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Actualités - INTERVIEWS

Etat-entrepreneurs : une relation en dents de scie (photo)

Réputés pour avoir été d’importants concurrents aux sociétés internationales avant la guerre, les entrepreneurs libanais traversent une crise dont ils ne voient pas l’issue. Ils ont perdu leur marché extérieur et se trouvent dans une situation précaire sur le marché local. Leurs droits et leurs devoirs s’embrouillent, compte tenu des problèmes en suspens qui minent leur rapport avec le gouvernement: dettes impayées dues par l’Etat, manque de coordination avec les administrations publiques, mauvaise qualité du travail... Et la liste est loin d’être exhaustive. Dans une interview accordée à «L’Orient-Le-Jour», M. Fouad el-Khazen, président du Syndicat des entrepreneurs libanais, brosse un tableau de la situation. Aucune initiative n’est encore prise pour débloquer les problèmes qui opposent le gouvernement aux entrepreneurs. Le séminaire organisé par le Syndicat des entrepreneurs libanais en juin dernier à l’hôtel al-Bustan a été clôturé sur une assurance du chef du gouvernement quant à l’avenir de ce secteur. «L’Etat a réalisé une partie de ses projets, mais il reste encore beaucoup à faire. Mais il faut surtout que l’Etat et les entrepreneurs continuent à coopérer», avait-il déclaré. Précisément, c’est de ce manque de coopération qu’il s’agit. Les entrepreneurs exigent des solutions efficaces à leurs problèmes et le gouvernement trouve toujours quelque reproche à leur faire. Ils s’accusent ouvertement puis chacun se retire dans son camp. Face à ce combat de coqs, l’important est de trouver la formule susceptible de tranquilliser les uns et les autres. Le retard dans le paiement des dettes dues par l’Etat sont l’un des problèmes majeurs auxquels sont confrontées les entreprises libanaises, explique M. Khazen. Ces problèmes remontent aux années 80. Les travaux qui étaient en cours se sont arrêtés, d’autant que l’administration n’avait pas les moyens de compenser l’énorme différence entre la livre libanaise et le dollar américain. «Actuellement, deux administrations, la Caisse des déplacés et le Conseil du Sud, ne respectent pas les échéances», poursuit M. Khazen. «Environ 150 milliards de livres sont dues aux entreprises, mais celles-ci encaissent au compte-gouttes, chaque mois ou deux, quelque cinq ou dix milliards de livres», précise-t-il. Pourquoi ces retards? Parce que l’Etat affronte «un problème économique», estime-t-il. Il est question «d’un déficit que l’Etat s’engage à diminuer chaque année». C’est la raison pour laquelle on ne cesse de «retarder les paiements», cet ajournement étant selon lui, une source de «gains» pour l’Etat qui profite des intérêts cumules des montants gelés. Le manque de coordination entre les différentes administrations du pays constitue une autre source de litige. «Les faiblesses et les tiraillements au sein de toutes les administrations rendent la vie dure aux entrepreneurs», souligne M. Khazen. Le méli-mélo dans lequel s’enlisent les entrepreneurs, résulte du manque de coordination entre les services publics. Au bout de deux ou trois mois, une route nouvellement asphaltée se voit défigurée par des tranchées. La cause? Les entrepreneurs eux-mêmes l’ignorent. Il s’avère que «les travaux de canalisations d’égouts, de téléphones ou d’électricité» n’ont pas été prévus au départ. Et tout est à recommencer... A quoi est dû ce manque de coordination? A l’inefficacité des administrations qui est due elle-même «au confessionnalisme et à la politisation», avoue M. Khazen. «Le confessionnalisme n’a plus de bornes dans le recrutement ou dans le comportement des fonctionnaires», poursuit-il. «L’aspect politique et confessionnel joue un rôle important dans le recrutement des fonctionnaires. Ceux-ci ne sont pas engagés suivant leur compétence, mais suivant leur confession ou leur appartenance politique. Il n’y a pas l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, accuse M. Khazen. L’administration n’est pas à la hauteur ni pour faire face aux grandes responsabilités ni pour traiter avec le secteur privé». Les arguments du gouvernement Face aux griefs formulés par les entrepreneurs, le gouvernement leur lance vertement reproches et critiques. La qualité du travail exécuté laisse à désirer, estime-t-il. «Tout le monde applaudit aux routes que vous avez construites, mais vous savez bien qu’elles ne répondent pas aux critères reconnus», avait déclaré M. Hariri lors du séminaire d’al-Bustan. Les entrepreneurs eux-mêmes «s’étonnent» de la mauvaise qualité de leur travail. Ce n’est pas la qualité à laquelle ils «aspirent». Mais, ils n’en sont pas les «seuls responsables», affirme M. Khazen. Ceci est dû à un nombre de facteurs, notamment aux «conditions qui régissent les contrats établis entre l’entrepreneur et l’administration», souligne-t-il. Dans la majorité des cas, ces conditions sont «au désavantage» du premier et «à l’avantage» du second. L’entrepreneur supporte seul les