Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

La troupe encercle Brital après avoir investi le domicile du cheikh hors-la-loi Toufayli en fuite, l'armée à ses trousses (photos)

L’homme qui, il n’y a pas si longtemps encore, déclarait à la presse «je souhaite mourir, tant ce qui se passe est dégoûtant» est désormais en cavale. Cheikh Sobhi Toufayli est depuis vendredi soir en fuite, dans le jurd de Brital qui s’étend jusqu’à la frontière syrienne, avec un groupe de fidèles combattants. Qu’est-ce qui a donc poussé le «cheikh des affamés», comme il se présentait, à se lancer dans une telle provocation en investissant avec ses hommes l’école religieuse du Hezbollah à Baalbeck, alors que jusqu’alors il était passé maître dans l’art de l’équilibrisme, attaquant le gouvernement et ménageant les forces de l’ordre? Seul le cheikh devenu hors la loi (le parquet militaire a depuis vendredi émis un mandat d’arrêt à son encontre), pourrait répondre à cette question. Et sans doute aussi ceux qui, en coulisses, tirent les ficelles de ce jeu macabre. Hier, à Baalbeck, en dépit du calme revenu, la population est encore sous le choc de la terrible nuit de vendredi à samedi, passée généralement dans les étages inférieurs et dans les coins les plus abrités des maisons. Par contre, à Brital, l’atmosphère est encore à la guerre. Après avoir relâché son dispositif d’encerclement du village, le temps de permettre à la famille de Khodr Tleiss, ancien député devenu proche adjoint de cheikh Toufayli (dont il est aussi le beau-frère), d’organiser ses funérailles, l’armée libanaise a bloqué vers 17h tous les axes secondaires menant à Brital avec des remblais de sable, ne laissant ouverte que la route principale...Les rares passants sont soumis à des fouilles strictes et les habitants craignent que ces mesures ne soient le prélude à un déploiement en force de l’armée dans le village, dans le but d’arrêter cheikh Toufayli et ses hommes. «S’ils viennent en ennemis, nous résisterons», déclarent les villageois, l’angoisse au coeur, tout en assurant que cheikh Sobhi Toufayli n’est plus au village. Il y a pourtant été vu le vendredi vers 22h30. «Mais il est reparti», rétorquent-ils vivement. Et tout au long de la cérémonie funéraire, leur principal souci est de ne pas incommoder les soldats, évitant d’attaquer l’armée et concentrant leur colère sur «Rafic Nasrallah et Hassan Hariri» comme ils disent, sur le chef de l’Etat et sur le ministre de la Défense, Mohsen Dalloul. De son côté, Khodr Abou Nouar Tleiss qui a prononcé un discours au nom de la famille du défunt affirme «la même balle qui a tué le lieutenant Jean Wehbé a aussi tué Khodr Tleiss et elle a été tirée à partir de l’extérieur». Ainsi, les habitants de Brital croient que le premier coup de feu a été tiré par une troisième partie, qui souhaitait mettre le feu aux poudres. Pour les uns, il s’agit du Hezbollah qui voulait provoquer un affrontement entre l’armée et les partisans de Toufayli afin de briser définitivement ce dernier, et pour les autres, il s’agirait de la fameuse cinquième colonne qui a sévi au Liban pendant les années de guerre. Résultat, les habitants veulent éviter tout affrontement avec l’armée, qui semble déterminée à retrouver cheikh Toufayli et ses partisans recherchés par la Justice. Mais elle n’a pas beaucoup de temps, puisque le 14 février expire le mandat par lequel le gouvernement lui avait confié la sécurité dans la région pour une période de trois mois. Beaucoup craignaient ainsi hier que cheikh Sobhi Toufayli ne devienne un second Abou Mahjane (l’islamiste palestinien condamné à mort pour avoir formé un groupe armé qui avait assassiné cheikh Nizar Halabi et officiellement introuvable)... En attendant de connaître l’issue de cette mobilisation militaire à la recherche de cheikh Toufayli et de ses compagnons, de Baalbeck à Brital, tout le monde ne parle que des derniers incidents. A Douris, où se trouve le domicile de cheikh Sobhi, des unités de l’armée quadrillent le quartier entourant sa demeure, un bâtiment de deux étages, en partie brûlé et détruit au cours des affrontements de samedi matin. Deux petits garçons errent, l’oeil triste, mais refusent de parler aux journalistes. Les habitants du quartier ont visiblement peur, d’autant que les soldats ont perquisitionné dans leurs maisons, à la recherche de fugitifs éventuels ou d’armes. Selon une vieille dame, l’armée aurait investi le quartier, le samedi vers 9h du matin. Elle déclare qu’aucun coup de feu n’a été tiré à partir de la maison de cheikh Toufayli où était installée sa radio illégale «la voix de la résistance». Mais elle est très vite contredite par d’autres habitants qui précisent que, bien que le cheikh et ses enfants, (sa femme est décédée l’an dernier) ne se trouvaient pas chez eux, leurs