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Actualités - REPORTAGE

La cour de justice entame l'audition des témoins à charge dans l'affaire de l'assassinat de Karamé José Bakhos accable Matar et Saleh, et le brigadier crie à l'ignominie (photos)

Le premier témoin à charge entendu hier par la Cour de justice, dans l’affaire de l’assassinat du premier ministre Karamé, a provoqué un véritable tremblement de terre dans la salle. Ancien responsable de l’escorte du chef du service sécurité des FL dissoutes (Ghassan Touma), José Bakhos a soulevé les protestations de trois des 5 inculpés présents. Si Antoine Chidiac, auquel il est visiblement lié par une profonde amitié, ne l’a contredit que sur des détails mineurs, Aziz Saleh mais surtout le brigadier Khalil Matar l’ont traité de menteur. Le brigadier, hors de lui, a même crié à «l’ignominie», rappelant au procureur général, M. Addoum, qu’il doit aussi le défendre puisqu’il est censé veiller aux intérêts du peuple... C’est dire que l’audience a été animée et, en dépit de sa très grande patience, le président de la cour, M. Mounir Honein, a été contraint, à plusieurs reprises, d’user de son maillet. Mais aucun rappel à l’ordre ne pouvait effacer le bouleversement provoqué par José Bakhos. Ce dernier a raconté devant la cour certains faits, qui, s’ils se révèlent exacts, accusent directement Aziz Saleh et le brigadier Matar. Où réside la vérité? C’est la cour qui répondra à cette terrible question. Mais, hier, une autre était sur toutes les lèvres: pourquoi le juge d’instruction, M. Georges Ghantous, a-t-il prononcé un non-lieu à l’encontre de José Bakhos — qui avait d’abord été arrêté — faisant de ce dernier le plus accablant des témoins à charge? Selon le procureur Addoum, il n’y avait pas assez d’éléments établissant son implication. Mais les avocats de la défense sont loin de partager cet avis. La cour poursuivra lundi 16 mars l’audition de Bakhos. L’audience s’ouvre dans une atmosphère plutôt bon enfant. Depuis le début de ce procès, les soldats de la Moukafaha ont allégé leur présence dans la salle et autour des inculpés, à la demande du président Honein. Désormais, aucun rideau de militaires n’empêche Samir Geagea — ou ses compagnons — de regarder la salle, et de sourire à leurs proches. De même, le responsable de l’unité des gardes s’installe désormais loin du box des accusés, car le président souhaite que les audiences se déroulent dans un climat de confiance... Le cumul de Pakradouni Alors que tout le monde s’attendait à ce qu’il commence par entendre Me Karim Pakradouni, en tant que témoin, le président demande la convocation de José Bakhos. Samir Geagea précise alors qu’il a préparé les questions qu’il souhaite poser à ce témoin, en compagnie de Me Pakradouni et il demande en conséquence, soit qu’il assiste à son audition, soit qu’il soit entendu en premier. Me Pakradouni, très sérieux dans son impeccable costume, fait alors son entrée, à la demande du président, qui veut savoir s’il a avec lui les questions préparées avec M. Geagea. Comme il répond par l’affirmative, le président lui demande de se retirer et il déclare à Geagea qu’il faudra en reparler lorsque viendra le tour de la défense de poser les questions. Addoum ne rate pas cette occasion pour rappeler son opposition au cumul des rôles de Me Pakradouni: à la fois témoin du parquet et avocat de la défense. José Alberto Bakhos est ensuite introduit. Plutôt tendu, il n’a pas un regard vers ses anciens compagnons aujourd’hui dans le box des accusés. Après avoir prêté serment, il confirme ses précédentes dépositions au cours de l’enquête préliminaire, tout en précisant qu’en lisant dans la presse les réponses d’Antoine Chidiac, il s’est rappelé qu’effectivement