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Actualités - REPORTAGE

Au cours du débat parlementaire, hier, sur l'organisation des municipales Nominations : Berry et Hariri font marche arrière La chambre vote une amnistie des crimes antérieurs à 1995 liés à la drogue (photo)

Le gouvernement a retiré son projet de nommer une partie des conseillers municipaux, sans le retirer. Bizarre mais vrai. Pendant que le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, soulignait son attachement au principe très contesté des désignations, au cours de la réunion parlementaire d’hier, le bloc parlementaire qu’il préside annonçait qu’il est pour l’organisation des élections municipales «sur l’ensemble du territoire libanais», à l’exception bien sûr de la bande frontalière où les caïmacam continueront d’expédier les affaires incombant à ces conseils. Retour donc à la case départ: en dépit du débat qui a eu lieu autour des municipales et du mécanisme du scrutin, l’affaire ne sera pas tranchée sans un retour au chef de l’Etat, M. Elias Hraoui, et au Conseil des ministres. Plusieurs ministres-députés n’étaient pas présents à la réunion qui était supposée être la dernière de l’année. De surcroît, le procédé suivi par M. Hariri pour annoncer qu’il n’y aura pas de nominations, a irrité le président Hraoui qui reproche vivement au chef du gouvernement d’avoir voulu récupérer une décision prise pourtant par la «troïka» (ressuscitée), tout en faisant semblant de ne pas y adhérer.
Depuis mardi soir déjà, les milieux proches des trois pôles du Pouvoir ont laissé filtrer les informations relatives à l’annulation des nominations, dans une tentative évidente de désamorcer la tension qui règne dans le pays à cause de l’affaire de la MTV et des événements qui l’ont entourée. C’est, du moins, l’explication qu’on donne de sources ministérielles. Ce rebondissement dans l’affaire des municipales a fait au moins deux mécontents, quoique pour des raisons différentes, le président Hraoui et le ministre de l’Intérieur, M. Michel Murr, lâché sans états d’âme par un Pouvoir qui lui avait demandé de défendre jusqu’au bout un projet dont il n’était pas convaincu, dit-il. Visiblement énervé, M. Murr devait expliquer devant l’Assemblée les raisons pour lequelles il avait dû soutenir un principe auquel il était opposé.
Avant l’ouverture de la réunion — consacrée à l’examen de quatre textes de loi dont le projet des municipales et une amnistie des crimes liés à la drogue — le chef du Législatif convoque les journalistes accrédités à la Chambre pour leur annoncer l’ouverture de la voie de passage de Kfarfalous ce matin et les résultats de la réunion que son bloc parlementaire «de la libération et du développement» avait tenue un peu plus tôt, sous sa présidence. Entouré des députés Samir Azar et Sleiman Kanaan (Jezzine), M. Berry annonce que son bloc a décidé d’appuyer l’organisation d’«élections municipales libres et démocratiques à 100% dans toutes les régions libanaises à l’exception de la bande frontalière». Selon lui, cette décision «fait suite à l’opposition populaire ascendante aux nominations».
La séance est à peine ouverte que le député Khatchig Babikian se lève pour lire au nom du «bloc de la décision nationale» de M. Hariri un communiqué reprenant les mêmes idées développées par le chef du Législatif. Selon le bloc, le débat autour des municipales «menace de diviser les rangs nationaux à la veille d’élections qui doivent avant tout mettre en évidence le caractère démocratique du système au Liban». M. Babikian indique que le «bloc de la décision nationale apprécie les motifs qui avaient dicté l’insistance sur le principe des nominations, mais estime que les exigences de l’unité nationale, dans les circonstances actuelles, commandent que les élections soient organisées partout au Liban». C’est ce paragraphe en particulier qui aurait irrité le chef de l’Etat, selon des sources ministérielles.

