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Actualités - CHRONOLOGIE

Le chef de la révolte des affamés avait perdu toute couverture politique

Le sang des victimes n’a pas encore séché et l’odeur de la poudre ne s’est pas dissipée dans la Békaa, mais déjà les questions se bousculent. Pourquoi la décision d’asséner un coup sérieux à cheikh Sobhi Toufayli a-t-elle finalement été prise? Pourquoi maintenant et non pas il y a trois semaines ou deux mois? Et quel est le rôle de Damas dans ces événements qui ont une fois de plus mis en relief la nécessité d’une sécurité globale dans le pays? Ce qui s’est passé à Baalbeck ces dernières 48 heures est bien plus grave qu’un simple accrochage armé entre les forces légales et une bande de rebelles menée par un illuminé enturbané. Il s’agit avant tout du premier affrontement entre l’armée libanaise et un mouvement contestataire se réclamant de l’islam politique chiite, dans une région de tout temps irréductible et d’une importance stratégique majeure pour la Syrie. Ensuite, Sobhi Toufayli n’est pas un vulgaire chef de gang. C’est l’un des fondateurs du Hezbollah. Un homme connu pour son intransigeance et son entêtement et qui a dirigé le parti pendant une période cruciale de son histoire caractérisée par «la guerre totale contre l’Occident» (attentats contre les Marines et les soldats français, enlèvement des Occidentaux...). Pour comprendre le pourquoi des derniers événements, ces facteurs doivent être pris en considération. Vingt-quatre heures avant les développements dramatiques d’Aïn Bourday, beaucoup pensaient que le phénomène Toufayli avait été absorbé par la Syrie qui l’a ajouté aux multiples cartes qu’elle possède au Liban. Certains hauts responsables du Hezbollah n’étaient pas loin de ce raisonnement. Avec amertume, deux des principaux membres du Conseil politique (ancien bureau politique) du parti, nous ont déclaré à la veille des affrontements, qu’il ne fait pas de doute que Toufayli maintient de très bonnes relations avec les Syriens. En quoi l’ancien secrétaire général du Hezbollah pouvait-il être utile à Damas qui de toute façon exerce une grande influence sur le parti? C’est peut-être la vision de Toufayli concernant le conflit avec Israël qui a intéressé à un moment bien précis les Syriens. Pour l’ancien chef du Hezbollah, il ne peut y avoir de double langage concernant la lutte contre l’ennemi. Si le Hezbollah prend soin de ne jamais clarifier l’attitude qu’il adopterait après un éventuel retrait du Liban-Sud, Toufayli lui, n’hésite pas: «Nous les pourchasserons en Palestine». Il l’a encore affirmé dans son discours vendredi 23 janvier lors du meeting qu’il a organisé pour la «journée Al-Qods» à Baalbeck. De quoi dissuader l’Etat hébreu de retirer ses troupes, puisque de toute façon, les attaques se poursuivraient. L’émergence de Toufayli tombait à point nommé. En effet il y a quelques semaines, la direction israélienne a annoncé son acceptation conditionnelle de la résolution 425 de l’ONU, signifiant ainsi que le retrait de son armée du Sud est un cas de figure envisageable. Un tel retrait, s’il ne s’inscrit pas dans le cadre d’un règlement englobant aussi la restitution du Golan, ferait perdre à Damas sa carte maîtresse dans la gestion de son conflit avec l’ennemi. Pour la Syrie, le discours Toufayli pouvait éventuellement être investi dans l’équation régionale. Mais l’ancien chef du Hezbollah demeure une carte à haut risque. Il gêne énormément le pouvoir libanais qui reste quand même l’allié de Damas, ainsi que l’Iran qui accorde un soutien total à la direction actuelle du Hezbollah. Gênant pour le pouvoir, Toufayli l’est doublement. D’abord, il défie l’autorité centrale, humilie députés et ministres et porte atteinte au prestige de l’Etat. Ensuite, il soulève des revendications à caractère social, rappelant aux Libanais et au monde entier l’échec du gouvernement dans sa gestion des affaires économiques, financières et sociales du pays. Il indispose aussi l’Iran car son mouvement affaiblit le Hezbollah et parce qu’il s’est rebellé contre l’autorité de «Wali el-Faqih» (le guide de la révolution, Ali Khameneï) en neutralisant toute médiation menée par Téhéran. Il y a trois mois, une réunion avait eu lieu à Damas entre le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, et Toufayli à l’initiative de l’ambassadeur iranien en Syrie. L’entrevue n’avait pas abouti et les deux hommes s’étaient quittés en réalisant que le contentieux qui les séparait