gardes du corps ont tiré sur les soldats, entraînant une riposte de ceux-ci. Au bout d’une heure d’échange de tirs, l’armée a gagné la partie, occupant la demeure et démantelant les installations de la radio. La version des habitants La seconde escale obligée de cette longue journée békaïote est l’école religieuse du Hezbollah. Située un peu en dehors de la ville, à quelques mètres de la caserne «cheikh Abdallah» de l’armée libanaise, donc en pleine zone militaire, elle consiste en un immense bâtiment blanc, aujourd’hui, sérieusement amoché. L’armée en interdit d’ailleurs l’accès, mais on peut apercevoir une série de voitures endommagées, dont la Mercedes 280 blindée de cheikh Toufayli. D’abord méfiants, les habitants finissent par raconter leur version des faits. Sans attaquer l’armée, ils cherchent néanmoins à trouver des excuses au cheikh. Selon certains d’entre eux, cette école avait été édifiée par les Iraniens et inaugurée par cheikh Toufayli alors secrétaire général du Hezbollah. Les habitants expliquent ainsi que depuis son exclusion du Hezbollah, le cheikh voulait faire un coup de force, en récupérant ce qui, selon lui, lui avait été arraché. Il en avait besoin d’autant que le parti intégriste lui avait coupé les fonds et il comptait organiser dans cette école une réunion de son conseil des sages. Avec une cinquantaine d’hommes armés, il arrive sur les lieux, vendredi vers 17 heures. Comme c’est la fête du Fitr, le bâtiment n’abrite que quelques étudiants. Toufayli les somme de s’en aller, mais ceux-ci alertent les responsables locaux du Hezbollah. Hajj Hussein Khalil, conseiller politique de Hassan Nasrallah, arrive alors sur place et tente de négocier avec les assaillants. En vain. Les étudiants et les responsables du Hezbollah se retirent. Une unité de l’armée, dirigée par le colonel Hussein Lakkis, arrive sur les lieux. Selon les habitants, alors que cheikh Toufayli est resté à l’intérieur, cheikh Khodr Tleiss entame des négociations avec le colonel. Les témoins précisent qu’à un certain moment, le ton est monté, Tleiss déclarant «puisque le Hezbollah s’est retiré, de quoi vous mêlez-vous?» et le colonel aurait répondu: «Vous avez contrevenu à la loi et vous menacez l’ordre public, vous devez partir...» Là, les versions commencent à diverger. Selon certains témoins, une troisième partie, à l’extérieur du bâtiment, aurait tiré sur les deux autres, provoquant immédiatement la mort de Tleiss, de l’officier Wehbé et du sergent Hajj. Cette troisième partie serait, selon les uns, le Hezbollah, et selon les autres, la fameuse cinquième colonne. Cette thèse aurait été lancée par Zayed Ismaïl qui se trouvait sur place et qui a été blessé pendant l’affrontement. Il est mort depuis. D’autres témoins estiment, au contraire, que lorsque le ton est monté, les partisans surexcités du cheikh auraient tiré et les soldats auraient immédiatement riposté. Bilan: 7 morts, dont l’officier et le sergent. Le troisième soldat a été tué au barrage de Ras el-Aïn, lorsqu’une voiture est passée vers 18h30 et a tiré aveuglément. Lorsque les combats se sont intensifiés, cheikh Toufayli en a profité pour s’enfuir, à pied, à travers les collines, avec quelques partisans. Il aurait aussitôt pris la direction de Brital, où il aurait été vu, vers 22h30. Mais à Baalbeck-même, les tirs se sont poursuivis pendant toute la nuit de vendredi à samedi et ils n’ont cessé qu’à 6h30. C’est alors que la population a commencé à sortir dans la rue et à s’enquérir des dernières nouvelles et la mort de Khodr Tleiss a été officiellement annoncée. Tleiss a longtemps été un personnage important au sein du Hezbollah, chargé du dossier Palestine. Il a été élu député en 1992, en tant que membre du Hezbollah. Mais il a pris ses distances avec le parti lorsqu’en 1996 celui-ci a rejeté sa candidature pour un nouveau mandat parlementaire. Il s’est alors rallié à cheikh Toufayli, originaire comme lui de Brital et parent proche, puisque leurs deux épouses sont sœurs. Tleiss n’avait pas un poste précis au sein du conseil des sages créé par cheikh Toufayli, dans la foulée de la «révolte des affamés», mais on le retrouvait toujours aux côtés du cheikh, ou sur le terrain, en train de parler à ses partisans. «Mort à Nasrallah» Sous le choc de la nouvelle, sa famille, la grande tribu Tleiss, a commencé par refuser de prendre possession de la dépouille (transportée à l’hôpital gouvernemental de Baalbeck). D’autant que l’armée avait arrêté les deux frères de Khodr Tleiss, Ziad (qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt car il est accusé d’avoir tué un officier, il y a quelques années) et Hussein. C’est alors que serait intervenu Bassam Tleiss, cousin germain de Khodr, et membre influent du mouvement Amal, cherchant à convaincre la famille de ne pas affronter