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Actualités - OPINION

Coup de jeune

Aux blasés, aux résignés, aux éteints que nous sommes peut-être devenus — ou que l’on s’ingénie scientifiquement, méthodiquement, à faire de nous — c’est un grisant avant-goût de «printemps de Beyrouth» que viennent de donner, en plein mois de décembre, les jeunes du Liban. Se tromperait lourdement, en tout cas, quiconque persisterait à méconnaître l’énorme potentiel de toutes ces forces vives qui se sont très nettement exprimées durant la semaine écoulée.
Unis pour protester contre les atteintes répétées aux libertés publiques, les étudiants ont, pour commencer, donné une belle leçon de solidarité active à leurs aînés encroûtés dans leur train-train quotidien, ou bien prisonniers de leurs allégeances communautaires ou claniques . Chrétiens ou musulmans en effet, issus de familles aisées ou à revenu modeste, nos jeunes sont plus ouverts au monde extérieur que nous ne l’avons jamais été. A l’ère du P.C., du Web et du satellite, ils sont les premiers témoins des injustices et atrocités qui, en cette fin de millénaire, continuent d’être commises aux quatre coins de la Planète: les premiers aussi à voir s’effondrer les murs les plus épais; en un mot comme en mille, ils sont les plus naturellement initiés aux énormes pouvoirs d’une communication devenue le maître mot du jargon de la modernité. Plutôt que de gloser sur la question les jeunes, eux, parce qu’ils étaient puissamment motivés, sont passés à la pratique.
Et ils ont gagné, roulant dans la farine ceux qui prétendaient la régenter à leur guise et selon leurs intérêts, cette sacrée communication, bravant les interdits et réinstituant, par leur juvénile audace, un droit de manifester garanti par la constitution mais qu’avait confisqué le gouvernant . Ils ont gagné oui, projetant à leur tour dans ce grand village qu’est désormais le monde, l’image d’un profond malaise libanais qui ne trouble pas trop pourtant le sommeil des Puissances, sous le commode prétexte que le canon s’est enfin tu au Liban.
Cette victoire, il convient maintenant de la sauvegarder. De la protéger contre les intimidations des uns et les procès orchestrés des autres, mais aussi contre les dérives auxquelles risque d’être entraîné, s’il n’y prend garde, le mouvement étudiant lui-même. Que nombre de manifestants aient brandi des portraits tabous ou scandé des slogans hostiles à la Syrie ne doit pas être seulement bien sûr, pour la caste dirigeante, l’occasion de protester avec vigueur, à l’unisson, de sa fidélité à toute épreuve pour Damas : c’est à prendre la mesure de frustations aussi vivaces que devrait s’employer plutôt tout responsable digne de ce nom. Les étudiants, eux, sont tenus de constater — et de n’oublier à aucun moment, sans renier le moins du monde pour autant leurs opinions et sympathies propres — qu’aucun portrait, aucun slogan, surtout s’il est forcément utopique dans la conjoncture actuelle, surtout s’il implique des guerres dont la seule évocation suscite l’horreur de tous, ne peut valablement leur tenir lieu de programme d’action cohérent et global.
Il ne leur faut pas perdre de vue, non, que la flamme qui a volé de campus en campus, c’est celle de la liberté, une liberté qui appartient à tous, une liberté trop précieuse pour être circonscrite à des effigies, à des noms . C’est cette soif de liberté qui a uni dans un même combat la population universitaire, l’élite de demain. C’est elle, et elle seule, qui permettra aux étudiants de pousser leur avantage, d’amplifier leur action avec le concours des hommes de bonne volonté, en évitant les deux écueils qui les guettent : les interférences occultes, lesquelles ont fini par avoir raison du syndicalisme libanais; et les dissensions partisanes, politiciennes, cet ennemi du-dedans .
Le printemps ? De grâce pas trop vite au placard, les parkas !
Issa GORAIEB

Aux blasés, aux résignés, aux éteints que nous sommes peut-être devenus — ou que l’on s’ingénie scientifiquement, méthodiquement, à faire de nous — c’est un grisant avant-goût de «printemps de Beyrouth» que viennent de donner, en plein mois de décembre, les jeunes du Liban. Se tromperait lourdement, en tout cas, quiconque persisterait à méconnaître l’énorme...