il n’y a eu que deux missions de reconnaissance en mer et une seule terrestre avant le crime. Selon Bakhos, la première mission s’est faite en mer, alors que Chidiac affirme que la première mission est terrestre. Chidiac avait aussi dit qu’au cours de la première sortie en mer, à bord du bateau «Hawk», celui-ci avait failli tomber en panne, et José Bakhos a eu le mal de mer. Ce qui a contraint les présents à rebrousser chemin après avoir atteint le niveau de Berbara. José ne parle pas du Hawk et nul ne lui demande si toutes les sorties en mer se sont effectuées à bord du même bateau. Il reconnaît toutefois avoir eu le mal de mer, mais il précise que ce jour-là, il y a bel et bien eu une première reconnaissance et Gaby Touma a sorti d’un sac un poste radio avec des lumières multicolores, duquel sortaient des mots en langue étrangère. Il y a eu ensuite la mission de reconnaissance terrestre à Jeddayel, puis une seconde sortie en mer, à laquelle il n’a pas participé, se contentant d’accompagner Touma à la base navale puis de le ramener deux heures plus tard. Message codé La veille de l’assassinat, le 31 mai 1987, José Bakhos raconte qu’il s’est rendu entre 16h et 17h à Jbeil pour assister au mariage d’un camarade, Ghassan Abboud. Ghassan Touma, Aziz Saleh et Joseph Succar s’y trouvaient aussi. Il revient au bâtiment du service de sécurité des FL vers 19h, ainsi que les trois autres. Là-as, il croise Tony Obeid, Gaby Touma et Ghassan Menassa. Vers 21h30, Ghassan Touma les convoque à une réunion. Lorsqu’il entre dans son bureau, il voit Ghassan Menassa, Gaby Touma, Tony Obeid, Jo-seph Succar et Aziz Saleh. S’adressant à Saleh, debout à côté de Succar, Touma dit: «Vous devez photographier l’hélicoptère au moment de son décollage et lors de son explosion». Puis il déclare à l’intention de Bakhos: «Tu dois te rendre à l’immeuble de béton près du complexe Belo Horizonte (Adma) et tu resteras derrière Aziz Saleh et Joseph Succar». Puis il lui tend un papier sur lequel est inscrit un message codé. Bakhos déclare à la cour que sa mission consistait à surveiller la route et de guetter le passage éventuel de véhicules de l’armée pour en informer aussitôt Saleh et Succar grâce à son poste radio. Le 1er juin 1987, Bakhos arrive au bâtiment du service de sécurité vers 5h45. Tony Obeid lui demande aussitôt de préparer trois voitures. Il s’exécute. Tony Obeid part dans la Range Rover. Il le suit, avec Gaby Touma à ses côtés. Alors que Aziz Saleh et Joseph Succar montent dans la troisième, dont il ne se souvient pas de la marque. Obeid lui ayant demandé de le suivre, il se rend derrière lui, à la base navale de Jounieh. Il rencontre là-bas Ghassan Touma qui lui demande de se rendre immédiatement au lieu indiqué la veille. Il se dirige donc vers l’immeuble en béton à Adma. Alors qu’il fait le guet, il croise Pierre Abou Zeid et il lui parle pour ne pas éveiller sa curiosité. De là où il se trouve, il ne voit pas Saleh et Succar et eux non plus ne le voient pas. Vers 8h30, il entend une voix dire à travers le poste radio: «Le pigeon s’est envolé». «Je suis presque certain que c’est celle de Aziz Saleh, dit-il à la cour, car j’ai travaillé dix ans avec lui. Je connais bien sa voix». Interrogé, Saleh reconnaît avoir servi longtemps avec Bakhos, mais il nie avoir jamais parlé sur un poste radio. Trente secondes après avoir entendu cette phrase, Bakhos perçoit le vrombissement d’un hélicoptère, sans le voir. Une heure après, il entend la voix de Tony Obeid dire, à travers le poste radio: «Ça va, ça va». Il attend 15 minutes avant de contacter la chambre des opérations pour prendre de nouvelles instructions et on lui répond de revenir à son point de départ. José Bakhos retourne à la base navale vers 10h