Méfiance

Une fois le communiqué lu, on applaudit. Mais on se méfie aussi. M. Boutros Harb demande à savoir si le gouvernement est effectivement revenu sur son projet de loi et tout de suite après le chef du Législatif ouvre la voie à un débat autour du procédé qui doit être suivi pour organiser les élections «conformément aux exigences de l’entente nationale», motif invoqué jusqu’à hier pour justifier les nominations. «Je sais que lorsqu’on parle d’élections, cela signifie qu’il y a un gagnant et un perdant. On propose toutefois qu’on fasse attention aux villages aux populations déplacées. On suggère aussi qu’on tienne compte de la répartition communautaire répercutée par les listes électorales pour répartir les sièges municipaux. Il se peut même qu’il y ait d’autres propositions», note-t-il. En fait, plusieurs députés se prononceront pour des élections organisées sur base de la proportionnelle.
Prenant la parole, M. Hariri affirme son attachement au projet du gouvernement, précisant qu’il n’a pas pris part à la réunion de son bloc.
A son tour, M. Michel Murr intervient pour expliquer ce qui s’était passé au cours des derniers mois et rappeler sa position de principe. Il laisse entendre qu’il a été induit en erreur par le gouvernement. M. Murr était chargé, au nom de l’Exécutif, de défendre le projet des nominations. «Alors que je n’en étais pas convaincu», fait-il remarquer. «On me demande de renoncer au projet du gouvernement et de revenir au premier texte, que j’avais d’ailleurs moi-même présenté au Conseil des ministres et qui retient les résultats des municipales de 1963 comme base pour le scrutin de l’année prochaine. J’étais contre les nominations, contrairement au gouvernement et j’ai dû donc suivre le courant. Mon bloc (parlementaire) s’est rangé de mon côté. Lorsque j’ai réalisé en commissions l’opposition parlementaire aux nominations, j’ai voulu consulter le Conseil des ministres et les chefs de l’Etat et du gouvernement m’ont demandé de continuer de défendre le projet. Je le défends depuis 3 mois sans en être convaincu et, aujourd’hui, je suis surpris d’entendre dire dans un style recherché qu’on ne veut plus des nominations. Que Dieu pardonne à M. Babikian, venu nous donner des leçons de démocratie».
«C’est un soulèvement au sein du Conseil des ministres», ne peut s’empêcher de commenter Mme Moawad. Le ministre poursuit en soulignant toujours la nécessité de maintenir l’entente nationale dans l’organisation des élections. «Comment, en tant que gouvernement, pourrions-nous encore parvenir à convaincre l’opinion publique?» s’interroge-t-il, jugeant «anormal» d’organiser le scrutin sans garde-fous. M. Murr se dit prêt à assurer l’organisation des municipales sur base des résultats des élections de 1963.
Des applaudissements ponctuent le mot de la fin et le président Berry lève la séance qui reprendra à 18 heures, sur fond de slogans hostiles au Pouvoir et à la Syrie lancés par de jeunes manifestants aounistes. Premier à prendre la parole, M. Tammam Salam salue le ministre de l’Intérieur pour avoir «activement participé aux travaux des commissions qui planchaient sur le projet de loi des municipales et pour avoir en toute sincérité annoncé ses convictions et le rôle qu’il jouait». Il note ensuite que «le gouvernement ne peut pas agir comme s’il accordait une faveur au peuple». Mme Moawad, le président Sélim Hoss, ainsi que le ministre de l’Agriculture, M. Chawki Fakhoury, réclament l’organisation du scrutin sur base de la proportionnelle, formule susceptible, selon eux, d’assurer l’équilibre national souhaité.
Nul ne se doute, lorsque M. Fakhoury prend la parole, que c’est le chef de l’Etat qui s’exprime à travers lui, devant la Chambre. Le ministre est, comme on le sait, très proche du président Hraoui. Il défend longuement le projet des nominations, estimant que lorsque le gouvernement l’avait adopté «ce n’était pas pour assurer des sièges à ses partisans au sein des conseils municipaux mais pour tenir compte des propos du président Hoss au sujet de la préservation de l’entente nationale». M. Fakhoury lit le texte intégral d’une déclaration de M. Hoss mettant en garde contre des municipales qui déboucheraient sur un déséquilibre communautaire, portant ainsi un coup à l’entente nationale. Il note ensuite que le président Hraoui avait appuyé ce projet parce qu’il avait vu qu’il était «le moyen le plus simple de préserver l’équilibre communautaire». Le ministre met en garde contre un saut dans l’inconnu soulignant la nécessité d’établir des garde-fous aux élections qu’il a présentées comme étant sans cela, «une aventure qui déboucherait sur une regrettable impasse». M. Fakhoury insiste sur le point selon lequel la situation n’est toujours pas très solide dans le pays. «Nous avons été élus au parlement sur des bases confessionnelles, les postes administratifs sont répartis sur les mêmes bases. Nous tournons dans un cercle communautaire, voire confessionnel», fait-il valoir avant de demander l’organisation du scrutin sur base de la proportionnelle et de proposer que le Conseil des ministres se réunisse pour se prononcer sur la question.
Le chef du gouvernement répond en précisant que la question ne peut pas être tranchée rapidement, en raison de concertations qui doivent être effectuées avec les responsables politiques et le chef de l’Etat. M. Berry propose que le Conseil des ministres se réunisse aujourd’hui, mais le chef du gouvernement rappelle que le gouvernement sera pris par les entretiens prévus avec le ministre chinois des Affaires étrangères. Le gouvernement pourrait donc se réunir demain.