répercussions négatives du travail et qui sont «très souvent indépendantes de sa volonté», telles que «les changements» qui surviennent durant l’exécution du projet. Ceux-ci sont, la plupart du temps, le fruit «d’une étude incomplète de la part des consultants». D’autres problèmes découlent également d’une mauvaise «surveillance de la part du maître d’œuvre ou de l’administration», explique M. Khazen. Par ailleurs, la sous-traitance est une des lacunes qui affecte, elle aussi, la qualité du travail. Un même projet est sous-traité à plusieurs entrepreneurs avant qu’il ne soit exécuté. Ceci se répercute d’une façon négative sur les travaux. «Il ne faut pas que l’entrepreneur soit un entremetteur ou un commissionnaire, affirme M. Khazen, mais un exécutant qui peut avoir des filiales», lui seul devant être responsable vis-à-vis de l’administration. Solutions et revendications Les deux parties sont d’accord à présent sur la nécessité de remédier à la situation. Les entrepreneurs ont, pour leur part, émis une liste de revendications qui, à leur avis, peuvent résoudre les problèmes actuels. Le Syndicat des entrepreneurs libanais réclame d’abord qu’on procède à une «préqualification» des entreprises libanaises, c’est à dire à une «classification des entrepreneurs selon leur capacité, et d’une façon uniforme sans interventions politiques ou confessionnelles». Ainsi, la compétition se fera entre «les entreprises du même niveau qui acceptent un gain minime et non une grosse perte», explique le président du syndicat. Sur ce plan, la compétition entre les entreprises se fait actuellement à des prix inférieurs de «30 ou 35% au coût réel de l’ouvrage», avance M. Khazen. D’autre part, il est «important, voire indispensable, que l’administration veille à l’achèvement des études, dossiers, plans et spécifications propres à chaque projet avant de le soumettre en adjudication», explique M. Khazen. A ce moment, les entrepreneurs présenteront des prix en fonction de tous les facteurs concernés. «Naturellement, ils seront plus élevés que les prix actuels», a-t-il souligné. Ceci garantit une «meilleure» qualité de travail pouvant satisfaire tous les Libanais. L’exécution achevée, l’entrepreneur doit être payé. M. Khazen insiste sur la rémunération des entrepreneurs, une fois le projet livré. Sur ce plan, le syndicat réclame que les contrats soient élaborés de manière à garantir, équitablement, les droits des deux parties. Celles-ci doivent s’en tenir aux clauses du contrat. Enfin, le Syndicat des entrepreneurs libanais souhaite que le gouvernement établisse un «plan quinquennal» qui assure la continuité des travaux et les répartisse de façon équitable entre les entrepreneurs. «Il n’est pas normal que certaines sociétés s’approprient tout le travail et que d’autres les regardent faire», déclare M. el-Khazen. La concurrence étrangère Malgré la précarité de la situation, une chose demeure certaine. Les entrepreneurs ne craignent plus la concurrence des entreprises étrangères. Bien qu’au début des années 90, les cahiers des charges étaient établis de manière à écarter les entrepreneurs libanais, actuellement, les entreprises étrangères ne constituent plus aucun danger. «L’administration a réalisé que dans certains projets, elle peut s’adresser aux entreprises libanaises qui sont capables de donner le même résultat que les sociétés étrangères à des prix beaucoup plus avantageux», explique M. Khazen. Dans le cas contraire, c’est-à-dire quand la nature du projet nécessite qu’il soit confié à une entreprise étrangère pour une raison majeure telle que le financement ou la spécialisation dans l’exécution du projet, les entrepreneurs libanais demeurent «les mieux placés et les mieux qualifiés pour exécuter ces projets en partenariat avec les étrangers», assure M. Khazen. Les entrepreneurs espèrent beaucoup de l’Etat. «Le chef du gouvernement est une personne qui a réussi brillamment dans le domaine de l’entreprise. Il connaît les problèmes du métier et les conditions requises pour y réussir», admet M.Khazen. Et d’ajouter: «Nous lui avons exposé tous nos problèmes. Il fait tout ce qui est en son pouvoir pour nous aider à les résoudre. Mais il n’est pas le seul à prendre les décisions». Tout en attendant une issue positive à leurs problèmes avec l’Etat les entrepreneurs libanais ont conscience de certaines défaillances et de la lourde responsabilité qui leur incombe. Mais pour l’instant, ils cherchent leur gagne-pain en dehors du secteur public car, reconnaît M. Khazen, «si les entreprises libanaises dépendaient seulement des travaux publics et des projets de l’Etat, elles auraient fait faillite il y a longtemps».
Réputés pour avoir été d’importants concurrents aux sociétés internationales avant la guerre, les entrepreneurs libanais traversent une crise dont ils ne voient pas l’issue. Ils ont perdu leur marché extérieur et se trouvent dans une situation précaire sur le marché local. Leurs droits et leurs devoirs s’embrouillent, compte tenu des problèmes en suspens qui minent...