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Actualités - REPORTAGE

Poursuite de l'interrogatoire des inculpés devant la cour de justice dans l'affaire Karamé Aziz Saleh se présente comme un membre ordinaire du service de sécurité des FL (photos)

L’interrogatoire de l’inculpé Aziz Saleh méritait-il une prolongation de l’audience jusqu’à 22h15? Comme il en avait donné un premier aperçu vendredi dernier, le chef de la section du tri des informations, au département de l’analyse du service de sécurité des FL dissoutes, est un homme d’une extrême prudence, déterminé à en dire le moins possible. Au point d’ailleurs que le procureur général près la cour de Cassation, M. Adnane Addoum, s’est demandé s’il faut lui arracher les réponses. En dépit donc des multiples questions de la cour, du procureur et des avocats, Saleh n’a fait aucune révélation spectaculaire, se contentant de nier tous les faits qui pourraient lui donner un rôle quelconque dans l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé le 1er juin 1987, contredisant ainsi ce qu’il avait dit au cours des enquêtes préliminaires. Et lorsqu’il commençait à hésiter, ses deux avocats, MM. Abdo Abou Tayeh et Sleimane Lebbos se dressaient comme des ressorts pour formuler une objection. D’ailleurs, la seule animation au cours de cette longue audience est venue des avocats eux-mêmes, ceux de la partie civile et ceux de la défense, déterminés chacun de son côté, à ne pas laisser l’autre partie marquer un seul point. Objections et contre-objections, remarques des uns entraînant une mise au point des autres, les débats auraient pu s’éterniser, d’autant que le président de la cour, M. Mounir Honein, avec une patience admirable, tenait à laisser chacun s’exprimer. Répugnant à se transformer en professeur sévère face à une classe dissipée, il ne tranchait donc que lorsque la situation risquait de s’envenimer... Vendredi, la cour interrogera les deux derniers inculpés présents, Samir Geagea (qui refusera probablement de répondre aux questions) et Camille Rami. L’audience s’ouvre sur un vif débat entre Me Edmond Naïm et le procureur Addoum, au sujet de la possibilité de demander la convocation du commandant Keitel Hayeck devant la cour pour l’entendre en tant que témoin. Selon certaines sources, le commandant Hayeck (qui a déjà été condamné par contumace par le tribunal militaire pour collaboration avec l’ennemi israélien et tentative d’assassinat du brigadier syrien, Ghazi Kanaan) serait actuellement détenu en Syrie, où il purge une peine après avoir été condamné là-bas. Le commandant Hayeck étant aussi inculpé dans cette affaire, le procureur ne comprend pas comment il pourrait être entendu en qualité de témoin. Selon lui, le seul moyen pour pouvoir l’interroger devant la cour est de présenter au parquet une demande d’extradition officielle. Mais Me Naïm estime que la procédure de la convocation en qualité de témoin est plus facile et plus réalisable. Les avocats de la partie civile s’en mêlent et le président doit mettre fin au débat. Me Pakradouni présente entre-temps à la cour une note sur un rapport décrivant la puissance du dispositif d’écoute des FL. A la différence des deux inculpés interrogés avant lui (le brigadier Matar et Antoine Chidiac, chauffeur du chef du service de sécurité des FL), Aziz Saleh est peu loquace. D’ailleurs, sa voix enrouée (il affirme qu’elle ne l’est pas d’habitude) ne facilite pas son élocution. Selon l’acte d’accusation, il aurait participé au crime, en effectuant des missions de surveillance et de reconnaissance dans des lieux surplombant la base militaire d’Adma (d’où s’est envolé l’hélicoptère PUMA No 906) et en prenant des photos de cette base. Devant la cour, Saleh se contente toutefois de nier l’importance de son rôle. Il précise que Ghassan Touma lui avait effectivement demandé d’accompagner le responsable du département de photo au sein du service de sécurité, Joseph Succar, dans