L’amnistie

Auparavant dans la matinée, l’examen de la proposition de loi revêtue du double caractère d’urgence et amnistiant les crimes relatifs au trafic de drogue a bien failli ravir la vedette au débat autour des municipales. En dépit d’une forte opposition parlementaire, le texte a été approuvé sous une forme amendée, étendant jusqu’à fin 1995 les effets de cette amnistie et aggravant les sanctions pénales en cas de récidive.
La proposition de loi, élaborée par le président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, M. Chaker Abou Sleiman, et cosignée par 10 députés de la Békaa, fera l’objet d’un débat de plus de deux heures. Pointilleux, les parlementaires soulèvent nombre de questions d’ordre légal. Il est difficile de ne pas remarquer à quel point les chefs du Parlement et du gouvernement tiennent à ce que le texte soit voté. Et s’ils acceptent la proposition d’étendre les effets du texte jusqu’au 31/12/1995 au lieu du 31/12/1992, date initialement prévue dans le texte, ils opposent une fin de non-recevoir à une autre, présentée notamment par M. Abou Sleiman, et prévoyant le report de l’examen du texte jusqu’à ce que le projet de loi relatif à la culture, la fabrication et l’usage de la drogue soit soumis au Parlement.
Selon des sources parlementaires, M. Abou Sleiman a soumis ce texte en début de semaine à la présidence de la Chambre qui n’a pas voulu l’inscrire à l’ordre du jour de la réunion arguant du fait que les députés n’auront pas le temps d’étudier une loi de plus de 150 pages. Le report a été suggéré parce que M. Hariri a proposé d’amender le texte de manière à aggraver la peine infligée en cas de récidive, alors que le projet de loi relatif aux stupéfiants prévoit également des sanctions pénales.
Le ministre du Tourisme, M. Nicolas Fattouche, ainsi que MM. Boutros Harb et Hussein Husseini soulèvent le problème du double emploi non seulement avec le projet de loi que la commission de l’Administration et de la Justice a achevé d’étudier, mais avec le texte du Code pénal au cas où la proposition de M. Hariri serait retenue. Le chef du gouvernement voulait multiplier par deux le temps de détention, proposant que les récidivistes purgent une peine supplémentaire de 15 ans en prison. «Toute amnistie a des répercussions dangereuses sur la société», explique-t-il en début de séance pour justifier l’aggravation de la peine. Le texte de loi, composé de deux articles seulement, précise seulement qu’un récidiviste perd son droit à l’amnistie. Celle-ci s’étend à tous les crimes liés au trafic de la drogue, quelle que soit leur nature et qu’ils soient de la compétence des tribunaux civils ou militaires, à condition qu’ils soient commis avant fin décembre 1992.
Devant l’insistance de M. Hariri à alourdir les peines, il faut voir toutefois un autre mobile. Le vote de cette proposition de loi en commission avait suscité des remous dans certains Etats occidentaux où l’on a cru que le Liban faisait preuve de tolérance à l’égard des trafiquants de drogue. Ce quiproquo avait entraîné une mise au point de M. Abou Sleiman. Aujourd’hui, le chef du gouvernement veut montrer que le Liban est excessivement sévère avec les trafiquants de drogue.

Avec lui, M. Berry fait tandem. Le président de la Chambre défend, lui, l’aspect social et économique du problème, un aspect qui semble secondaire pour un groupe de députés. Mme Nayla Moawad note que des usines de traitement des stupéfiants fonctionnent toujours, sans que personne n’ose s’en prendre à elles. M. Issam Farès juge que les crimes liés à la drogue «sont pires que les assassinats» et qu’«il ne faut pas faire preuve d’indulgence dans ce dossier». Jugeant inopportune et vague l’expression «quelle que soit la nature de ces crimes liés à la drogue», il propose un retour à la loi d’amnistie de 1991. Dès que la Chambre commence à examiner le texte, il se retire de l’hémicycle et tient une conférence de presse pour expliquer son point de vue. Son collègue Marwan Hamadé estime que l’approbation de ce texte affectera la réputation du Liban à l’étranger. MM. Hamadé, Tamman Salam, Antoine Haddad et Anouar el-Khalil approuvent la proposition de report.

