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Actualités - REPORTAGE

Délinquance juvénile - Bahige Tabbarah et Nayla Moawad au camp de Kfifane Des adolescents racontent l'enfer des mauvais traitements qu'ils subissent (photos)

Est-ce l’atmosphère bénie de Kfifane? «Offre-Joie», en tout cas, fait des miracles. Au bout d’une semaine en compagnie de 56 délinquants mineurs, dans un camp de vacances sans surveillance dans une école désaffectée du village, l’association humanitaire a pu briser les murs de l’isolement, du rejet et de la haine. Elle a même réussi le tour de force de favoriser un échange direct entre les jeunes des centres de rééducation et le ministre de la Justice, Bahige Tabbarah, d’abord, puis entre les mêmes jeunes et la présidente de la sous-commission parlementaire pour la protection de l’enfant, Nayla Moawad. Mis en confiance, traités avec considération et bienveillance, les jeunes «dévoyés» se sont laissés aller aux confidences. Hélas, ce qu’ils ont dit n’est pas toujours à l’honneur d’un système qui préfère souvent le silence rassurant aux vérités qui font mal. Le ministre Tabbarah a certes eu le mérite d’écouter, de promettre et d’annoncer la préparation d’une réforme du système pénitentiaire, avec l’aide des experts du centre des Nations Unies pour la prévention internationale du crime. Et Mme Moawad a su, avec la sensibilité d’une mère, trouver les mots qu’il faut pour tenter de redonner de l’espoir à des jeunes revenus de tout. Mais il y a encore beaucoup à faire pour régler le problème des délinquants mineurs, et celui des prisons en général. «Je suis entré au centre en tant que voleur et j’en sortirai le mois prochain en criminel». Cette phrase terrible, c’est Wassim, un jeune de 17 ans, purgeant une peine de détention pour vol de voitures, qui la prononce, le regard plein de défi. Wassim veut se donner des allures de dur et il éprouve un profond mépris pour son corps qu’il maltraite d’ailleurs allègrement, le poussant souvent au bout de la souffrance, tantôt s’introduisant une aiguille dans la joue et tantôt en se cognant contre les murs. Zacharia a 14 ans, mais en paraît 11. Vif, mince, il préfère défendre les droits de ses compagnons, avant de lancer finalement: «C’est ma mère qui m’a dénoncé au poste de police. Je n’ai rien fait, mais elle voulait se débarrasser de moi». Azzam, Hussein, Ali, Chawki, Abdallah, Charles, Naël et les autres, ils ont tous mille histoires à raconter, mais ils ont peur. Mohamed est seul dans son coin. Lorsqu’on lui demande pour quelle raison il est si malheureux, il répond: «C’est parce que je suis trop heureux. C’est si nouveau pour moi que j’ai peur de ce qui m’attend après». «Je ne peux plus vivre ainsi» Les centres de rééducation, ils y étaient plus ou moins habitués, puisqu’ils n’avaient connu que cela et un foyer souvent démuni et désuni. Mais maintenant qu’on leur a offert de l’amitié, une certaine liberté, du respect et de la considération, ils craignent de ne plus pouvoir supporter leur existence d’avant. «Samedi (c’est ce jour-là que prendra fin le camp de vacances), je me jetterai de la voiture, déclare Hussein. Je ne peux plus vivre ainsi». Ainsi, c’est-à-dire comment? Là, il devient plus difficile de faire parler les jeunes. Surtout que leurs moniteurs du centre ne sont jamais bien loin et souvent, il leur suffit d’un regard pour faire taire le plus bavard d’entre eux. Au fil des heures, toutefois, les langues se délient. Surtout après la rencontre avec le ministre de la Justice, venu avec son épouse, ainsi qu’Alexandre Schmidt des Nations Unies et plusieurs assistantes sociales et responsables de l’UPEL (Union pour la protection de l’enfant au Liban, présidée par le magistrat Ghassan Rabah et chargée des centres de rééducation). La voiture chargée de friandises, le ministre de la Justice a voulu que sa visite soit une véritable fête pour les enfants. C’est un discours bienveillant qu’il leur a tenu, assurant que le projet de construire un grand centre de rééducation pouvant abriter tous les délinquants mineurs pourrait être réalisé d’ici à 5 ans et promettant d’essayer de régler le problème des retards dans le jugement de leurs affaires. En effet, invités par Me Melhem Khalaf d’«Offre-Joie» à exposer leurs cas au ministre, la plupart des jeunes ont évoqué le fait qu’ils sont arrêtés depuis plusieurs mois sans jugement, alors que souvent s’ils sont condamnés, leur peine ne dépassera pas un an ou deux. Le ministre au confessionnal Me Khalaf propose ensuite au ministre de s’entretenir en aparté avec certains délinquants à problèmes et M. Tabbarah se prête volontiers à cette requête. La petite chambre baignée de pénombre ressemble soudain à un confessionnal… Où il n’y aura toutefois pas de confession, car les moniteurs et les responsables des centres se postent devant la porte pour bien montrer l’étendue de leur pouvoir. Interrogé par «L’Orient-Le Jour» sur les confidences des jeunes, M. Tabbarah précise qu’ils n’ont parlé de mauvais traitement qu’en évoquant l’aile des délinquants à la prison de Roumié. «Mais ce bâtiment relève de la responsabilité du ministère de l’Intérieur et nous ne pouvons donc rien faire. Espérons qu’au cours du prochain mandat, les prisons