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Actualités - REPORTAGE

Chalhoub le protestataire au Goethe Brecht revisité par Hamlet .. (photos)

«Pour Helene Weigel, Et maintenant de ton pas léger monte Sur la ville en ruines Tout entière patience mais implacable aussi Montre ce qu’il faut montrer Avec sagesse, la folie Avec bienveillance, la haine Et, devant la maison détruite, Le vice de la construction Mais à ceux qu’on ne peut instruire Montre en espérant à peine Ton visage de bonté.» (Bertolt Brecht, 1949) Au Goethe Institut, variation sur la pièce de Bertolt Brecht «Un mariage bourgeois» pour commémorer le centenaire du dramaturge allemand. Le metteur en scène, Elie Chalhoub, y a introduit des tirades de Shakespeare et c’est Hamlet qui dirige le tout. Rebelle dans l’âme, Chalhoub considère le théâtre comme une lice de contestation et de remise en question. Dans cette pièce, il attaque la suffisance et l’apathie qui sont devenues à l’en croire, les marques distinctives des Libanais.Chalhoub, qui se dit déçu par la société, veut en dénoncer «l’hypocrisie». Cet homme en colère vitupère contre une collectivité «aveugle et dupe de ses illusions». La pièce est donnée en anglais «car, affirme-t-il en chargeant la censure, dans mon propre pays on m’empêche de m’exprimer librement dans ma langue ! Cela me suffoque». Toujours est-il que le rideau se lève sur le fantôme du père de Hamlet. Ce dernier décide de venger son père assassiné mais sans avoir recours à l’épée. Il monte une pièce. «Si la vérité ne peut pas s’exprimer avec des mots elle trouvera un autre moyen: la conscience». Il n’y a pas d’histoire . La pièce est construite sur un amalgame de tirades, de bouffonneries, de prises de becs et de coups de gueule. Il y a quand même là un appel à la raison plus qu’au sentiment. Sur scène, un banquet pour célébrer un mariage. Les personnages illustrent chacun une appartenance: la droite, la gauche, les épicuriens, les m’en foutistes... Débat stérile d’idéologies. La mariée est enceinte. «Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde», écrivait Bertolt Brecht en 1929. L’émergence rapide du nazisme, les horreurs de la Seconde Guerre mondiale devaient lui donner raison. Malheureusement, durant de longues années et malgré des indices convergents, ni ses paroles prophétiques ni celles de ses rares disciples ne furent écoutées. «Tous les jours, dit Chalhoub, j’observe avec attention tout ce qui se passe autour de moi. Je lis ce qui est inscrit sur les murs des toilettes dans les universités. Je cherche dans les bordels, les églises, les mosquées, les night-clubs, les librairies,espérant mettre le doigt sur l’antithèse, l’élément contraire duquel dépend le changement. Je prédis un avenir horrible. Non, je n’ai pas rencontré dernièrement l’Oracle de Delphes. J’ai simplement évalué les possibilités de notre avenir et abouti sur le pire». Aucune leçon idéologique «Dans les années 20, enchaîne-t-il, le jeune Bertolt Brecht a écrit une pièce nommée «Un mariage bourgeois». Il y a exprimé sa peur pour l’avenir de l’Allemagne après la dépression de la grande guerre . Brecht a essayé tous les langages pour avertir la société de sa chute imminente... Ce soir, Hamlet remet cette pièce sur scène . Il va tenter de tirer la sonnette d’alarme. Qui sait, cette fois-ci, les prédictions du jeune homme seront peut-être prises au sérieux.» La pièce ne véhicule aucune idéologie précise. «Les idées et les théories me dégoûtent. J’ai trouvé intéressant d’internaliser nos expériences», souligne Chalhoub. A son avis, c’est une pièce «prophétique» donc révolutionnaire, car elle donne à entendre l’essentiel des contradictions de nos sociétés. L’adaptation du texte de Brecht ne donne aucune leçon idéologique. Son âpreté tient à une lucidité cynique qui reste résolument contemporaine. La seule certitude qui s’en dégage est que nous courons droit à notre perte. Le seul message: un appel à ne pas se laisser avoir, ne pas se laisser dévorer par la réalité sociale et politique, par l’intégrisme. Disons-le tout net, la mise en scène d’Elie Chalhoub est une réussite dans son genre. Les personnages explosent avec jubilation. C’est d’une formidable vitalité, plein d’humour et de clins d’œil . «Sans les bouffonneries, le public serait mort d’ennui et aurait perdu tout intérêt à la pièce», dit le metteur en scène . Un tonus léger «Jamais la mise en abîme — expression-clé des lectures brechtiennes des années 70 — ne paraît une simple «idée», et ce ludisme joyeux crée pourtant un réel effet de distance.» En favorisant le caractère démonstratif du jeu de l’acteur, il s’agit d’amener le spectateur à adopter un point de vue critique sur la pièce, sur le personnage auquel il ne peut plus s’identifier, et de lui permettre ainsi de démonter le mécanisme de l’illusion. Ce tonus léger,joyeux est régulièrement troué par des monologues qui donnent subitement à la pièce profondeur et gravité. Et si être brechtien aujourd’hui c’était vraiment jouer le théâtre de Brecht? «Si les critiques regardaient mon théâtre comme le regardent les spectateurs, c’est-à-dire sans donner d’importance à mes théories, ils verraient un théâtre pur et limpide; un théâtre, du moins je l’espère, plein de fantaisie, d’humour et de sens», écrivait Bertolt Brecht. Néamoins, dans «Un mariage bourgeois» plus que le texte de Brecht, c’est la mise en scène d’Elie Chalhoub qui dérange et apporte la subversion... Maya GHANDOUR
«Pour Helene Weigel, Et maintenant de ton pas léger monte Sur la ville en ruines Tout entière patience mais implacable aussi Montre ce qu’il faut montrer Avec sagesse, la folie Avec bienveillance, la haine Et, devant la maison détruite, Le vice de la construction Mais à ceux qu’on ne peut instruire Montre en espérant à peine Ton visage de bonté.» (Bertolt Brecht,...