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Actualités - ANALYSE

Spéculations intensifiées sur la composition du cabinet

Pour les amateurs de thrillers rien de plus frustrant que la «démocratie» à la libanaise. On y sait à peu près tout d’avance: qu’Émile Lahoud sera président de la République; que Nabih Berry restera au perchoir deux ans encore; que Rafic Hariri va se succéder à lui-même, fatalement si l’on peut dire… Un seul petit lot de consolation pour les passionnés de suspense: on ne sait toujours pas quelle configuration prendra le premier gouvernement du nouveau régime. Mieux encore: alors que les Trente sont encore assez loin de rendre leur tablier, la composition du futur Cabinet provoque déjà de sévères tiraillements sur la scène locale. Les politiciens professionnels, qui ont l’improvisation en sainte horreur, s’efforcent cependant de dégager un terrain d’entente et multiplient entre eux les rencontres analytiques. Ainsi dans un récent cénacle, toutes les formules imaginables ont été mises sur le tapis et passées au crible. Certains ont plaidé pour un gouvernement de figures nouvelles panaché, c’est-à-dire composé de valeurs qui n’ont pas encore servi, prises aussi bien dans le vivier parlementaire que parmi les technocrates. Lesquels comptent de fervents partisans, puisque d’autres estiment qu’on devrait avoir une équipe qui, M. Hariri excepté, ne devrait compter que des extraparlementaires. Cela en application du principe déontologique du non-cumul entre la députation et le ministère, à l’instar du système mis en place par de Gaulle en France où un député qui accepte un maroquin doit céder à son suppléant son siège du palais Bourbon. On sait que jadis l’un des ministres hraouistes, M. Chawki Fakhoury, avait élaboré un projet de loi allant dans ce sens, sans arriver à le faire voter. Les partisans d’un gouvernement panaché font valoir pour leur part qu’en politique, il est naturellement dangereux d’ignorer… la politique. Autrement dit, si le Conseil des ministres, qui est par essence même une autorité politique, ne devait pas comprendre de politiciens représentant diverses forces, les tensions intérieures ne trouveraient plus d’exutoire et la scène locale risquerait d’imploser. Et de relever que même dans le domaine socio-économique, il est évident que nombre de solutions ne peuvent être que de nature politique et que s’en remettre uniquement à des technocrates qui n’ont pas une vue d’ensemble de la situation pourrait provoquer de regrettables dérapages. Participation Sans compter, ajoutent-ils, que sous la houlette du nouveau chef de l’État, l’effort de redressement national devra évidemment être commun, le peuple participant dès lors par la voie et la voix de ses représentants au règlement de ses problèmes. Ces politiciens relèvent ensuite qu’un Cabinet composé exclusivement de technocrates aurait moins de chance qu’un gouvernement panaché d’obtenir éventuellement les pleins pouvoirs de la Chambre. Ils tiennent de même à rappeler un élément assez fondamental, à savoir que les accords de Taëf ont clairement spécifié que les gouvernements du nouveau système devraient être politiques, non de fonctionnaires ou de technocrates, afin de promouvoir l’entente nationale. Un argument qui semble cependant assez faible, dans la mesure où comme on le voit depuis neuf ans, les gouvernements successifs, pour politiques qu’ils fussent, ont presque tous été des antonymes de l’entente. Par contre, les tenants de cette thèse du panachage n’ont peut-être pas tort quand ils soulignent que l’on peut difficilement passer à l’État des institutions si la partie politique du pays n’est pas représentée au pouvoir. En effet, dans le cadre d’un système qui reste confessionnel, la stabilisation par l’équilibrage implique nécessairement que l’on prenne en compte les facteurs