et il aperçoit le bateau s’apprêtant à accoster. A son bord, Antoine Chidiac, le brigadier Matar, Afif Khoury, Ghassan Menassa et Ghassan Touma. Gaby Touma attendait à terre. José monte en voiture avec Chidiac et Gaby Touma. Ils se rendent au domicile de Ghassan Touma à Fatka et le concierge leur raconte la nouvelle de l’assassinat diffusée par un flash d’information sur les ondes. Selon Bakhos, Matar monte avec Touma chez lui (ce que Matar et Chidiac ont nié au cours de leurs interrogatoires). Interrogé sur certaines contradictions entre ses réponses et celles de Chidiac, Bakhos déclare: «Je vous dis ce dont je me souviens. Mais l’affaire remonte à plus de dix ans». Le président lui pose alors une série de questions rapides sur des dates (celles de son mariage, de la naissance de son fils, etc.) pour tester sa mémoire et il y répond rapidement, sans la moindre hésitation. Le sort de ceux qui parlaient trop Le témoin poursuit son récit et précise que Matar ne reste que 15 minutes chez Touma. Une heure plus tard, celui-ci descend à Beyrouth, en compagnie de Menassa, alors qu’il le suit dans une autre voiture avec Chidiac et Gaby Touma. Ils atteignent la Quarantaine vers 13h. On lui annonce aussitôt que sa sœur a été hospitalisée et il se rend à son chevet. Il revient à son bureau vers 19h. Il voit dans la cour, devant le bâtiment du bureau de Touma, Samir Geagea, Karim Pakradouni, Nader Succar, Pierre Rizk et Ghassan Touma. Il entend un des membres des escortes dire: «Si c’est Touma qui a fait tomber Karamé, c’est qu’il est très fort». Il aperçoit alors Gaby Touma et lui demande ce qui se passe: «Rien, répond celui-ci. Samir Geagea a envoyé Nader Succar à l’hôpital ND Maritime à Jbeil pour parler avec le Dr Abdallah Racy (qui se trouvait à bord de l’hélicoptère et qui a été blessé au cours de l’explosion). Il lui aurait dit: «L’homme à qui nous en voulions est parti. Nous ne voulons rien de personne». Une demi-heure plus tard, Bakhos rentre chez lui. Il affirme n’avoir plus jamais ouvert ce sujet avec qui que ce soit «parce que nous savions ce qui est arrivé à ceux qui parlaient trop». Il cite ainsi l’exemple de Alec Elia, tué, selon lui, par Tony Obeid, qui l’a jeté à la mer en compagnie de Akram Kozeh, à partir d’un hors-bord parti du complexe Aquamarina 2. Bakhos précise que Aziz Saleh faisait le tri des informations transmises à Ghassan Touma et y apposait ses remarques personnelles et ses propres évaluations. Selon lui, il ne pouvait avoir été envoyé pour protéger Succar, vu qu’il n’est pas un combattant. Mais c’est surtout à l’égard de Matar qu’il est le plus accablant. D’abord, il affirme qu’il était bel et bien surnommé «parapluie» au service de sécurité. Ce fait a toutefois été nié par l’épouse de Saleh, Samira Khoury, qui était à l’époque la centraliste de Ghassan Touma et qui a été entendue par la cour, à titre d’information, malgré les objections du procureur et des avocats de la partie civile. Comme un rêve Ensuite, en réponse à une question du procureur, Bakhos raconte que la veille du drame, alors qu’il venait de revenir au service de sécurité, après avoir assisté au mariage de Ghassan Abboud, Touma lui demande d’aller chercher un colis chez Ghassan Menassa. Comme il s’apprête à sortir, il voit Menassa arriver avec justement le colis, se trouvant dans un sac. Il entre à sa suite dans le bureau de Touma et il voit Matar debout près de la porte. A ses côtés, Touma et un autre soldat de l’armée. Menassa lui remet le colis et Matar s’en va aussitôt avec son compagnon. Le brigadier est rouge de colère. Ses avocats protestent violemment et veulent savoir comment le procureur a eu vent de cette affaire qui ne figure nulle part dans le dossier. M. Addoum précise qu’il n’a