des missions de reconnaissance, avant le crime, mais il n’a jamais pris lui-même des photos, ni effectué la moindre surveillance, se contentant de servir de protection à Succar. Au cours de l’audience précédente, il avait affirmé qu’il y avait des rajouts dans les procès-verbaux de ses dépositions au cours des enquêtes préliminaires. Prié de préciser lesquels, il ne parvient pas à le faire. Et le président Honein constate que toutes ses déclarations sont identiques, sauf en ce qui concerne son propre rôle dans l’affaire. Ainsi, lorsqu’il avait été entendu par le juge Ghantous en tant que témoin, il avait totalement omis les missions de reconnaissance dont il avait été chargé par Ghassan Touma. Le président Honein lui demande la raison de cette omission, et Saleh répond: «Je craignais de devenir un bouc émissaire». «Le pigeon s’est envolé» Il répète donc sa version des faits devant la cour et déclare qu’il a effectivement accompagné Succar dans des missions de reconnaissance, afin qu’il prenne des photos de la base d’Adma notamment, avant le drame. Le 31/5/87, Touma le convoque dans son bureau et lui demande d’accompagner le lendemain (jour du crime) Joseph Succar au lieu même où ils s’étaient déjà rendus pour prendre des photos. De fait, le lundi, il quitte le siège du service de sécurité, vers 7h, dans sa propre voiture et accompagné de Joseph Succar. Ils se rendent à la position surplombant la base d’Adma et il entend Succar dire dans le poste radio qu’il avait en mains: «Le pigeon s’est envolé». Ils repartent ensuite vers la base navale de Jounieh où Tony Obeid les attend et tous les trois se rendent à Beechta (près de Berbara). Obeid s’empare de la caméra vidéo et lorsque Saleh lui demande ce qu’il compte filmer, il répond «l’avion». (Me Abou Tayeh insiste pour que l’on écrive: un avion. Mais l’inculpé ne se souvient pas du mot exact). Obeid et Succar s’éloignent vers la mer. Ils se tiennent à 20 mètres de lui, qui reste debout, à côté de la voiture, face à la route, en guise de protection. Obeid et Succar reviennent au bout de 5 minutes et il entend Obeid dire: «Le premier ministre s’est envolé par une pression de bouton». Les trois hommes retournent au siège du service de sécurité, sans dire un mot. Vers midi, alors qu’il s’apprête à sortir du bâtiment, il croise Obeid et Henry Kheir. Obeid est joyeux et il lui demande la raison de sa bonne humeur. Obeid lui répond en poursuivant son chemin vers son bureau: «Le premier ministre s’est envolé par une pression de bouton. Nous étions en pleine mer. Lorsque l’hélicoptère est passé au-dessus de nous, nous avons pressé un bouton...». Obeid interrompt son histoire à cause d’un coup de téléphone qui le convoque chez Ghassan Touma. Saleh sort et en chemin, il rencontre Ghassan Menassa, Pierre Obeid, Pierre Rizk etc... se rendant aussi chez Touma. Lorsque la cour lui demande si ce genre de réunion est routinier, Saleh répond: «Non. Elles n’ont lieu qu’à la suite d’événements précis». Prié de donner des exemples, il évoquera l’intifada du 15 janvier 1986 etc... A une autre question de la cour, il déclare qu’il a adhéré aux FL en 1980 et il s’est rallié à la caserne de Kattara (dirigée par Samir Geagea). Il y travaillait dans la section de la reconnaissance et avec Tony Obeid, il prenait des photos. Il répète toutefois que dans les missions que lui a confiées Ghassan Touma, il n’a pas pris de photos «puisque le chef de la section était avec moi. Mon rôle était simplement de l’accompagner». Est-ce parce qu’il sait prendre des photos que Touma lui a confié cette mission? Saleh ne répond pas à la question, se contentant de préciser qu’un ordre de Touma ne se discute pas. Un peu plus tard, il déclare qu’il n’a rien vu d’anormal dans l’ordre de mission de Touma, mais à une question du magistrat Ralph Riachi, il répond que Touma ne lui a jamais confié directement une autre mission que celle-ci. Une question de hiérarchie Bien