communautaires ou régionaux qui s’expriment par le truchement de forces politiques déterminées, elles-mêmes regroupées en blocs parlementaires distincts. «Où serait l’unité nationale, demandent ces personnalités, si on mettait le Nord de côté en ignorant des pôles comme Sleiman Frangié, Omar Karamé et Issam Farès et si l’on tenait à l’écart le Mont-Liban en refusant tout rôle à des leaders comme Walid Joumblatt, Michel Murr, Pierre Hélou et Talal Arslane?» Et de compléter ce petit tour du Liban, en évoquant Beyrouth, la Békaa et le Sud, avec les noms de «Fouad Boutros, Béchara Merhej, Tammam Salam, Michel Aoun, Mohammed Youssef Beydoun, Elie Skaff, Fouad Turk, Ismaïl Sukkarieh, Marwan Farès, Fouad Siniora, Mohammed Fneiche, Ali el-Khalil, Anouar el-Khalil, Nadim Salem, Yassine Jaber». Une liste qui est évidemment loin d’être exhaustive, mais tend à prouver que dans la mutation qui doit s’opérer, il serait préjudiciable d’oublier que le monde politique peut beaucoup apporter, dispose de beaucoup de compétences et de figures dynamiques ou sensées, parfois les deux. Antithèse En face, les défenseurs de la thèse d’un Cabinet d’extraparlementaires avancent les arguments suivants: – Un tel gouvernement ne serait pas composé uniquement de fonctionnaires ou de technocrates, dont la présence n’apporterait rien à la réalisation de l’entente nationale. Il peut comprendre des cadres compétents, des ingénieurs, des hommes d’affaires, des médecins, des avocats, qui s’intéressent à la politique, veulent s’y lancer ou l’ont déjà fait. Un sang neuf qui ne serait donc pas nécessairement dépolitisé. – Une telle équipe permettrait au nouveau régime d’affermir ses pas sans se heurter aux complications politiciennes traditionnelles, sans devoir plonger dans le marigot des revendications des uns ou des autres. Il n’aurait pas à se soucier de l’empoignade qui oppose, à chaque formation de Cabinet politique, les partis, les communautés et les leaders, ni à se casser la tête pour voir comment doser la composition sans fâcher personne. Et cela résoudrait incidemment un autre problème: la reprise du produit usagé, c’est-à-dire qui garder et qui éliminer parmi les ministres de l’actuel gouvernement dont certains se présentent comme inamovibles alors que leur chef ne peut pas les voir en peinture. De même, on n’aurait plus à se soucier, lors de la mise en chantier de projets d’intérêt public, des bâtons que certains pôles politiques intégrés au gouvernement s’ingénient à mettre dans les roues, parce que leurs intérêts particuliers ne s’y retrouvent pas ou par démagogie. Le chef de l’État et le président du Conseil n’auraient plus également à perdre leur temps à tenter de réconcilier des ministres qui se boudent parce que politiquement ils ne sont pas sur la même voie. – Le recours à des extraparlementaires et à la représentation des leaders par délégation est une pratique constante dans ce pays. Le président Camille Chamoun en accédant au pouvoir n’a pas fait appel à ses alliés de la «révolution blanche» qui avait renversé Béchara el-Khoury. Il a nommé Khaled Chéhab Premier ministre et l’a entouré de ministres pris hors de la Chambre. Plus d’une fois, l’émir Magid Arslane et Kamal Joumblatt avaient préféré se faire représenter au gouvernement plutôt qu’y siéger eux-mêmes. Et quand ces délégués étaient des sommités comme Hassan Moucharrafiyeh, Saïd Hamadé, Salah Selman, Fouad Najjar ou Sami Younès, on ne peut pas dire que le gouvernement était lésé.
Pour les amateurs de thrillers rien de plus frustrant que la «démocratie» à la libanaise. On y sait à peu près tout d’avance: qu’Émile Lahoud sera président de la République; que Nabih Berry restera au perchoir deux ans encore; que Rafic Hariri va se succéder à lui-même, fatalement si l’on peut dire… Un seul petit lot de consolation pour les passionnés de suspense:...