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Actualités - INTERVIEWS

Rencontre avec un représentant de la conférence des évêques de France Le Liban, laboratoire de la convivialité islamo-chrétienne (photo)

La convivialité islamo-chrétienne est l’un des enjeux du XXIe siècle. Le monde entier se penche sur le Liban comme sur l’un des laboratoires où l’alchimie de cette convivialité l’opère. C’est faire porter à nos fragiles épaules un fardeau bien lourd. Pourtant, c’est notre destin, notre vocation historique: le Liban sera convivial, ou ne sera pas. Heureusement, la convivialité s’apprend. Invité par le Comité national pour le dialogue islamo-chrétien, le P. Gwénolé Jeusset, responsable du secrétariat pour les relations avec l’Islam (SRI) de la conférence des évêques de France, se trouvait récemment au Liban. Breton, franciscain, avec une longue expérience de l’islam africain — en Côte d’Ivoire et au Cameroun notamment —, le P. Jeusset a pris, trois semaines durant, le pouls de la convivialité islamo-chrétienne au Liban, où il a notamment rencontré les principaux pôles religieux musulmans. Nous apprenons que l’Église de France prépare une déclaration sur l’islam français, qui sera examinée au cours de la réunion annuelle de la conférence épiscopale de France, en novembre, à Lourdes. Le P. Jeusset explique: «L’islam est sur notre sol une religion nouvelle. C’était une religion de migrants. Aujourd’hui, sur 60 millions de Français, il en est deux qui sont de nationalité française. C’est donc un islam français qui s’installe, avec ses institutions, et certains Français le vivent très mal. L’Église de France va donc publier une déclaration réfléchie sur cette question». L’irruption de l’islam dans la société française a eu l’avantage d’amener les Français à «repenser la laïcité» dont le sens avait été dévoyé vers l’anticléricalisme, poursuit le P. Jeusset. «On en arrive aujourd’hui à ce que devait être la laïcité de l’État tout au début, c’est-à-dire que, dans un tel État, il ne devrait pas y avoir de religion dominante, quelle que soit l’importance numérique des adhérents aux différentes croyances». «Que veulent les musulmans? Étre une composante de la société ou s’y insérer en attendant de la changer?», voilà, selon le P. Jeusset, l’une des questions centrales du dialogue de la convivialité. «On entend des jeunes dire: on va bientôt vider vos églises, et c’est vécu comme quelque chose d’effrayant par certains chrétiens», ajoute le dignitaire catholique. Et de souligner que cette tendance minoritaire existe en France, et qu’elle rend le dialogue encore plus nécessaire, d’autant que, la crise économique et le chômage aidant, certains courants politiques français jouent sur la peur de l’étranger et présentent l’Église comme «un rempart contre l’Islam». Pour le responsable du SRI, l’un des avantages de l’institutionnalisation de l’islam c’est de le rendre plus visible, de dépasser «l’islam des caves et des garages», des salles de prière de fortune où fleurissent les intégrismes. «Les évêques de France sont pour la construction de mosquées non seulement pour des raisons de liberté religieuse, mais aussi pour qu’il y ait un islam plus modéré», souligne-t-il. Revisiter l’histoire C’est que, pour le P. Jeusset, il n’y a pas un islam, mais «des islams», ou plutôt des «aires culturelles musulmanes» différentes l’une de l’autre; que, par exemple, l’islam africain est différent de l’islam arabe, et ce dernier de l’islam indonésien ou bosniaque. «Les Arabes se trompent s’ils croient qu’il n’y a qu’une culture arabo-musulmane», indique-t-il. «Il faut faire l’apprentissage de la convivialité», poursuit le responsable du SRI et, pour cela, un décloisonnement des expériences est, selon lui, utile. «On ne peut pas faire de dialogue islamo-chrétien chacun de son côté; il est très utile de le faire à l’échelon mondial, pour connaître ce qui se passe ailleurs, et pas seulement les conflits», souligne-t-il. Cet apprentissage passe aussi par «une purification de la mémoire». Le P. Jeusset est convaincu que «si on étouffe les affaires, elles finiront par sortir». Pour la France, «il faut arriver à faire se rencontrer les gens», indique-t-il. Cela vaut aussi pour le Liban. Selon lui, «les Libanais sentent bien que, pour faire le Liban, ils doivent être unis. Même ceux qui n’y croient plus se disent que s’il y a une chance d’y arriver, c’est en étant unis». Il faut donc se rencontrer, «ne plus vivre sur l’idée que l’on se fait de l’autre» et, pour cela, «la naïveté est aussi dangereuse que le préjugé». Il reconnaît aussi que, «si la purification de la mémoire est l’une des clefs de la réussite du dialogue, sur un passé aussi récent que le vôtre, cette revisitation de l’histoire est encore plus difficile». «Elle ne m’en paraît pas moins capitale», conclut-il sur ce point. «La laïcité est un avantage en France, mais est-ce possible au Liban?», s’interroge encore le P. Jeusset, dont les préférences vont au modèle de l’État laïc français, plutôt qu’au modèle multiconfessionnel libanais. «Mais que ce soit ici où là, l’une des grandes leçons de la convivialité, croit-il, c’est que le dialogue doit être initié par la communauté majoritaire. En France, par l’Église, au Liban, par les musulmans». «Car, explique-t-il, il n’est que trop facile de croire que lorsque la minorité veut le dialogue, elle le souhaite parce qu’elle en a besoin. Et comme ce n’est jamais complètement faux, ça complique les choses». Et le P. Jeusset de conclure sur une note d’espérance: «Chrétiens et musulmans forment aujourd’hui la moitié de la population du globe. S’ils parviennent à s’entendre, et c’est là l’un des enjeux du dialogue, il y aura la paix dans le monde».
La convivialité islamo-chrétienne est l’un des enjeux du XXIe siècle. Le monde entier se penche sur le Liban comme sur l’un des laboratoires où l’alchimie de cette convivialité l’opère. C’est faire porter à nos fragiles épaules un fardeau bien lourd. Pourtant, c’est notre destin, notre vocation historique: le Liban sera convivial, ou ne sera pas. Heureusement, la...