnu avoir mené des opérations contre leurs troupes dans la Békaa. Quant aux propos de Camille Rami, il déclare sobrement ignorer les circonstances qui l’ont poussé à proférer de tels mensonges. De son côté, Rami proteste avec véhémence, niant tout lien avec les Israéliens. Mais le procureur lui rappelle qu’il a été condamné par le tribunal militaire pour collaboration avec l’ennemi et Rami répond qu’il s’est pourvu en Cassation militaire contre ce jugement. Harcelé par le procureur général, le commandant Hayeck affirme s’être battu avec l’armée du général Michel Aoun contre les FL, notamment à la Faculté des Sciences de l’UL (Kfarchima) puis au centre Myrna Chalouhi. Mais deux jours après l’opération du 13 octobre 1990 (qui a entraîné le départ de Baabda du général Aoun), il s’est rallié au brigadier Elie Hayeck, installé à la caserne de Sarba et ayant parmi ses principaux adjoints, le colonel Paul Farès (qui avait fait dissidence et était proche des FL). Keitel Hayeck ne dit pourtant pas explicitement avoir servi sous les ordres de Paul Farès. Au procureur qui lui demande comment il n’a pas eu peur de se rendre chez les FL, «après, comme il dit, s’être battu contre elles avec tant de férocité », Hayeck répond qu’il avait le choix entre rester sur place et se faire peut-être tuer par les soldats syriens et leurs alliés, ou se rendre dans les régions sous contrôle des FL et se faire peut-être tuer là bas. «J’ai préféré mourir de la main des FL », dit-il en souriant, déclenchant les rires de Samir Geagea. Le commandant des FL dissoutes ne perd d’ailleurs pas un mot des propos de Keitel Hayeck, qu’il a l’air de considérer comme un véritable phénomène. Quant à Camille Rami (qui travaillait sous ses ordres et qui est aussi son beau-frère), il le regarde avec un sentiment proche de la vénération. Grâce à ses investigations poussées, le procureur lui rappelle qu’il avait enrôlé au sein de l’unité qu’il commandait dans la brigade des Ansar (créée par le général Aoun pendant la guerre entre les FL et l’armée) un certain Clovis Matta, ancien officier des FL, tout comme il avait donné une carte de membre de cette brigade à Hussein Saab, officier des FL, tout comme il a protégé le sergent de son unité Georges Tok, lui donnant une permission pendant la durée de la guerre dite d’élimination, pour mettre ensuite son nom sur la liste des promotions. Naturellement, Keitel Hayeck a réponse à tout. Selon lui, Clovis Matta est un nom fictif qu’il a donné à l’un des siens pour le protéger des FL. Hussein Saab faisait partie des «maghawirs» (commandos) de l’armée et il lui est entièrement dévoué. «Il fait partie des éléments de l’armée tout à fait respectables». Quant à Georges Tok, son frère est mort au début de la guerre dite d’élimination, dans les rangs des FL. «Comme il a fait une crise, j’ai préféré le mettre à l’écart. Je lui ai interdit de se battre avec nous, mais je n’ai pas demandé sa promotion». Le procureur continue à le bombarder de faits, concernant ses missions en 78 et 79 au Nord, alors que Samir Geagea se trouvait au couvent de Kattara. Il lui rappelle aussi comment avec l’aide de Habib Rahmé, chef de l’escorte de Samir Geagea, il a réussi en 1986 à faire passer Naji Khoury (qui travaillait avec lui, selon ses déclarations au cours de l’audience précédente) vers les régions sous contrôle des FL, alors que ce dernier combattait aux côtés des Maradas. Keitel Hayeck déclare connaître Habib Rahmé, mais il nie lui avoir demandé de l’aider dans le «déménagement de Khoury»... Les questions continuent à pleuvoir et l’inculpé y répond, aidé par son nouvel avocat, Me Emile Younès (qui défend aussi Camille Rami), depuis le refus de Me Mohamed Moghrabi de se charger de sa défense. D’ailleurs, l’audience d’hier a failli ne pas se tenir, Me Moghrabi ayant avisé la cour de sa décision, peu de temps avant son ouverture . Comme il n’est pas possible qu’un inculpé se retrouve sans avocat, la cour a aussitôt entrepris des contacts pour que la défense de Hayeck soit assurée. Ce dernier a souhaité que Me Younès devienne son défenseur et ce dernier a accepté, sans demander de délai pour étudier un dossier qu’il connaît déjà. L’audience a donc pu se tenir et Me Emile Younès a siégé au premier rang des avocats de la défense. Il occupera encore cette place au cours de la prochaine audience, vendredi, puisque l’interrogatoire de Hayeck devra se poursuivre. Pour les avocats de Geagea, les propos de Keitel Hayeck sont vitaux, car, selon eux, si le commandant n’a pas agi pour le compte des FL, c’est que celles-ci n’ont pas voulu lancer l’enquête officielle sur une fausse piste et donc ne sont pas les auteurs de l’assassinat du président Karamé. Pour le procureur et la partie civile — qui restent convaincus que Hayeck a agi pour aider les FL — même si ce dernier a agi de son propre chef, ce n’est qu’une présomption en moins contre les FL. Mais il y en a beaucoup d’autres... Aussi passionnant qu’il soit, le cas Hayeck n’est qu’un élément annexe de ce dossier particulièrement compliqué.
A l’issue de la seconde audience consacrée à son interrogatoire dans le procès de l’affaire Karamé, le commandant de réserve, Keitel Hayeck, demeure une énigme. S’il est passé maître dans l’art de séduire son auditoire, multipliant les sourires, les expressions simplifiées et parfois les signes de fatigue, utilisant tacitement sa période de détention en Syrie comme...