seront rattachées au ministère de la Justice». Mme Yolande Sikias de l’UPEL ajoute que l’association dont elle est membre refuse d’entrer dans l’aile des mineurs à Roumié, parce qu’elle refuse le principe de mettre les jeunes dans une prison. Résultat, ceux-ci, selon leurs propres aveux, y sont horriblement traités, surtout la nuit, lorsque les gardiens se font moins vigilants. L’un d’eux qui, au moment de son arrestation a été transporté à Roumié, raconte, les yeux perdus dans le vague: «Tout nouveau-venu est soumis à un rituel de bizutage, surtout s’il est jeune. On lui place d’abord la tête dans les toilettes. On le déshabille ensuite complètement, on le dépouille de ses biens s’il en a avant de le violer. Enfin, on lui glisse des éponges entre les orteils avant de les brûler…» Aucun d’eux ne reconnaît avoir été violé, mais chacun parle de son copain, car le plus terrible chez ces jeunes, c’est la honte qui les empêche de montrer leurs faiblesses de peur d’être ridiculisés. Frustrés de n’avoir pas pu réellement se confier au ministre, les jeunes ne veulent soudain plus se taire. Et c’est à Mme Nayla Moawad qu’ils feront leurs plus importantes confidences, d’autant qu’il fait nuit et que les autres responsables sont partis. Flagellation pour quelques heures ou quelques jours En un flot intarissable, ils se mettent soudain à lui raconter les humiliations et les tortures subies au moment de l’arrestation, au commissariat de police. «Nous sommes d’abord reçus par un fouet aussi grand que nous. Et ensuite c’est tantôt la flagellation et tantôt la bastonnade. Jusqu’à l’aveu total, que l’on soit coupable ou non. Cela peut durer quelques heures ou quelques jours» qu’importe, le temps est alors oublié et nul ne comptabilise ces jours de cauchemar. Les moins chanceux sont ensuite transportés à Roumié et les autres dans l’un des deux centres de rééducation à Baassir ou à Fanar. C’est vrai que, là-bas, le traitement y est de loin plus humain qu’à Roumié, mais c’est encore insuffisant, précisent les jeunes. «Nous sommes battus à la moindre incartade. Nous sommes sans cesse humiliés et nous n’apprenons pratiquement rien…» Mme Moawad est visiblement affectée. Elle sait certes que les moyens sont limités puisqu’un moniteur est payé 380.000 L.L. par mois et, par conséquent, il est difficile d’avoir du personnel qualifié avec si peu d’argent. Mais face à tous ces drames, elle ne sait plus quoi dire. «Je vous considère comme mes enfants, dit-elle la voix un peu tremblante. Et je ne peux pas accepter que mes enfants soient injustement traités. Je convoquerai dès la semaine prochaine ma sous-commission pour étudier votre problème…» En s’excusant, elle reconnaît qu’elle avait fait le projet de se rendre à l’aile des mineurs de Roumié, mais qu’elle a sans cesse reporté le projet «car je ne veux pas voir ce que l’on voudra me montrer uniquement. Mais vous m’avez convaincue, j’essaierai de m’y rendre par surprise…» Wassim lui dit que sa vie a été brisée et qu’il ne croit plus en rien, surtout pas en un Etat qui frappe l’innocent pour lui faire avouer des crimes inexistants, qui ferme les yeux sur les sévices subis par des enfants de 12 et 13 ans et qui ne s’en prend qu’aux pauvres. Mme Moawad hoche la tête et rappelle à ses auditeurs extrêmement attentifs qu’elle est dans l’opposition. S’informant des peines auxquelles sont condamnés les jeunes, elle découvre avec étonnement que le vol, qu’il soit le fait de mineurs ou d’adultes, est désormais un crime, passible d’une peine allant de 3 à 7 ans de prison. Ainsi, un mineur peut faire trois ans de prison pour le vol d’une mobylette, alors que par ailleurs, les trafiquants de drogue ont récemment bénéficié d’une amnistie. Mme Moawad promet de soumettre au Parlement une proposition de loi considérant le vol commis par un mineur comme un délit et non plus comme un crime. Une enfance volée Pourquoi notre système est-il si dur? lui demande un jeune. «Nos lois sont généralement bonnes, répond le député. Mais elles sont souvent mal appliquées. Nos juges sont débordés et ne parviennent pas toujours à accorder le temps nécessaire à chaque dossier…» Elle ajoute ensuite qu’elle fera de son mieux pour les aider, mais précise qu’elle ne peut pas opérer de miracles. «Vous ne devez pas désespérer et plus tard lorsque vous sortirez et serez adultes sachez élire des députés qui œuvreront dans l’intérêt des citoyens…» Mais pour ces 56 jeunes qui vivent des journées de pur bonheur, se promenant sans surveillance dans la montagne, découvrant les joies de la plage, souvent pour la première fois, ainsi que celles d’un restaurant où ils se sont rendus en groupe la veille, les propos de Mme Moawad évoquent une échéance lointaine. Pour l’instant, ils sont obsédés par l’idée du retour à un quotidien terne et sans illusion. Leur enfance a été volée. Leur laissera-t-on un avenir?
Est-ce l’atmosphère bénie de Kfifane? «Offre-Joie», en tout cas, fait des miracles. Au bout d’une semaine en compagnie de 56 délinquants mineurs, dans un camp de vacances sans surveillance dans une école désaffectée du village, l’association humanitaire a pu briser les murs de l’isolement, du rejet et de la haine. Elle a même réussi le tour de force de favoriser un...