était énorme. L’affaire aurait pu en rester là si Toufayli ne s’était pas placé en concurrent direct du Hezbollah sur tous les terrains. Du moment que son discours portait sur des revendications sociales, la direction du parti n’avait pas d’inconvénient à poursuivre le dialogue et à maintenir un dernier «cheveu de Moawiya». Mais la détermination du chef de «la révolte des affamés» à vouloir organiser une cérémonie distincte de celle du Hezbollah lors de la journée «Al-Qods» — avec ce que cela pouvait avoir comme incidence sur l’unité de la résistance — a constitué la goutte qui a fait déborder le vase. D’ailleurs, depuis quelques semaines, Toufayli s’était lancé dans une campagne de reconquête des institutions et des biens du parti dans la Békaa. Ses hommes s’étaient emparés d’un grand nombre de véhicules et d’une école appartenant au Hezbollah. La direction du parti a donc décidé le samedi 24 janvier de l’exclure de ses rangs et de lui couper les vivres. Quatre jours plus tard, le président du Conseil supérieur chiite (CSC), l’imam Mohammed Mehdi Chamseddine, adresse de vives critiques à l’ancien secrétaire général du Hezbollah, qualifiant son action d’«excentrique et anormale». Toufayli devient de plus en plus isolé sur la scène chiite. Même sayyed Mohammed Hussein Fadlallah, qui a une affection particulière pour son ancien disciple, n’est plus en mesure de le défendre. Ces événements s’accompagnent d’une visite à Damas et à Beyrouth la semaine dernière de cheikh Mohammed Abtahi, chef du cabinet du président iranien, sayyed Mohammed Khatami. Abtahi, qui était pendant longtemps le représentant de la télévision iranienne au Liban, connaît bien les dossiers chiites dans le pays. Selon des sources bien informées, l’émissaire présidentiel aurait clairement exprimé le mécontentement de son pays à l’égard de Toufayli «qui affaiblit le Hezbollah et se rebelle contre l’autorité du Wali el-Faqih». L’étau se resserre mais Toufayli ne s’en rend pas compte ou ne veut pas l’admettre. Vendredi dernier, il décide avec ses partisans de prendre le contrôle de l’école religieuse d’Aïn Bourday dont la construction avait été entamée à son initiative lorsqu’il tenait les rênes du parti. L’institution est d’ailleurs dirigée par un de ses proches, cheikh Ali el-Effi, et Toufayli estime qu’il est normal que l’école soit placée sous son contrôle. Le chef de la révolte des affamés projette d’y organiser le dimanche suivant un meeting en prévision du grand rassemblement du 8 février au cours duquel il compte annoncer des mesures d’escalade. Le pouvoir libanais qui attend depuis longtemps le moment propice pour briser «la révolte des affamés» juge que les conditions sont favorables pour agir. Exclu du parti, désavoué par l’imam Chamseddine, critiqué par l’Iran, Toufayli n’a plus comme couverture que ses proches et sa famille. L’ancien chef du Hezbollah n’a pas su mesurer les conséquences de l’occupation de l’école d’Aïn Bourday et n’a pas su lire les derniers développements. L’armée agit rapidement et les mandats d’arrêt émis à l’encontre de Toufayli et de ses partisans rendent toute marche arrière impossible. Dans une certaine mesure, la Syrie a été mise devant le fait accompli comme ce fut le cas lors de l’arrestation des Japonais de l’Armée rouge en février 1997 et la décision — annulée ultérieurement — de déployer l’armée dans la zone de la FINUL au Liban-Sud en juillet 1993. En passant à l’offensive, le pouvoir a fait d’une pierre trois coups: étouffer un mouvement de contestation sociale, qui s’était mis hors-la-loi selon les autorités, rendre à l’Etat son prestige et adresser des messages aux Etats-Unis et aux autres pays, cible de «la guerre totale contre l’Occident» au milieu des années 80... quand Toufayli était le maître du Hezbollah. La révolte est brisée mais la misère persiste dans la Békaa. Les méthodes de Toufayli ont beau être condamnables, les revendications qu’il a soulevées ces derniers mois n’en demeurent pas moins justifiées. Si seulement le gouvernement faisait preuve d’autant de détermination dans le règlement de la crise socio-économique... Paul KHALIFEH P. Kh.
Le sang des victimes n’a pas encore séché et l’odeur de la poudre ne s’est pas dissipée dans la Békaa, mais déjà les questions se bousculent. Pourquoi la décision d’asséner un coup sérieux à cheikh Sobhi Toufayli a-t-elle finalement été prise? Pourquoi maintenant et non pas il y a trois semaines ou deux mois? Et quel est le rôle de Damas dans ces événements qui...