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Actualités - INTERVIEWS

Liban-Syrie : une interview du secrétaire général du comité conjoint Nasri Khoury : l'heure est idéale pour des accords de coopération équilibrés (photo)

Pris par le pseudo-suspense de l’échéance présidentielle, les Libanais en ont oublié cet autre événement qui risque, lui aussi, d’être d’une grande importance: la visite du président syrien Hafez el-Assad à Beyrouth. Annoncée intempestivement par le président du Conseil à Washington, en juillet dernier, elle a depuis été confirmée par les autorités syriennes, sans qu’une date précise ne soit avancée. Le secrétaire général chargé de l’application du Traité de Fraternité et de Coopération libano-syrien, M. Nasri Khoury, est, quant à lui, un peu moins vague. Selon lui, la visite aura certainement lieu avant la fin de l’année et elle sera à la fois le couronnement d’un processus entamé en mai 1991, lors de la signature du fameux traité, et l’expression d’une volonté de continuer sur la même voie. On se souvient pourtant du fait qu’au moment de sa signature, le Traité de Fraternité et de Coopération avait soulevé de nombreuses interrogations, notamment sur le mécanisme de son fonctionnement. Israël s’était même fait menaçant, «accusant la Syrie de vouloir avaler le Liban», et certaines voix libanaises avaient exprimé des réserves et des appréhensions. Selon M. Nasri Khoury, la situation et le climat général sont aujourd’hui différents et c’est un peu sans doute grâce à son travail et à celui des organismes de coopération libano-syriens, créés à la faveur de la signature de ce traité. Pour lui, une nouvelle dynamique a été créée et «de nombreux barrages et préjugés sont en train de tomber, mais il reste beaucoup à faire». L’essentiel, estime M. Khoury, est qu’il existe désormais une volonté réelle de discuter franchement afin d’établir des bases de coopération solides. La rupture des années 50 Les personnes concernées par les relations libano-syriennes gardent à l’esprit la grande rupture des années 50, lorsque la Syrie a décidé de rompre l’union douanière avec le Liban et de fermer ses frontières aux Libanais et à leurs produits. Selon une étude de M. Fawaz Traboulsi publiée récemment par le «Nahar», cette fameuse coupure, qui a duré près de deux ans, avait à la fois des raisons politiques et économiques et elle était le fruit d’un long processus commencé avec la séparation des institutions communes libano-syriennes qui existaient à l’époque du mandat. Cette séparation avait été vécue par des groupes syriens et libanais comme une amputation, alors que d’autres y voyaient le début de la véritable indépendance. A l’époque, il est vrai, les Libanais, et plus particulièrement la classe commerçante, découvraient l’immense avantage de voler de leurs propres ailes, sans devoir tenir compte de l’arrière-pays syrien. C’est cette classe donc qui aurait pesé de tout son poids, considérable pour la jeune économie libanaise, afin de doter le Liban d’une monnaie indépendante et d’une direction des douanes séparée, etc. Les raisons politiques sont venues appuyer une nécessité économique. Aujourd’hui, il semblerait que la situation soit totalement différente. Les raisons politiques ayant été plus ou moins neutralisées à travers le processus de pacification lancé à Taëf, ce sont des considérations économiques qui dictent les nouveaux accords de coopération. Désormais, affirment les experts, l’économie affaiblie du Liban a énormément besoin du marché syrien, d’autant que le commerce avec l’Occident et le reste du monde arabe n’a plus la même ampleur qu’avant, lorsque le Liban était l’unique place commerciale de la région. M. Nasri Khoury, lui, estime que l’heure est idéale pour trouver des accords de coopération équilibrés, qui font l’intérêt des deux pays. Il affirme aussi que les discussions se font désormais sans passion, avec pour seul objectif une prospérité commune. Le secrétaire général, qui assiste à pratiquement toutes les réunions des commissions spécialisées qui préparent les accords, déclare que les discussions se font dans un climat de grande franchise, sans tabous ou non-dits. Le comité supérieur ne s’est pas réuni depuis 2 ans M. Khoury explique d’ailleurs à ce sujet que le Traité de coopération a prévu un mécanisme de fonctionnement assez précis: il y a d’abord le Comité supérieur libano-syrien, formé des présidents de la République, des chefs de l’Assemblée, des premiers ministres des deux pays, du vice-président de la République pour la Syrie et du vice-président du Conseil pour le Liban. Ce Comité supérieur trace les lignes générales de la politique des deux pays et se réunit une fois par an. Il peut être convoqué exceptionnellement en cas de besoin. M. Khoury précise que ce Conseil s’est réuni pour la première fois en 1993. Mais cela fait deux ans qu’il n’a tenu aucune réunion. «J’en ignore les raisons, affirme-t-il. Sans doute est-ce dû au fait que les présidents ne voient pas la nécessité de convoquer cette instance». En effet, la plupart des problèmes sont désormais étudiés et réglés par les commissions spécialisées ou le comité de suivi. Le comité de suivi est formé des présidents du Conseil des deux pays et des ministres concernés par la coopération. Il est chargé d’appliquer les grandes lignes définies par le Comité supérieur Il se réunit tous les six mois et plus souvent si cela s’avère nécessaire. En fait, il tient régulièrement