l’armée et surtout de ne pas faire d’histoires. La famille a alors demandé que les frères soient relâchés et finalement, dimanche à 15h, Hussein Tleiss a pu assister aux funérailles de son frère... Entre-temps, l’armée a resserré son étau autour de Brital qui groupe quelque 35.000 âmes, dans le but de capturer cheikh Toufayli. La troupe a même menacé d’y entrer de force et les habitants ont aussitôt formé une délégation de notables qui aurait entrepris des contacts avec les députés de la région, mais aussi avec les commandements militaires libanais et syrien, afin d’éviter un coup de force contre le village. Tard en soirée, les contacts ont abouti à un accord provisoire visant à desserrer l’étau, pour permettre que se tiennent les funérailles de Tleiss. A 10h30, dimanche, un convoi de 100 voitures arrive à l’hôpital gouvernemental de Baalbeck pour prendre livraison de la dépouille de Khodr Tleiss. Peu de journalistes peuvent les photographier, car les soldats ont pris soin d’emmener la plupart des correspondants et photographes au QG de Rayak pour les empêcher de suivre cet événement. Selon des témoins, les occupants des voitures venus pour la plupart de Brital auraient fait des commentaires hostiles au gouvernement et au Hezbollah, avant de prendre le chemin du retour, leur convoi ayant grossi de plusieurs voitures, à leur tête l’ambulance portant en guise de fanion, le turban de cheikh Tleiss. Le long convoi, sans portraits, ni haut-parleurs, fait un long détour dans la ville, passant exprès devant le siège central du Hezbollah à Baalbeck et lançant de temps en temps des slogans vengeurs: «Mort à Nasrallah». Le convoi arrive à Brital vers 11h30, sans être fouillé par l’armée. Les funérailles sont prévues à 15h. Mais le barrage militaire à quelques kilomètres de l’entrée du village empêche les journalistes d’y assister. Les rares qui pourront le faire se rendront au village par des chemins secondaires ou sans décliner leur profession au barrage. Installée dans la husseynié du village, la famille reçoit les condoléances et espère l’arrivée des deux frères de Khodr Tleiss. Le début de la cérémonie est même retardé dans ce but. Et c’est un peu après 15h, que Hussein Tleiss arrive au village, très éprouvé par le drame. Les habitants se pressent dans les rues du village pour participer aux obsèques, mais tous évitent soigneusement d’attaquer l’armée. Leur cible est avant le Hezbollah, mais aussi le premier ministre, le chef de l’Etat et le ministre de la Défense. Pourtant, en dépit de la foule, le mot d’ordre est visiblement à l’apaisement. Aucun officiel ne participe à la cérémonie, exceptés deux représentants du mouvement Amal: Moustapha Siblini et Mohamed Ayoub, ainsi que l’ancien ministre baassiste, M.Fayez Chokr. Il y a aussi un représentant de sayyed Mohamed Hussein Fadlallah, Hajj Dib Ayoub, et l’ancien député, Séoud Roufayel. Il y a aussi une cinquantaine d’ulémas, dont cheikh Mohamed Mrad qui dirigera la cérémonie. Jusqu’à la dernière minute, les présents pensent que cheikh Toufayli fera une apparition, mais la famille redoute sa présence et lui aurait déconseillé de venir pour ne pas provoquer l’armée. La cérémonie se déroule dans un calme spectaculaire, comme si la foule, essentiellement des hommes et des femmes en noir, retient son souffle. Khodr Abou Nouar Tleiss, un cousin de la victime, prononce un discours au nom de la famille et des habitants du village. Le ton en est d’une modération étonnante. Tleiss va même jusqu’à dire que «c’est la même balle qui a tué le lieutenant Wehbé et cheikh Khodr Tleiss. Elle a été tirée par une troisième partie qui voulait semer la discorde et faire échouer les négociations entre le cheikh martyr et l’armée...». Selon les présents, c’est une allusion claire au Hezbollah, que les partisans de cheikh Toufayli rendent responsables de ce qui s’est passé. Le parti islamique, qui recrutait jadis sa base principalement dans la région de Baalbeck-Hermel, est désormais détesté par les hommes du cheikh, qui le considèrent comme leur principal ennemi. Il faudra du temps pour que les blessures se cicatrisent et il faudra surtout connaître l’issue de la campagne de recherche menée par l’armée pour arrêter cheikh Toufayli. S’il continue à errer en liberté, c’est que l’homme peut encore jouer un rôle et creuser le fossé. Mais s’il est arrêté, sa révolte aura tourné court, même s’il continuera à y avoir des affamés au Liban. Scarlett HADDAD
L’homme qui, il n’y a pas si longtemps encore, déclarait à la presse «je souhaite mourir, tant ce qui se passe est dégoûtant» est désormais en cavale. Cheikh Sobhi Toufayli est depuis vendredi soir en fuite, dans le jurd de Brital qui s’étend jusqu’à la frontière syrienne, avec un groupe de fidèles combattants. Qu’est-ce qui a donc poussé le «cheikh des...