qu’il soit responsable du tri des informations au sein du département de l’analyse, il affirme n’avoir reçu aucune information sur l’assassinat de Rachid Karamé, tout comme nul n’a jamais évoqué cette question devant lui. Comment, dans ce cas, a-t-il osé demander à Obeid la raison de sa bonne humeur? Saleh apprend alors à la cour qu’il était ami avec Tony Obeid. Il l’a d’ailleurs accompagné en 1988, à la demande de Touma, en Australie, où il a subi une opération à cœur ouvert. Au procureur, qui centre ses questions sur l’enquête préliminaire afin de montrer que les premières déclarations de l’inculpé sont vraies, Saleh répond que le juge ne lui a pas lu les procès-verbaux et qu’il ne dictait pas les questions et les réponses au greffier. Selon lui, celui-ci écrivait directement. M. Addoum lui demande alors s’il a l’habitude de parler en langage littéraire, en utilisant des mots techniques. Saleh ne répond pas, se contentant de dire qu’il n’a pas modifié ses déclarations. Il répète ici ce qu’il avait dit avant. A la question de savoir si Touma peut agir sans en aviser Samir Geagea, Saleh répond, que d’après lui, dans une si grosse affaire, Touma doit forcément informer Samir Geagea. Il ajoute un peu plus loin que Touma recevait ses instructions de Samir Geagea. Me Naïm objecte, rappelant que le chef du Mossad israélien vient de démissionner, parce qu’il avait agi de son propre chef. Me Issam Naaman (de la partie civile) proteste aussitôt et déclare que le chef du Mossad n’a pas agi de son propre chef, mais il a été contraint de démissionner parce que le premier ministre israélien voulait présenter une concession au roi Hussein. De nombreuses questions sont ensuite consacrées à la position de Saleh au sein de la hiérarchie du service de sécurité. Pour le procureur et la partie civile, le chef de la section de tri des informations, qui possède un bureau seul, au même étage que celui de Touma et Obeid (chef de la section de protection et d’intervention), ne peut être un milicien comme un autre et par conséquent être chargé d’une simple mission de protection. Mais ses avocats, MM. Abou Tayeh et Lebbos tentent au contraire de prouver que Saleh n’avait aucune responsabilité réelle, son rôle se limitant à celui de postier. S’il avait un bureau seul, c’est parce qu’il dormait sur place, n’ayant pas de domicile, mais il n’avait ni voiture de fonction, ni secrétaire, ni garde du corps, ni caisse noire. Il n’avait même pas de nom de code, comme les autres éléments du service de sécurité. Ghassan Touma non plus, fait remarquer un avocat. Saleh affirme que son supérieur hiérarchique était un certain Jamil (dont il ignore la véritable identité), installé dans un bureau à l’étage au-dessus. Il affirme aussi qu’il ne pouvait faire la moindre modification dans les dépêches qu’il distribuait. Prié d’expliquer la structure hiérarchique des FL, il précise ne connaître que celle du service de sécurité et l’avocat Nazih Ghantous, de la partie civile, lance: «Nous en savons décidément plus que lui». Le président Honein lui demande ensuite s’il connaît Antoine Chidiac et s’il le rencontrait au siège du service de sécurité à la Quarantaine. Sans attendre sa réponse, Chidiac, tout sourire, hoche vigoureusement la tête. Saleh sourit alors et répond par l’affirmative. Les questions continuent à pleuvoir, mais Saleh maintient ses allégations. La fatigue aidant, sa voix devient presque inaudible. Mais le président veut à tout prix achever son interrogatoire séance tenante. Et c’est finalement à 22h15 que l’audience est levée. Scarlett HADDAD
L’interrogatoire de l’inculpé Aziz Saleh méritait-il une prolongation de l’audience jusqu’à 22h15? Comme il en avait donné un premier aperçu vendredi dernier, le chef de la section du tri des informations, au département de l’analyse du service de sécurité des FL dissoutes, est un homme d’une extrême prudence, déterminé à en dire le moins possible. Au point...