ses réunions et de nombreux accords bilatéraux ont été ainsi signés. Les commissions ministérielles spécialisées, présidées par les ministres des deux pays, disposent de 7 ou 8 commissions techniques, chacune, qui préparent les dossiers dans chaque domaine de coopération. Enfin, il y a encore le secrétariat général, qui regroupe autour de M. Khoury 25 fonctionnaires. Désormais, ce secrétariat général est doté d’une adresse à Damas et même d’un site sur Internet. Il a un budget annuel de 800 000 dollars payé à égalité par le Liban et la Syrie. C’est dire que, selon le secrétaire général, ses travaux sont sérieux. Son rôle essentiel est de préparer l’ordre du jour des réunions du comité de suivi ou des commissions spécialisées, de préparer certains dossiers importants et de soumettre certains projets de développement d’intérêt commun. M. Khoury ajoute que, grâce à l’atmosphère cordiale et aux discussions franches, des sujets qui ont longtemps suscité des réserves et des polémiques dans les deux pays, sont abordés calmement. «Nous essayons de trouver des solutions. Tantôt, c’est la Syrie qui fait des concessions et tantôt, c’est le Liban». Le secrétaire général relève, à cet égard, la décision relative à l’abolition en quatre ans des taxes douanières entre le Liban et la Syrie à partir du 1er janvier 1999, ainsi que la libre circulation des produits des deux pays, à partir de cette même date. Pour lui, c’est un grand pas en vue d’une coopération saine. D’autant que, dans les années 40, ce problème avait été l’une des causes de la rupture économique, tant la Syrie tenait à son protectionnisme économique. De même, les bananes libanaises paieront 25% de taxes en moins à leur entrée en Syrie, cette année, alors que la taxe sur les camions libanais entrant en Syrie est abolie… «C’est vrai, déclare M. Khoury, que les deux régimes ne sont pas identiques et cela provoque de nombreuses discussions qui retardent la conclusion de certains accords bilatéraux, notamment agricoles, mais nous avançons à grands pas». Les ouvriers syriens au Liban Le problème des ouvriers syriens au Liban est-il abordé au cours de ces discussions? «Nous en avons parlé, bien sûr, répond le secrétaire général, surtout après la campagne menée par certains journaux. Nous avons même fait notre propre étude et il nous est apparu qu’il n’y a au Liban que 250 000 ouvriers syriens». Selon lui, les chiffres avancés dans les journaux sont extrêmement gonflés, «mais nous sommes prêts à en discuter calmement. Je souhaiterais un débat scientifique, basé sur des données réelles et loin de toute passion». M. Khoury affirme que les industriels et les propriétaires agricoles libanais ont déclaré que la main-d’œuvre syrienne est une nécessité pour eux. «L’Etat, ajoute-t-il, doit protéger ses travailleurs mais aussi son économie. Et la main-d’œuvre libanaise ne travaille pas dans les champs ou dans les chantiers… D’ailleurs, dans certaines usines, la totalité de la main-d’œuvre est pakistanaise ou de nationalité hindoue». Le secrétaire général précise ainsi qu’il existe une certaine complémentarité entre les ouvriers des deux pays. Il ajoute: «On oublie souvent de compter les Libanais qui se rendent en Syrie. Savez-vous qu’en 1997, 1 million 300 000 Libanais se sont rendus en Syrie et 100 000 y sont restés pour des travaux divers?». M. Khoury rappelle qu’en avançant des chiffres gonflés sur la main-d’œuvre syrienne au Liban, on vise souvent à réveiller les vieux instincts de méfiance et on oublie que de nombreux Syriens viennent au Liban pour affaires, pour du tourisme ou d’autres activités. Ils sont souvent comptabilisés parmi la main-d’œuvre… Tout en répétant qu’il est ouvert à tout débat scientifique sur le sujet, M. Khoury précise que l’essentiel est de trouver des solutions à tous les problèmes qui pourraient envenimer les relations entre les deux pays. Ne croit-il pas que le fossé entre les peuples syrien et libanais s’élargit, à mesure que les responsables politiques des deux pays se rapprochent? «Je ne le pense pas, affirme M. Nasri Khoury. Si vous faites allusion aux rixes qui suivent les matches de foot, je vous rappelle qu’en Syrie-même, chaque match est suivi d’incidents. C’est très normal. Les spectateurs sont excités et ils se défoulent à la fin d’un match. Il ne faut pas donner à ces incidents une autre signification». M. Nasri Khoury déclare, en conclusion, avoir réussi à former des personnes qui parviennent à penser à la fois «libanais et syrien». C’est cela, selon lui, la grande innovation et l’avenir des deux pays. Ce n’est donc pas encore l’unité économique, celle-ci étant impossible en raison des régimes différents, mais c’est certainement une vision commune et des intérêts partagés… En attendant l’union politique? M. Nasri Khoury hoche la tête fermement. «Il n’en est pas question. Certes, je viens d’un parti qui croit en l’unité des deux pays (le PSNS), mais je suis aussi réaliste et je considère que j’ai deux patries que je sers fidèlement. Il faut simplement oublier les vieilles peurs et aborder avec confiance l’avenir…».
Pris par le pseudo-suspense de l’échéance présidentielle, les Libanais en ont oublié cet autre événement qui risque, lui aussi, d’être d’une grande importance: la visite du président syrien Hafez el-Assad à Beyrouth. Annoncée intempestivement par le président du Conseil à Washington, en juillet dernier, elle a depuis été confirmée par les autorités syriennes, sans...