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Actualités - ANALYSE

Un cadeau plutôt empoisonné : le budget 99

«Ceux qui critiquent le renvoi du Budget 99 au prochain régime le font uniquement pour le plaisir», contre-attaque un ministre pour qui «il faut laisser au gouvernement à venir le soin de dessiner la politique financière du pays, puisqu’il en sera responsable». Un fair-play louable, mais que l’on peut interpréter comme une volonté de repasser la patate chaude à ce futur Cabinet. «Mais non, proteste cette personnalité, il n’y a pas de patate chaude. Nous avons réussi à maintenir le déficit budgétaire dans des limites décentes. Et nous avons eu droit à ce propos aux félicitations du président de la Banque mondiale, M. James Wolfenson». De fait, ce dernier, qui avait eu la gentillesse de répondre voici quelque temps à une plaisante invitation de M. Rafic Hariri de visiter le centre-ville, souligne que la Banque mondiale «entretient d’excellentes relations avec le Liban». Il annonce qu’elle compte y ouvrir un bureau «pour certifier sa confiance dans ce pays, dans son peuple et dans son gouvernement dont le président, tout à fait capable, tient toujours ses engagements». On ne saurait être plus amical…D’autant que M. Wolfenson surenchérit: «Le Liban, affirme-t-il, s’est doté d’un programme efficient pour s’assurer une stabilité monétaire permanente. Sous la conduite du président Hariri, ce pays peut, dès lors, continuer à progresser et à se développer». Cette attestation délivrée par une instance aussi concernée que compétente «constitue, reprend le ministre cité, la meilleure des réfutations aux critiques locales, qui reflètent le plus souvent des desseins politiques ou des intérêts particuliers». Sur un plan moins subjectif, ce ministre relève avec assez de pertinence qu’il ne servirait «à rien d’adopter un Budget que le prochain gouvernement voudra changer de fond en comble, à coups d’amendements et de rajouts, pour qu’il réponde à ses propres desseins. Il serait ainsi assez étonnant que les membres du prochain Cabinet aient, sur les crédits alloués à leurs départements respectifs, les mêmes vues que les ministres actuels quand on sait que plusieurs ministères sont appelés à disparaître ou à fusionner. Et pour le fond global, on ne doit pas oublier que, comme le souligne M. Hariri, le Budget doit être le miroir fidèle d’une politique déterminée qui change forcément d’un gouvernement à l’autre». On se demande pourquoi. Ou plutôt on se demande si par là les haririens veulent laisser entendre qu’ils vont modifier leurs fameuses priorités dites de reconstruction pour se rallier aux thèses de l’opposition, qui estime que l’Etat devrait en réalité s’occuper plutôt de soutenir les secteurs de production nationale… Le loyaliste enchaîne: «Personne n’a trouvé à redire quand nous avons annoncé que nous laisserions à nos successeurs la liberté de traiter comme ils l’entendent des questions de bien moindre importance que le Budget. On a trouvé cela normal et ça l’est à plus forte raison pour la loi des finances. Il n’y a pas lieu, en effet, de raviver maintenant, avec la tension que connaît la région, des questions conflictuelles comme les carrières, la chasse, la réorganisation de l’information ou l’éducation religieuse dans l’école publique. On a de même reporté au prochain régime le problème de l’échelle des salaires et on ne voit pas comment établir le Budget sans en tenir compte». Puis d’avouer mezza voce, en oubliant que, juste avant, il se félicitait de la limitation du déficit, que «le prochain régime voudra probablement comprimer les dépenses d’un côté, pour mieux payer le service de la dette publique et d’un autre côté engager ses fonds en fonction d’une réforme administrative qu’il voudra entreprendre…Il est également possible qu’il ait à faire face à une situation financière difficile, à cause de la crise des marchés mondiaux…». Longue liste Et de rappeler que le «document de réforme» autour duquel les trois présidents s’étaient entendus à Baabda prévoit des projets qui ne seront réalisés que sous le prochain régime et qui affectent le Budget : –Fusion de ministères, ou de conseils ou d’offices autonomes. Fusion également de services sécuritaires comme la Sûreté générale, les Forces de sécurité intérieure et la Sûreté de l’Etat. –Réactivation des organismes de contrôle administratif comme le Conseil de la Fonction publique ou l’Inspection centrale et refonte du code des fonctionnaires. Création d’un centre de dispatching pour la redistribution du personnel en excédent dans certaines administrations. Arrêt des primes de déplacement octroyées aux fonctionnaires ou aux gardes du corps qui accompagnent des responsables en voyage. Rétablissement des dispositions de l’article 34 du règlement concernant les retraites, les anciens fonctionnaires ne devant pas toucher à ce titre plus de 75% de leur dernier traitement. Suppression de la couverture des frais médicaux pour des soins reçus à l’étranger, sauf avec l’accord du Conseil des ministres. Réhabilitation par contre des hôpitaux gouvernementaux, en entamant un processus conduisant à la cessation progressive du système des conventions conclues dans ce domaine avec le secteur privé. Obligation pour les bénéficiaires des soins assumés par le ministère de la Santé de couvrir les frais à hauteur des sommes prévues dans le code de la sécurité sociale, section assurance maladie. Abolition également des indemnités versées aux anciens députés et présidents, avec possibilité de subvention spéciale en cas de besoin. Taxe imposable à tous les exploitants de biens domaniaux maritimes. Impôt sur les bénéfices. Suppression de l’exemption de droit d’aéroport pour les diplomates étrangers et leurs familles. Etc. Toutes ces mesures ont fait l’objet de projets élaborés par le ministère de la Justice et qui doivent donc être approuvés par le Conseil des ministres d’abord, par la Chambre ensuite. Le prochain gouvernement peut n’être pas en tout du même avis que la troïka actuelle et annuler ou modifier certaines des dispositions envisagées qui vont toutes dans le sens de l’augmentation des ressources et de la compression des dépenses de l’Etat. –Sur un autre plan, le Cabinet actuel est devenu à cause de la présidentielle un gouvernement d’expédition des affaires courantes et il ne peut s’autoriser à prendre des décisions importantes comme la préparation du Budget. –Enfin, et cet aveu doit en coûter au ministre qui le fait, pour garder le déficit de l’année 98 dans les limites des 39%, l’Etat a tout simplement reporté le paiement de nombre d’échéances de lourdes dettes, contractées entre autres envers les hôpitaux privés, les entrepreneurs de travaux publics ou encore pour payer des expropriations… Il faudra en outre répondre à la pression du côté du financement du retour des réfugiés et du développement des régions déshéritées. D’où on conclut que le Budget 99 sera pesant et vraisemblablement très déficitaire.
«Ceux qui critiquent le renvoi du Budget 99 au prochain régime le font uniquement pour le plaisir», contre-attaque un ministre pour qui «il faut laisser au gouvernement à venir le soin de dessiner la politique financière du pays, puisqu’il en sera responsable». Un fair-play louable, mais que l’on peut interpréter comme une volonté de repasser la patate chaude à ce futur...