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Actualités - REPORTAGE

Patrimoine - Un semestre culturel à l'Institut du monde arabe "Liban, l'autre Rive" : mais quelle est donc la première ?

A la veille de l’inauguration officielle, ce soir, de l’exposition «Liban , l’Autre Rive», l’Institut du monde arabe, grand bâtiment gris de verre et d’acier qui tourne le dos à la Rive gauche de la Seine, est une ruche en pleine effervescence. Partout, des spécialistes, archéologues, scénographes, peintres, menuisiers, poseurs de moquettes, ouvriers s’affairent autour de grandes caisses en bois d’où émergent des pièces archéologiques en provenance de Berlin, Munich, Séville, Nicosie, Londres, Moscou, Genève, Damas, Avignon, Paris et Beyrouth, des toiles de Khalil Gebrane expédiées des États-Unis, des objets artisanaux, des livres, des vêtements, des spécialités gastronomiques libanaises convoyés en droite ligne de l’AIB. Partout on taille, on coupe, on colle, on peint, on ajuste, on arrange, on garnit cimaises, rayonnages et vitrines. Partout, parce qu’il s’agit de mettre en place et entrain non pas une mais bien trois expositions, plus un souk à la libanaise («Liban, un art de vivre») sous un chapiteau dressé sur le parvis et aménagé en khan à patio central entouré d’arcades et de boutiques qui proposeront toutes sortes de produits et de denrées made in Lebanon, outre un restaurant de 150 places et un comptoir du livre arabe qui pourvoiront aux nourritures terrestres et spirituelles. Il y manquera un comptoir du disque, curieux oubli. L’exposition archéologique, pièce maîtresse de l’ensemble, est flanquée de trois expositions satellites: «Khalil Gebrane artiste et visionnaire», un beau panorama de la vie et de l’œuvre littéraire et artistique de l’auteur du Prophète; «Beyrouth, forum des arts», une récapitulation par le texte et l’image de l’âge d’or culturel de la capitale libanaise, de 1950 à 1975. Ces deux expositions ouvrent dès ce soir. La troisième, «Liban intime», qui montrera, dans leurs formats d’origine, des photographies d’amateurs de 1850 à 1960, ouvrira ses portes le 10 novembre. Déjà, la machine publicitaire et éditoriale se met en marche, une campagne d’affichage dans les stations de métro et sur les flancs des bus est lancée, le magazine Beaux-Arts donne dans un hors série, en primeur, un avant-goût de l’exposition principale, le Figaro Magazine évoque lui aussi le Liban dans un reportage assorti d’un article de Ghassane Tuéni, la Revue Photoargus publie des clichés inédits de Marie el-Khazen dont certains feront partie de «Liban Intime». On imagine déjà les retombées touristiques de tout ce battage médiatique qui ira en s’amplifiant. Les expositions sont accompagnées de gros catalogues et de nombreuses publications dont un nouveau guide du Liban par Hareth Boustany, un ouvrage de Farouk Mardam Bey sur 16 «Grandes figures du Liban contemporain», un dossier bio-bibliographique sur Khalil Gebrane, un dossier spécial de la revue de l’IMA Qantara sur «Beyrouth, de la cité des lettres à la ville du futur», un autre de la revue Spectacles, un petit journal jeunes coédité avec le supplément Les Copains de L’Orient-Le Jour, un film vidéo de 52 minutes produit par l’IMA et édité par la Réunion des musées nationaux. Parallèlement, des atelliers pour enfants animés par le peintre Fadia Haddad, un atelier gastronomique, des colloques, conférences, débats, rencontres sur tous les aspects de la culture libanaise contemporaine, roman, poésie, théâtre, arts plastiques, musique, médias, plus une véritable rétrospective du cinéma libanais avec une centaine de projections. Convivialité Déjà, plusieurs spectacles musicaux ont été donnés avec grand succès, dont les chants de la conférence Qâdiriya de derviches tourneurs de Tripoli qui ne se sont jamais produits en public au Liban et qui ont fait forte impression sur un auditoire sensible à tout ce qui touche au soufisme, les chants sacrés chiites de Achoura avec Wahid Mughniyyé et les chants d’inspiration bédouine et populaire de Mohammed al-Rammal les jouets de zajal de Zaghloul el Damour et de sa troupe. Les atâba et les mijâna de Youssef Muslih et de son ensemble de chants poétiques et de jeux martiaux (seif wa turs, sikkin) du Mont-Liban (Chouf). La chorale du Conservatoire national de musique dirigée par Aïda Chalhoub a présenté vendredi 23 et samedi 24 octobre (en présence de Mme