Le président Berry plaide ardemment une première fois contre cette amnistie qui doit englober quelque 31.200 personnes poursuivies depuis 1992 pour culture et trafic de drogue. Mais l’opposition parlementaire se poursuit, tenace et résistante. Loin de se déclarer vaincu, M. Berry cède son siège au vice-président de la Chambre, M. Elie Ferzli, pendant qu’il harangue les députés à partir de la tribune réservée à ces derniers. Il précise que c’est le 31/12/1995 qu’il a été officiellement annoncé que la culture du haschich et du pavot a été complètement éradiquée dans le Békaa, précisant que l’amnistie de 31 200 crimes constituera un moyen dissuasif contre la culture et le trafic de la drogue. Il insiste sur l’état d’abandon de la Békaa et la mentalité tribale qui y règne depuis l’indépendance jusqu’aujourd’hui. «Nous avions semé le vent. Il est donc normal que nous récoltions la tempête. La culture de la drogue drainait non moins de deux milliards à nos frères dans la Békaa. Qu’ont-ils aujourd’hui en échange. Même pas une terre irriguée, quoique l’Oronte traverse le Hermel du nord au sud» note-il. «La Turquie a obtenu 1 milliard 600 mille dollars en échange de l’éradication de ces cultures et le Maroc 840 millions de dollars. Les deux relèvent que ces sommes sont insuffisantes. Le Liban n’a rien demandé à part le développement de la Békaa d’autant que les rapports de l’ONU insistent sur les cultures de substitut», ajoute M. Berry précisant que le secrétaire d’Etat adjoint américain, M. Martin Indyk, avait confirmé mardi que son pays a l’intention de financer pour 15 millions de dollars des projets de développement dans les parties déshéritées du pays.
Plaidant pour un alourdissement des peines en cas de récidive, le chef du Législatif affirme que le but de l’Etat «n’est pas seulement de tourner la page des cultures interdites, mais de traiter le cas des personnes victimes de ce fléau». Il souligne qu’il sera impossible d’atteindre cet objectif en présence de 31 200 mandats d’arrêt. «C’est comme si la Békaa dans son ensemble est poursuivie».
Le texte est finalement voté après que les ministres de la Justice et du Tourisme, MM. Bahige Tabbarah et Nicolas Fattouche, ainsi que le député Mohamed Youssef Beydoun eurent précisé que les récidivistes purgeront une peine de 3 à 7 ans de prison au minimum et de 7 à 15 ans au maximum. La loi n’est plus ainsi en contradiction avec le code pénal. Mais MM. Tabbarah et Harb n’obtiennent pas de réponse à la question qu’ils avaient posée sur le point de savoir pourquoi seuls les crimes liés à la drogue doivent être amnistiés. «Ce que le Parlement étudie aujourd’hui est très dangereux. Pourquoi l’émission de chèques sans provision n’est-elle pas amnistiée, contrairement aux crimes liés à la drogue et dont certains sont très graves. Ne va-t-on pas en prison pour un chèque de 50 000 LL sans provision», interroge M. Tabbarah. Les seuls à voter contre cette loi sont Mme Moawad et MM. Nassib Lahoud, Boutros Harb, Camille Ziadé, Sélim Hoss et Talal Merhébi.
Le projet de loi autorisant le gouvernement à conclure avec Tokyo un accord de prêt devant financer des projets visant à limiter la pollution du littoral et à installer un nouveau réseau d’égouts et de canalisations d’eau, au niveau des principales villes côtières, est voté en tant qu’article unique. Auparavant, les députés Mohamed Fneich, Hussein Husseini, Ahmed Soueid, Mahmoud Awad, avaient soulevé le problème du développement équilibré des régions et mis l’accent sur l’état d’abandon dans lequel la partie nord du pays et la Békaa se trouvent. MM. Fneich, Husseini et Soueid déplorent en outre l’indifférence de l’Etat vis-à-vis du développement de la bande frontalière. Le Parlement vote ensuite un projet d’amendement de la loi relative à la création du ministère de l’Environnement et poursuivra, lundi, le débat sur les municipales.

Tilda Abou RizK
Le gouvernement a retiré son projet de nommer une partie des conseillers municipaux, sans le retirer. Bizarre mais vrai. Pendant que le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, soulignait son attachement au principe très contesté des désignations, au cours de la réunion parlementaire d’hier, le bloc parlementaire qu’il préside annonçait qu’il est pour l’organisation des...