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Actualités - REPORTAGE

La militante du PCL qui avait attenté à la vie d'Antoine Lahd a été libérée de la prison de Khiam après neuf ans et dix mois de détention Abandonner la Résistance, c'est renoncer à moi-même, déclare Soha Béchara à l'Orient Le Jour (photos)

La petite ruelle perpendiculaire de la rue Mar Elias n’a jamais vu autant de monde. Sur les trottoirs, les balcons, les fenêtres et même les toits, des dizaines de personnes guettent, s’impatientent, et parfois se laissent aller à l’émotion, en attendant d’apercevoir l’héroïne. Car, pour les habitants du quartier, Soha Béchara est une véritable légende. Les plus âgés l’ont connue enfant turbulente puis adolescente engagée avant qu’elle ne devienne une image figée distribuée par le Parti communiste libanais, au lendemain de sa tentative d’assassinat du général Antoine Lahd, commandant de l’ALS, le 7 novembre 1988. L’appartement modeste de ses parents, au dernier étage d’un immeuble très ordinaire, est totalement investi par les oncles, les cousins, les voisins et les simples camarades, prisonniers récemment libérés ou résistants potentiels, tous surexcités à l’idée de revoir celle qui vient de sortir de la prison de Khiam gérée par l’ALS dans la zone occupée par Israël et qui est devenue pour eux le symbole de la lutte pour la libération. C’est à qui grimpera sur une chaise, s’installera sur un rebord de fenêtre ou occupera tout simplement un coin du grand fauteuil du salon, près de la télévision. La clameur monte soudain et sur la petite terrasse où tout le monde s’est précipité, on n’entend plus que des hurlements: «Là voilà, tu l’as vue?». Mais il est encore difficile d’apercevoir la légende du quartier. Escortée de ses proches, du secrétaire général du PCL, Farouk Dahrouj, et de son prédécesseur, Georges Haoui, Soha, militante du parti, gravit lentement les 5 étages menant à sa maison, s’arrêtant à chaque marche pour saluer sans cesse une multitude de personnes. Sur son palier, un jeune homme silencieux se plante soudain devant elle et la regarde, trop ému pour parler. Pendant quelques secondes, elle se demande qui il est et puis c’est un grand cri et une immense accolade: «Joujou! C’est bien toi?». Soha et Gilbert n’en finissent plus de s’embrasser, sanglotant de joie. Quand elle est partie, il n’avait que 10 ans et c’était le jeune voisin qu’elle a pratiquement vu naître et qui la suivait comme son ombre, allant même avec elle à l’AUB où elle suivait des cours d’anglais. Gilbert a grandi, il a 20 ans maintenant. Soha, elle, a récemment fêté ses 31 ans à la prison de Khiam, mais pour quelques secondes, le temps semble s’être arrêté et tous deux retrouvent leur merveilleuse complicité d’antan. Les souvenirs affluent, silencieux, car l’émotion est trop forte pour se traduire en paroles. Calme indescriptible Mais Soha doit encore saluer ses oncles, ses voisins, ses amis et, à chaque fois, la même scène se répète, la jeune femme ayant d’abord du mal à reconnaître ceux qu’elle a tant aimés et dont le souvenir l’a pourtant aidée à tenir pendant les longues années de détention. Gilbert, lui, se retire doucement dans sa chambre, dans l’appartement faisant face à celui des Béchara. Il serre longuement contre lui un cœur brodé à son nom ainsi qu’un passe-temps fabriqué avec de petites breloques. «C ’est Soha qui les avait faits pour moi», dit-il simplement. Toute menue, Soha semble réduite à des yeux immenses et un sourire éclatant. Elle n’en finit pas de saluer, d’embrasser, des larmes contenues perlant sans cesse à ses paupières. On l’installe devant les micros des télés, entourée d’un côté par Farouk Dahrouj et de l’autre par Georges Haoui. Le ventilateur du plafond ne parvient plus à brasser l’air, dans le petit salon étouffant où l’odeur de la sueur se mélange à celle du basilic, planté en abondance sur