pas à divulguer ses sources et la cour demande à José Bakhos s’il a parlé de cet incident à quelqu’un. Le témoin répond par la négative, tout en ajoutant: «Je m’en suis souvenu après ma relaxation par le juge d’instruction. J’ai hésité à en parler, parce que je sais que cela peut me coûter la vie. Mais je dois dire la vérité et Dieu est finalement le seul juge». Le magistrat Riachi veut savoir pourquoi ce détail peut lui coûter la vie et Bakhos déclare: «Je vis à Mastita et le brigadier compte beaucoup d’hommes dans la région». Le brigadier n’arrive plus à se contrôler. Il insiste pour prendre la parole. «Je suis brigadier et je le resterai car je suis innocent. Ce que dit Bakhos est le pire mensonge que j’aie jamais entendu. Je comprends que Chidiac ait des inspirations en prison, vu que je connais le poids de l’emprisonnement. Mais je ne comprends pas comment Bakhos en a alors qu’il est libre». Me Badawi Abou Dib renchérit: «C’est comme un rêve. Bakhos fait ces révélations en réponse à une question du procureur. Comme si cela lui avait été inspiré...». M. Addoum est à son tour en colère, rejetant ce sous-entendu. Il demande ensuite à Bakhos, par le biais de la cour, si quelqu’un l’a contacté pour lui inspirer le récit de cet incident ou exercer des pressions sur lui. Le témoin répond par la négative. Interrogé, Bakhos évoque ensuite les bonnes relations entre Touma et Matar, même après la chute de la base de Halate, au début de la guerre dite d’élimination entre les FL et l’armée. Il raconte aussi comment, à la suite d’une rencontre à Halate entre Touma, Obeid et Matar, les FL se sont mises à assurer du fuel aux avions de la base, par voie maritime, à partir du port de Beyrouth. Il parle ensuite d’une seconde rencontre, 15 jours après la première, à Halate, entre Touma et Matar. Le brigadier déclare que Touma lui demandait alors d’utiliser ses avions pour bombarder l’armée, mais il a refusé. «Plusieurs témoins peuvent confirmer mes dires. Les 30 militaires de la base», ajoute-t-il. L’audition de Bakhos se poursuit, la polémique aussi. Le témoin parle d’une rencontre avec un officier de l’armée, Georges Sawaya, qu’il avait accompagné au domicile de Touma, puis qu’il a revu, plus tard, sortant du bureau du chef du service de sécurité, énervé, allant même jusqu’à frapper la porte vitrée. Comme il s’enquérait auprès de Gaby Touma de la cause de ce courroux, ce dernier aurait répondu: «Ghassan l’a envoyé chercher car il a bavardé au sujet de l’affaire Karamé». José Bakhos déclare qu’il était très ami avec Ghassan Touma, originaire du même village que lui. Mais après la guerre dite d’élimination, Touma a voulu le muter vers le département de la logistique pour placer un officier des FL à la tête de son escorte. Bakhos a refusé. Il a alors quitté les FL, tout en continuant à bénéficier de l’assurance maladie. Selon lui, ni lui ni Chidiac ni Saleh ne pouvaient connaître les objectifs des missions de reconnaissance, «car, dit-il, Touma gardait certaines choses pour lui». Cette phrase ne suffit pas à calmer la tempête qu’il a provoquée. Mais la cour décide de lever l’audience, après les rapides questions des avocats de la partie civile. L’audition de Bakhos se poursuivra le lundi 16 mars. La suspension des audiences pendant 12 jours est due au voyage en Tunisie de l’un des membres de la cour, le magistrat Ahmed Moallam.
Le premier témoin à charge entendu hier par la Cour de justice, dans l’affaire de l’assassinat du premier ministre Karamé, a provoqué un véritable tremblement de terre dans la salle. Ancien responsable de l’escorte du chef du service sécurité des FL dissoutes (Ghassan Touma), José Bakhos a soulevé les protestations de trois des 5 inculpés présents. Si Antoine Chidiac,...