Mona Hraoui et de nombreuses personnalités) un programme électique de chants byzantins, chants syriaques, hymnes musulmans, mowachahat, chants folkloriques et mélodies populaires modernes, esquissant ainsi en musique l’histoire et l’identité complexes du Liban, et donnant un bel exemple de convivialité communautaire qu’on a rarement l’occasion de voir et d’entendre au Liban même. Apparemment, il faut sortir du pays pour en percevoir de façon œcuménique toutes les richesses patrimoniales. Ce qui frappe, c’est la continuité musicale à travers la pérennité et l’ubiquité des modes musicaux utilisés (notamment le Hijaz Kar): on se rend compte combien les traditions musicales syriaque, maronite, byzantine, orthodoxe et musulmane sont, musicalement parlant, proches parentes et combien, en passant des chants sacrés aux chants profanes, la pulsation rythmique et la vivacité mélodique s’accentuent, se faisant de plus en plus énergiques et pétillantes, tout en conservant le sentiment de leurs origines. Cette prestation de la chorale du CNN prépare le terrain à des chorales plus spécialisées: celle du couvent de Balamand avec les chants a capella de l’Église orthodoxe d’Antioche, celle de l’USEK avec le chant syro-maronite, celle de la paroisse de Saint-Julien-le pauvre à Paris avec les chants de l’Église melkite. Plusieurs autres formations musicales profanes, des solistes, des troupes de danse et de théâtre se produiront d’ici le mois d’avril prochain. Ce n’est donc pas d’une ou de plusieurs expositions qu’il s’agit, mais d’une véritable saison, d’un semestre entier qui donne une idée de ce pourrait être en partie l’événement «Beyrouth, capitale culturelle du monde arabe» en 1999. En attendant, la capitale culturelle du Liban est Paris. Une saison donc, une énorme entreprise de préparation et de coordination qui a mobilisé des dizaines de personnes et dont la cheville ouvrière, du côté libanais, est l’ancien ministre Marwan Hamadé, qui s’est dépensé sans compter aussi bien pour assurer l’intendance que pour veiller aux moindres détails: vendredi passé, trouvant le cèdre bonzaï qui devait orner l’entrée de l’exposition trop mesquin, il a fait des pieds et des mains pour dénicher un exemplaire plus représentatif de notre emblème national, le Cedrus Libani. Ambiguïté Reste que «Liban, l’Autre Rive», l’intitulé éminemment ambigu pour ne pas dire équivoque de l’exposition principale, qui coiffe aussi toutes les autres manifestations du fait qu’aucun titre général ne vient les fédérer, prête à de multiples interprétations et mésinterprétations. Chacun y va de son explication plus ou moins critique. Apparemment, il a fallu de longues discussions pour le choisir parmi plusieurs dizaines de propositions avancées de toutes parts, dans un parfait compromis à la libanaise qui a brouillé les cartes pour contenter la chèvre et le choux et qui a empêché d’utiliser une formule faisant image positive comme, entre autres, celle de l’exposition sur le Yémen «Le pays de la reine de Saba», aux harmoniques à la fois géographiques, historiques et légendaires. Cet aspect négatif du titre a d’ailleurs été mis en relief par le recours, vendredi à la formule «l’autre rive» par le ministre français de l’Intérieur Chevènement pour décrire l’état comateux dont il vient d’émerger. Bien entendu, le sens le plus immédiat est qu’il s’agit de l’autre rive de la Méditerranée, la rive orientale. Certains en ont même fait l’autre rive du monde arabe, par opposition au Golfe et à la mer d’Oman. Ne fut-elle pas, cependant, la première rive, celle d’où rayonnèrent les hommes, les idées, les denrées, l’alphabet de la Phénicie vers l’autre rive occidentale? Et l’exposition n’a-t-elle pas été axée, justement, sur le thème des échanges humains, commerciaux, religieux et culturels? Quoi qu’il en soit, Ghassane Tuéni, dans une subtile et bienveillante interprétation, se demande, dans son article du Figaro Magazine, s’il ne s’agirait pas de «l’autre rive de l’âme libanaise». Mais quelle est donc la première, l’autre de l’autre?
A la veille de l’inauguration officielle, ce soir, de l’exposition «Liban , l’Autre Rive», l’Institut du monde arabe, grand bâtiment gris de verre et d’acier qui tourne le dos à la Rive gauche de la Seine, est une ruche en pleine effervescence. Partout, des spécialistes, archéologues, scénographes, peintres, menuisiers, poseurs de moquettes, ouvriers s’affairent...