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Actualités - ANALYSE

L'engrenage

La guerre, il faudrait croire que nul ne la voulait au départ, pas plus les deux principaux protagonistes que les autres acteurs (pour la plupart malgré eux) du psychodrame qui depuis quelques jours se joue sur la scène proche-orientale. Comment en est-on venu soudain, de part et d’autre, à la croire inéluctable? Trop longtemps, Saddam Hussein s’est claquemuré dans une orgueilleuse intransigeance, desservi par un isolement qui le coupait de toute réalité extérieure; trop loin est allé bill Clinton dans ses exigences, servi par un Richard Butler qui avait une fâcheuse tendance à en faire trop, au point d’être rappelé à l’ordre par le Conseil de Sécurité. Le résultat, on le voit aujourd’hui: un blocage quasi-total que médiateurs français et russes s’emploient, en vain jusqu’à présent, à dresserrer. Voilà quelques jours déjà que les médias américains ignorent les caleconnades présidentielles pour multiplier avec force précisions les indications sur la frappe militaire à venir. Elle aurait lieu, apprend-on ainsi, vers la fin du mois en cours, durerait deux semaines au moins, serait l’œuvre uniquement de l’aéronavale et de l’atillerie lourde et... déboucherait sur une foule d’inconnues concernant le devenir du régime irakien, la situation d’une population rendue exsangue par des années d’un implacable embargo, et même la géographie nouvelle de l’Irak. Un peu inconsidérément, le chef du Foreign Office Robin Cook vient de laisser entendre en effet que son pays pourrait «accueillir favorablement» une désintégration de l’Irak, avant de rectifier ses propos et d’affirmer que «personne ne saurait prédire les conséquences d’une action militaire». Plus prudent, William Cohen a mis en garde contre un excès d’optimisme («unresonable expectations», a-t-il dit), donnant à croire par là qu’il convenait de ne pas trop attendre d’un éventuel «Desert Storm II». Bill Clinton, relayé tous les jours par l’un le temps aux divers émissaires d’agir et aux pressions militaires d’éroder la volonté de résistance du régime irakien. Face à cette intransigeance prudente, Bagdad semble avoir opté pour un véritable tango diplomatique, renvoyant un jour les inspecteurs américains de l’UNSCOM pour accepter le lendemain d’ouvrir au contrôle onusien quelques rares sites «présidentiels»; brandissant tantôt la menace d’un Armageddon moderne et tantôt assurant ne pas vouloir s’en prendre à Israël en cas de conflagration. Avec une touchante ingénuité, Madeleine Albright vient d’annoncer que rien ne sera entrepris avant une mobilisation du ban et de l’arrière-ban des alliés de l’Amérique — une opération rien moins que hasardeuse tant les données ont changé depuis sept ans. En réalité, la réserve US masque un réel embarras. En Occident, plus personne hormis l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la lointaine Australie ne veut s’embarquer dans la galère yankee. Dans le monde arabe, la neutralité n’est même plus bienveillante s’agissant de pays hier encore considérés comme «sûrs». Plus grave: toute attaque qui n’irait pas jusqu’au bout de son objectif non déclaré serait stérile. Elle aurait même un effet contraire, celui de consacrer un régime ayant tenu tête à l’unique superpuissance de la planète. Or, si lors de la guerre du Golfe dans sa première version, George Bush n’avait pu conclure par K.O., c’est parce que la résolution du Conseil de Sécurité prévoyait la libération du Koweit et rien d’autre. Cette fois, il ne peut être question que de démanteler l’arsenal de destruction massive que l’on prête à l’Irak. En aucun cas, pour peu que l’on veuille respecter les règles du jeu international, il ne devrait s’agir de remplacer le régime actuellement en place à Bagdad. Déjà passablement écornée par l’incapacité de la Maison-Blanche à relancer la processus de paix régional — pour ne pas parler des multiples autres déconvenues ailleurs dans le monde — la répuation de l’Administration démocrate subirait là un revers dont elle se remettrait difficilement. Il resterait le recours à des coups de poing régulièrement assénés, c’est-à-dire à une entreprise guerrière de longue haleine, avec les risques que cela comporterait. Les généraux du Pentagone, et les politiques avec eux, font valoir qu’il serait tout aussi dangereux de ne rien faire. Mais pourquoi donc un tel raisonnement donne-t-il la pénible impression du déjà-entendu? C’est sans doue parce que, dansles années soixante, on allait vers la victoire en chantant, dansles rizières vietnamiennes... Christian MERVILLE
La guerre, il faudrait croire que nul ne la voulait au départ, pas plus les deux principaux protagonistes que les autres acteurs (pour la plupart malgré eux) du psychodrame qui depuis quelques jours se joue sur la scène proche-orientale. Comment en est-on venu soudain, de part et d’autre, à la croire inéluctable? Trop longtemps, Saddam Hussein s’est claquemuré dans une...