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Actualités - CHRONOLOGIE

Pierre Aboujaoudé et Ghassan Saïd avaient filmé une position israélienne avant d'être découverts Les deux militants communistes ont été dénoncés par un berger

Une histoire émouvante, comme le sont toutes celles qui parlent de résistance. Pour les médias, ce ne fut qu’une opération comme tant d’autres, avec un combattant mort et un autre arrêté, des noms certes, mais sans visage et presque sans consistance. Cela se passait le dimanche 16 août et la presse a surtout relevé le fait qu’il s’agissait de la première action spectaculaire du Front de la résistance nationale libanaise (PCL) depuis quelque temps. Mais, pour Pierre Aboujaoudé, le maronite de Hammana, et Ghassan Saïd, le druze de Salima, qui ont défié ensemble le sort par conviction, elle a été fatale. Les deux jeunes gens, en fait des vétérans de la résistance (ils avaient participé à des opérations, avant que le PCL n’entame sa traversée du désert), ont fait leurs adieux à leurs familles respectives le dimanche dans l’après-midi. L’un prétextant une randonnée de chasse en Syrie, l’autre une visite chez des amis au Akkar. Ils arrivent au lieu de rencontre secret pour les ultimes directives, avant de prendre le chemin de Aïn Kenya-Mimès (Békaa-Ouest). Cette région, à la population essentiellement druzo-chrétienne, était le terrain privilégié des opérations du PCL et le Hezbollah a toujours évité de lancer ses actions de résistance à partir de ce territoire pour éviter de provoquer des susceptibilités confessionnelles. Pierre et Ghassan font partie d’une unité de 4 combattants et ils ont pour mission de filmer, avec une caméra-vidéo, une position israélienne, en prélude à son attaque. L’objectif final est de capturer un soldat israélien afin de l’échanger ensuite contre Soha Béchara, militante du PCL emprisonnée depuis 1987, à la suite d’une tentative d’assassinat du général Antoine Lahd. Pierre et Ghassan sont chargés de se rendre à la position choisie, avec la caméra, alors que leurs deux compagnons les attendent dans la zone libérée. La nuit est longue à tomber, en cette période de l’année, mais les deux jeunes gens ne pensent pas beaucoup à la beauté du paysage. Ils n’ont qu’un désir: mener à bien la périlleuse mission qui leur est confiée. Ce soir, d’ailleurs, la chance semble de leur côté. Il est 22h et ils sont déjà sur le chemin du retour, le film dans la poche. Ils ne sont plus qu’à une demi heure de marche rapide de la zone libre, à travers les vallons denses, si propices aux cachettes, livrés aux ombres de la nuit. Mais, soudain, c’est la poisse. Ils se sentent épiés... Ils s’arrêtent, s’accroupissent, se font tous petits. Ils n’ont pas le temps d’avoir peur... et aperçoivent soudain un berger qui les observe, tapi derrière un arbre. Ils bondissent sur lui, mais Pierre prend le temps de contacter ses compagnons dans la zone libre pour leur demander des instructions. C’est en pensant à des imprévus de ce genre qu’il a emmené avec lui son téléphone portable. Les directives sont claires: il faut capturer le berger et le neutraliser le temps pour eux de quitter la zone occupée. A contre-cœur, Pierre et Ghassan s’exécutent. Ils ligotent le berger et l’attachent à l’arbre qui lui servait de cachette. Mais l’homme se met à crier et à se lamenter. Il supplie: «Personne ne me trouvera dans ce lieu perdu. Je mourrai de faim et de soif». Les deux jeunes gens se laissent attendrir ...et relâchent le berger qui promet de rentrer sagement chez lui. Ils reprennent ensuite leur chemin vers la liberté. A vingt minutes de la délivrance, ils sont brusquement encerclés par une puissante force israélienne. Ils n’ont pas besoin d’explication pour comprendre que le berger a donné l’alerte. Ils se contentent de résister comme on le leur a appris. Le cellulaire entre les mains des Israéliens Les Israéliens les somment de se rendre, mais ils préfèrent tirer toutes leurs cartouches. Elles ne sont pas nombreuses d’ailleurs, puisqu’ils n’ont que des fusils d’assaut de type AK 47, leur mission étant de pure reconnaissance. L’affrontement dure près d’une heure. Pierre et un milicien de l’ALS sont tués. Ghassan est capturé par les Israéliens. Ceux-ci le battent, sans tenir compte de sa blessure. Ils veulent savoir s’il a des compagnons cachés dans les vallons. Mais soudain, les coups s’arrêtent, les Israéliens viennent de découvrir, sur la dépouille de Pierre, le téléphone portable. Utilisant la mémoire du téléphone, ils cherchent à identifier les compagnons des deux jeunes gens. Ils composent finalement un numéro et à l’autre bout de la ligne, l’un des deux combattants qui attendent dans la zone libre, répond. Un druze israélien parle dans le cellulaire de Pierre: «Où êtes-vous? Venez, nous vous attendons», dit-il, espérant attirer les résistants dans un piège. Mais ceux-ci sentent instinctivement que quelque chose cloche, car ils ne reconnaissent pas la voix de Pierre. Celui qui a le téléphone s’écrie: «Où es-tu, toi? Nous devons réparer la voiture (Pierre est en effet, mécanicien)», tentant ainsi de tromper son interlocuteur. Le druze israélien ne se laisse pas démonter: «Attends, quelqu’un veut te parler», reprend-il, avant de placer le portable devant la bouche de Ghassan. Il en faut plus pour intimider celui-ci, qui n’a qu’un souci: donner l’alerte à ses compagnons. Ligoté, battu, il crie face au téléphone: «Pierre nous a mis dans un sale pétrin». La communication est alors brutalement coupée. Ghassan va grossir le lot des prisonniers libanais entre les mains des Israéliens. Des Israéliens qui ont pris la caméra utilisée par les résistants et contemplent le téléphone portable avec satisfaction. En étudiant soigneusement les numéros gardés en mémoire, ils espèrent découvrir des informations intéressantes sur le réseau auquel appartiennent Ghassan et son compagnon. Ils appellent ainsi un certain Kassem, responsable du PCL pour la section de Hasbaya (zone occupée). Ce dernier répond et reçoit aussitôt une bordée d’insultes. Son interlocuteur, un homme à l’accent druze prononcé hurle: «Espèce de S...! Tu nous envoies un druze et un maronite et tu veux ouvrir de nouveau ce front. Mais ne t’en fais pas, nous te rendrons tes combattants en menus morceaux...». Les Israéliens appellent ensuite la mère de Pierre, qui s’inquiétait d’ailleurs du retard de son fils. «Ton fils est avec nous, lui disent-ils, nous l’avons transformé en chocolat». Une histoire banale, un épisode parmi tant d’autres dans la longue lutte des Libanais pour la libération de leur territoire.
Une histoire émouvante, comme le sont toutes celles qui parlent de résistance. Pour les médias, ce ne fut qu’une opération comme tant d’autres, avec un combattant mort et un autre arrêté, des noms certes, mais sans visage et presque sans consistance. Cela se passait le dimanche 16 août et la presse a surtout relevé le fait qu’il s’agissait de la première action...