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Actualités - CHRONOLOGIE

En dépit du malaise des magistrats, la loi sur la peine capitale ne sera pas amendée

Les magistrats dotés d’une conscience (ils sont plus nombreux qu’on ne le croit) devront attendre encore avant d’écouter sa voix. L’espoir, né récemment, d’obtenir un amendement de la loi du 21 mars 1994, privant les auteurs d’homicides intentionnels du bénéfice des circonstances atténuantes, s’est évanoui, sans autre forme de procès, pourrait-on dire. Depuis quelque temps déjà, et en raison des protestations des magistrats, malheureux de devoir appliquer la loi et condamner à la peine de mort des criminels, qui, selon eux, ne la méritaient pas, le président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, M. Chaker Abou Sleimane, avait préparé un projet de loi, rétablissant les circonstances atténuantes et donnant au juge la possibilité d’évaluer l’étendue de la culpabilité, et par conséquent, le châtiment qu’elle mérite. Le projet de loi, préparé dans la plus grande discrétion, afin d’éviter que ce sujet délicat ne fasse l’objet d’une polémique, a toutefois été rejeté par les autorités, qui l’ont jugé «prématuré». Il intervient pourtant après deux grandes premières dans l’histoire de la justice libanaise. Il y a eu d’abord l’arrêt particulièrement important de la Cour de cassation (Chambre pénale, présidée par le magistrat Ralph Riachi) qui, en décembre dernier, avait condamné Ahmed Reda Yassine (68 ans) à la peine capitale parce qu’elle ne pouvait faire autrement. Elle a toutefois insisté sur le fait qu’elle était obligée d’appliquer la loi, mais qu’en toute conscience, elle estimait que le condamné devrait bénéficier des circonstances atténuantes, en raison de son âge, des mobiles du crime et des circonstances dans lesquelles il avait été commis. Le tribunal en avait même appelé à la clémence du Conseil supérieur de la magistrature qui, réuni en commission des grâces et après avoir examiné le dossier, avait émis un avis favorable à la requête de la Cour. Le dossier a toutefois atterri chez le président de la République qui détient le droit de grâce final... et qui ne s’est toujours pas prononcé sur la question. Ce jugement avait fait l’effet d’une bombe, tant il est rare que, dans son verdict, la Cour évoque les états d’âme de ses membres et émette des critiques sur un texte de loi. Il y a eu ensuite le cas du magistrat Rustom Awad, assesseur à la Cour criminelle du Mont-Liban. Il avait protesté contre un arrêt de la Cour, adopté à la majorité des membres, condamnant, il y a près de deux semaines, Georges Farhat Badine à la peine de mort, en application de la loi de mars 94. Pour le magistrat Awad, cette loi est injuste et anticonstitutionnelle parce qu’elle ne fait aucune différence entre l’homicide volontaire (avec intention de tuer) et le crime prémédité. Si le second doit être puni par la peine de mort, le premier devrait valoir à son auteur une peine de 20 ans de travaux forcés, conformément aux dispositions de l’article 547 du Code pénal. Cet avis, largement exposé dans la presse, a suscité de vifs remous dans les milieux judiciaires et juridiques. Désormais, le débat devenait public et le malaise au sein de la magistrature de plus en plus évident. D’ailleurs, de nombreux juges contactaient les membres de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice et ceux de la commission parlementaire des droits de l’homme (présidée par le député Michel Moussa), pour les pousser à réagir contre cette loi considérée injuste et contraignante pour les magistrats, tant il est vrai qu’elle les transforme en simples fonctionnaires. C’est, du reste, à cause de cette pression que M. Abou Sleimane et d’autres avocats avaient décidé de préparer un nouveau texte de loi. Hélas, il n’a pas eu l’heur de plaire aux responsables politiques. Les arguments invoqués pour le rejeter sont les suivants: d’une part, il serait injuste, par rapport à la douzaine de personnes condamnées à mort depuis l’adoption de la loi de mars 94, de modifier les dispositions de celle-ci, alors que les peines ont déjà été exécutées. D’autant qu’en l’occurrence, il est impossible de rétablir les circonstances atténuantes avec effet rétroactif. D’autre part, les responsables estiment que, si les magistrats ont de nouveau la possibilité d’accorder des circonstances atténuantes, ils useront et abuseront de ce droit — vu que la tendance générale, en matière pénale, doit toujours être à la clémence — et plus personne ne sera condamné à la peine capitale. Les magistrats seront, selon les responsables, la cible de multiples pressions exercées par des autorités religieuses, communautaires ou politiques qui tenteront d’obtenir le bénéfice des circonstances atténuantes pour les coupables, indépendamment de la gravité de leurs crimes. Non pas que tous les magistrats soient sensibles aux pressions, mais celles-ci pourraient entraver le cours de la justice. Selon les responsables, c’est donc pour éviter tous ces soucis aux juges qui ont déjà fort à faire, que la loi de mars 94 a fait de la condamnation à la peine capitale une procédure automatique, en cas de crime. Enfin, ultime raison invoquée, les circonstances délicates que traverse le pays et qui nécessitent une grande fermeté sur le plan judiciaire, afin de donner une leçon aux criminels potentiels. Il reste à prouver que la leçon est efficace... Mais, pour toutes ces raisons, les responsables estiment que l’heure d’amender la loi de mars 94 n’a pas encore sonné. Les magistrats devront donc continuer pour quelque temps encore à faire taire leur conscience alors que le projet de loi élaboré croupira dans un tiroir administratif. Et tant pis si le Liban a, depuis quelques années, le pourcentage le plus élevé d’exécutions capitales. Scarlett HADDAD
Les magistrats dotés d’une conscience (ils sont plus nombreux qu’on ne le croit) devront attendre encore avant d’écouter sa voix. L’espoir, né récemment, d’obtenir un amendement de la loi du 21 mars 1994, privant les auteurs d’homicides intentionnels du bénéfice des circonstances atténuantes, s’est évanoui, sans autre forme de procès, pourrait-on dire. Depuis...