le balcon. Dans le petit appartement bondé, que les photographes saccagent d’ailleurs sans remords, il est impossible de parler. Même le ministre Béchara Merhej, le député Najah Wakim et M. Ghazi Aridi du PSP parviennent à peine à s’approcher de l’héroïne du jour. Les responsables du PCL décident alors de l’emmener au siège principal du parti, où il y a sans doute plus de place. Mais, là aussi, l’immense salle de conférence semble soudain petite et étouffante. Assise au bout de la table, une photo du prisonnier Ghassan Saïd (arrêté au cours de l’opération du 16 août dernier) trônant derrière elle, Soha ressemble totalement à l’image qu’on avait gardé d’elle il y a dix ans. La même flamme brille dans ses yeux, mais cette fois, il y a, en plus, la joie de retrouver la liberté et les siens, ainsi qu’une certaine timidité. Entre deux accolades, elle confie à «L’Orient-Le jour» qu’elle a appris le matin-même (hier) qu’on allait la libérer. «A 8h30, on m’a installée dans une cellule à part, sans rien me dire. Mais j’ai compris, pour avoir vu d’autres compagnons y être emmenés avant moi avant de sortir de prison, que c’était l’antichambre de la liberté». La déléguée du CICR est ensuite venue la chercher et ce fut la longue route vers le point de passage de Bater, avant d’arriver sans escale au sérail gouvernemental où ses parents, les responsables du parti ainsi que le président du Conseil, M. Rafic Hariri, l’attendaient. «J’avais eu vent de quelques rumeurs sur mon éventuelle libération prochaine, précise-t-elle, mais je ne savais rien de concret». Ce qu’elle ne dit pas par pudeur, son oncle Naïf le raconte. «Il y a deux mois, le CICR avait transmis une proposition de Lahd prévoyant de la libérer à condition qu’elle quitte immédiatement et discrètement le pays. Mais Soha a refusé, affirmant qu’elle peut bien attendre encore quelques années, pourvu qu’elle sorte sans condition». Des séances d’électrochoc Soha approuve: «Finalement, j’étais sûre qu’un jour je serais libérée. Cela ne pouvait pas durer éternellement. J’attendais donc... Au début, les conditions étaient difficiles. J’ai subi quelques séances d’électrochoc, comme c’est toujours le cas pendant la période des interrogatoires. Mais, depuis quelque temps, les conditions de détention s’étaient plus ou moins améliorées. En réalite, on fait le minimum, juste pour que les prisonniers restent en vie...». Elle affirme toutefois qu’elle ne regrette rien. «Je n’ai même pas été déçue lorsque j’ai appris que le général Lahd était encore vivant. Le but de l’opération n’était pas vraiment de le tuer, mais d’entreprendre une action susceptible de contribuer à la libération du territoire; c’est cela notre véritable lutte». Soha ne veut pas encore raconter les détails de cette opération célèbre, mais Georges Haoui, qui était à l’époque secrétaire général du PCL, affirme que c’est lui qui l’avait planifiée et il avait envoyé Soha Béchara pour l’exécuter. Il éprouvait d’ailleurs un sentiment de culpabilité envers cette jeune fille et c’est pourquoi, aujourd’hui, il a le sentiment «qu’une partie de lui-même est revenue». Soha Béchara, originaire de Deir Mimès, dans la zone occupée, avait réussi à se rapprocher de l’épouse du général Lahd, grâce à ses activités sportives (Elle était professeur de gymnastique). Mme Lahd voulait même qu’elle soit chargée du sport dans la bande frontalière et, en attendant une décision de son mari, elle l’avait chargée de donner des leçons particulières aux enfants. Devenue une familière de la maison, Soha y entrait sans être fouillée et lorsqu’elle s’y attardait, le général ou ses gardes du corps la raccompagnaient chez elle. Elle a commencé par donner des informations sur l’agencement de la maison et le dispositif de sécurité qui y est installé. Puis la direction du parti a conçu le projet de la tentative d’assassinat. Il fut d’abord question de poser