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Actualités - OPINION

Maison rose

Clintonisme: art de dire la vérité à moitié, de préférence le plus tard possible, et seulement si l’on se trouve acculé à le faire. La définition mériterait de figurer dans un dictionnaire politique trônant en bonne place dans les bibliothèques des grands, et des moins grands, qui prétendent à la régence de la chose publique. L’histoire des six dernières années de la présidence américaine est jalonnée de déclarations dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne concordent pas parfaitement avec la réalité — ouf! autant pour l’euphémisme... Ainsi, de la marijuana qu’il a «fumée mais non inhalée» au service militaire auquel il a échappé «grâce à ma chance je crois», en passant par la malheureuse petite phrase: «Non je n’ai pas eu de rapports sexuels avec cette femme, Mlle Lewinsky», le chef de la toute puissante Amérique a prouvé sa parfaite maîtrise de l’esquive, une pratique élevée au rang de véritable doctrine d’Etat. Lundi soir, à l’issue d’une éprouvante déposition de quatre heures, William Jefferson Clinton a tenté de sortir une nouvelle carte de sa manche. Vous voulez la vérité? La voici: oui, j’ai eu une relation inconvenante. Maintenant, tournons la page. En cherchant à bousculer ainsi l’ordre des choses, «Slicky Billy» espère en finir avec une affaire qui a paralysé son action tout au long de cette année, jeté le discrédit sur l’ensemble de son mandat et porté un tort considérable à l’institution même de la présidence — autant de dégâts que dans ses visions les plus pessimistes Alexis de Tocqueville n’aurait jamais imaginés. Rejeter la responsabilité du désolant déballage auquel le monde ébahi assiste depuis quelque temps — avec (trémolos dans la voix) ces années perdues, ces millions engloutis — sur un petit procureur uniquement soucieux d’instruire un dossier à lui confié relève d’une bien piteuse tactique. Un bref rappel à l’adresse d’une certaine opinion publique obstinée à ne voir dans le cas Monica qu’une aventurette appelée au départ à demeurer sans lendemain. Du «Whitewater» au «Filegate» et au «Travelgate», on en était arrivé après force méandres à la malheureuse Paula Jones puis à une certaine stagiaire âgée de 22 ans à l’époque des faits, avenante à peine, point très intelligente et un peu trop confiante, qui, un beau matin, décide de faire des confidences extrêmement détaillées à une certaine Linda Tripp avant de tout avouer aux enquêteurs, un jeudi 6 août. A partir de cet instant, le scénario bascule et l’on quitte le domaine du feuilleton sordide pour midinette à la larme facile pour entrer dans l’impitoyable univers juridico-politique de Washington, où aucune disqualification ne sanctionne les coups bas. Jusqu’alors, un scandale en avait chassé un autre, du côté des affaires autant que de celui des conquêtes féminines. De Dolly Kyle Browning à Gennifer Flowers, d’Elizabeth Ward Gracen à Kathleen Willey — sans compter toutes celles dont les noms se sont perdus en chemin —, le public se régalait des frasques d’un homme qui en était venu à faire un boudoir de la Chambre ovale. Une première salve d’avertissement avait été tirée par les media au début de l’année. Sur le ton pompeux qu’ils affectionnent souvent, les journaux rappelaient alors que dans l’auguste demeure rôdaient encore les fantômes d’hommes illustres qui avaient fait la grandeur de l’Amérique et où se traitaient des sujets graves souvent, graveuleux jamais. Trop tard: le président avait déjà parlé. Pour, bien entendu, démentir. Et en ce lundi 17 août, sept mois après, il n’avait plus que deux choix, selon l’implacable formule de Pat Buchanan: admettre un parjure ou commettre un parjure. Il appartient désormais au Congrès de trancher, ce qu’il est appelé à faire dans les semaines à venir. Mais déjà il est certain que c’est un Clinton affaibli, paralysé même, incapable cette fois de rebondir, qui est aux commandes d’une superpuissance, la seule encore présente sur la scène mondiale. Hier, le «Haaretz» israélien voyait s’éloigner un peu plus encore le mirage de la paix proche-orientale, «ce qui ne peut que faire le jeu de Netanyahu». On ose à peine imaginer le sort qui sera réservé à d’autres dossiers qui ont noms Afrique, Afghanistan, Amérique latine. Se profilent aussi à l’horizon de novembre des élections législatives et à celui de l’an 2000 une présidentielle cruciale. Deux consultations populaires que le parti démocrate n’est pas assuré de gagner, loin de là. Tout cela, dira-t-on, pour quelques furtives gâteries dignes d’un collégien. Il voulait sa place dans l’Histoire. Bill Clinton y entre par la petite porte. Celle habituellement réservée aux maîtresses.
Clintonisme: art de dire la vérité à moitié, de préférence le plus tard possible, et seulement si l’on se trouve acculé à le faire. La définition mériterait de figurer dans un dictionnaire politique trônant en bonne place dans les bibliothèques des grands, et des moins grands, qui prétendent à la régence de la chose publique. L’histoire des six dernières années de...