une charge explosive, branchée sur une minuterie, de manière à ne pas mettre en danger la vie de Soha. Mais celle-ci a refusé ce procédé, car, pour elle, si le général est un traître, il n’est pas question de s’en prendre à sa famille. Elle a donc choisi de le tuer personnellement. C’est alors que Georges Haoui lui a remis un petit pistolet Makarof de fabrication soviétique, de calibre 5,5 mm. Il lui avait été offert par l’ancien président sud-yéménite, Ali Nasser Mohamed. Ce pistolet a l’avantage d’être très petit: 15 cm de long et 2 cm d’épaisseur et ses balles minuscules sont très cruelles, car elles circulent vite dans le sang. Le jour «J», Soha entre comme d’habitude au domicile des Lahd et elle bavarde un peu avec le général. Se penchant, elle ouvre son sac et brandit le revolver. L’homme bondit. Soha tire 5 balles, dont deux seulement atteignent le général au bras et à la mâchoire. «Je ne lui ai rien dit et il ne m’a rien dit non plus, raconte-t-elle. Tout s’est passé très rapidement». Le général restera près de six mois à l’hôpital à Haïfa, et Soha passera 9 ans et 10 mois en prison. Mais en ce jour de joie, elle ne veut pas trop parler du passé. «La prison m’a certes beaucoup appris, dit-elle toutefois. On ne peut plus voir la vie sous l’angle étroit des petits intérêts. Mais mes convictions n’ont pas changé. Au contraire, je vais m’employer à aider mes compagnons encore en prison, auxquels je voudrais d’ailleurs rendre hommage...». N’a-t-on pas posé de conditions à sa libération? «Non, à ma connaissance, il n’y en a pas. La question a d’ailleurs été posée au président du Conseil, M. Rafic Hariri, et il nous a répondu que j’étais totalement libre, mais que la France s’était proposée pour m’accueillir au cas où je souhaiterais me rendre à l’étranger pour certains traitements ou autres. Le chargé d’affaires de France qui était présent lors de cette rencontre m’a alors demandé quand je souhaitais me rendre en France et j’ai répondu que pour l’instant ma priorité est à la lutte pour la libération». Soha ne se considère pas comme un symbole de la résistance. «Les martyrs ont donné beaucoup plus que moi à la patrie. Ils sont bien plus importants que ma personne». Mais qu’elle le veuille ou non, elle est aujourd’hui une figure de légende pour des centaines de jeunes. «Personnellement, dit-elle, je compte mener une vie ordinaire, comme c’était le cas avant mon emprisonnement. J’espère pouvoir reprendre mes études. Je préparais une licence en Sciences politiques à l’U.L. Et je continuerai bien sûr à lutter pour la libération de ma patrie». Pourrait-elle entreprendre une nouvelle opération de résistance? «La résistance est inhérente au peuple libanais, tant qu’une partie de son territoire est occupée. L’abandonner signifierait renoncer à une partie de moi-même». Telle est Soha Béchara, une jeune fille simple, modeste, au caractère bien trempé. L’ancien chef de la délégation du CICR à Beyrouth, Jean Jacques Frésard, qui avait annoncé il y a plus de deux mois, dans le cadre d’une interview à «L’Orient-Le Jour», sa libération prochaine, avait dit d’elle: «Soha est forte. Elle a une personnalité marquante». Et hier, dans la liesse générale, c’est aussi l’impression qu’elle a donnée à tous ceux qui l’ont approchée. Le mythe l’a donc rattrapée. Mais de quoi sera désormais fait le quotidien de celle qui a marqué plusieurs générations de militants? «Ne vous inquiétez pas pour moi, dit-elle avec un petit sourire. Ce qui compte, c’est ce qui reste encore à faire...».
La petite ruelle perpendiculaire de la rue Mar Elias n’a jamais vu autant de monde. Sur les trottoirs, les balcons, les fenêtres et même les toits, des dizaines de personnes guettent, s’impatientent, et parfois se laissent aller à l’émotion, en attendant d’apercevoir l’héroïne. Car, pour les habitants du quartier, Soha Béchara est une véritable légende. Les plus...