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Actualités - CHRONOLOGIE

Face à l'opposition parlementaire et à la vague de protestations estudiantines Le gouvernement jette du lest Le principe des nominations des conseillers municipaux abandonné

La cohérence n’étant pas le point fort du pouvoir actuel, ce qui était acquis il y a seulement quelques jours — les nominations au sein de certains conseils municipaux — a subitement été abandonné en l’espace de vingt-quatre heures par les blocs parlementaires du chef du Législatif Nabih Berry et du premier ministre Rafic Hariri. Et comme le dysfonctionnement des institutions constitutionnelles est devenu la règle générale, le Parlement a suspendu hier, jusqu’à lundi, le débat sur les municipales, dans l’attente d’un nouveau consensus entre les pôles de la «troïka» au sujet de ce dossier . Le Conseil des ministres tiendra dans les quarante-huit heures une réunion extraordinaire au palais de Baabda afin de définir les grandes lignes de la solution de rechange qui sera adoptée en lieu et place du projet des nominations. Cette solution de rechange sera élaborée de manière à tenir compte des impératifs de l’équilibre confessionnel au sein des prochains conseils municipaux.

Pour quelles raisons MM. Berry et Hariri ont-ils subitement abandonné le principe des nominations alors que le gouvernement a mené au cours des derniers mois une campagne sans relâche afin de faire approuver le projet en question? Visiblement, le pouvoir a été poussé à jeter du lest sur ce plan sous la pression d’un ensemble de facteurs.
Un fort courant parlementaire s’est d’abord manifesté ces derniers jours contre les nominations prônées par le gouvernement (sous le prétexte de sauvegarder l’équilibre confessionnel dans certains conseils municipaux). Mais les mots d’ordre et les coups de baguette magique ayant en général plus d’effets que les opinions exprimées au sein de l’Assemblée, cette contestation parlementaire ne suffit pas à elle seule pour expliquer la volte-face du pouvoir.
Selon des sources généralement bien informées (proches de M. Hariri), les responsables officiels auraient reçu récemment des «messages» américains et français discrets, concernant le caractère antidémocratique des nominations au sein des conseils municipaux. Force est de rappeler dans ce cadre que dans son message adressé au président Hraoui à l’occasion du 22 novembre, le président Bill Clinton avait émis l’espoir que les Libanais pourront bénéficier d’élections «présidentielles et municipales» libres l’an prochain. Cette question aurait également été évoquée lors des derniers entretiens que le patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir, a eus au début du mois à Paris avec les dirigeants français.
Parallèlement à ces conseils américains et français (s’ils se confirment), il n’est pas exclu que le revirement du pouvoir concernant le projet des nominations soit dû également au climat général créé dans le pays par le mouvement de grèves et de sit-in enclenché depuis le début de la semaine par les étudiants pour protester contre l’interdiction de l’interview du général Michel Aoun et la répression musclée de la manifestation qui avait été organisée dimanche dernier à Achrafieh à la suite de cette mesure arbitraire prise par le ministère de l’Information.
Ce mouvement estudiantin — qui a été amplifié par des grèves symboliques et des prises de position en flèche adoptées par les Ordres des avocats, des ingénieurs et des médecins — a rapidement fait tache d’huile. Dépassant le cadre étroit de l’épisode de l’interview avortée du général Aoun, il a, en effet, pris l’ampleur d’une fronde qui s’est étendue à la plupart des campus universitaires du pays, non seulement dans les régions Est, mais également dans la partie Ouest de la capitale ainsi que dans certaines régions périphériques (notamment à Balamand, à Jbeil et au Kesrouan). Même certaines écoles se sont jointes hier au mouvement.

Un profond sentiment
de malaise

Ce vaste mouvement de protestation représente plus qu’un simple saut d’humeur de jeunes enflammés. Il reflète plutôt le profond sentiment de malaise, de frustration et de désarroi qui s’est emparé des forces vives de la société civile du fait des violations des libertés publiques, du manque d’autonomie du pouvoir central, et de la gestion des affaires publiques.
Face à l’ampleur de la fronde menée par les étudiants et par les Ordres des professions libérales, le gouvernement a dû, semble-t-il, jeter du lest sur plus d’un point: il a fait libérer les personnes interpellées dimanche dernier; il a été contraint d’accepter (sans doute à contrecœur) que la décision d’interdire les manifestations soit brisée (comme ce fut le cas hier soir à la faveur de l’importante manifestation organisée par les étudiants devant le Parlement); et, enfin, il a cédé sur le plan du projet des nominations qu’il avait défendu farouchement au cours des derniers mois.
En plus de ces différents facteurs, il n’est pas exclu que la volte-face du pouvoir au sujet des nominations soit due également aux tiraillements et à la lutte d’influence entre les pôles de la «troïka». Selon certaines sources loyalistes (proches de Koraytem), la décision de M. Hariri de retirer son appui au principe des nominations serait en quelque sorte une «riposte» à la prise de position du président Hraoui concernant l’affaire de l’interview du général Aoun. Le chef de l’Etat, rappelle-t-on, avait critiqué la décision du ministère de l’Information d’interdire l’interview en question.
Suite à l’attitude du président Hraoui sur ce plan, M. Hariri aurait pris l’initiative, selon les sources susmentionnées, de se faire le champion de la démocratie en rejetant purement et simplement (par le biais de son bloc parlementaire) le principe des nominations. M. Berry a aussitôt emboîté le pas en adoptant (lui aussi par le biais de son bloc parlementaire) une attitude similaire.
La position de MM. Berry et Hariri a été vue d’un très mauvais œil par le président Hraoui. Et pour cause: sous la pression de l’ensemble des facteurs précités (l’opposition parlementaire, les conseils américains et français, et le climat créé par la fronde des étudiants et des Ordres professionnels), les pôles de la «troïka» seraient convenus au cours des dernières quarante-huit heures d’abandonner le projet des nominations et de plancher, de concert, sur une solution de rechange qui prendrait en considération les impératifs de l’équilibre confessionnel, tout en respectant le jeu électoral pour la désignation des conseils municipaux.
En annonçant hier, sans concertations préalables avec Baabda, leur rejet des nominations, MM. Berry et Hariri ont paru ainsi passer outre aux impératifs de l’équilibre confessionnel. Le président Hraoui n’a pas caché son irritation à ce propos. Reflétant le point de vue de Baabda à ce sujet, le ministre Chawki Fakhoury devait souligner hier après-midi à la Chambre que le projet des nominations devrait être remplacé par une solution susceptible de prévoir des «garde-fous» ou des garanties pour sauvegarder l’équilibre confessionnel au sein des conseils municipaux. Le chef de l’Etat a exposé son argumentation sur ce plan au cours d’un entretien qu’il a eu en début de soirée avec le vice-premier ministre Michel Murr.
A son retour au Parlement — où les députés avaient repris leur débat sur la question — M. Murr devait indiquer au premier ministre que le président Hraoui était particulièrement irrité face à la tournure prise par les événements. M. Hariri est aussitôt entré en contact par téléphone avec Baabda, et il a été convenu au cours de cet entretien que l’examen de l’ensemble du projet par le Parlement serait gelé, dans l’attente d’un accord entre les pôles de la troïka. Un accord qui devrait être entériné dans les quarante-huit heures au cours d’un Conseil des ministres extraordinaire. La solution envisagée consisterait à fixer la composition des conseils municipaux proportionnellement au nombre d’électeurs de chaque communauté. Une telle option se heurterait toutefois à l’opposition farouche de M. Walid Joumblatt qui appréhende qu’un tel choix ne soit particulièrement préjudiciable à la communauté druze.
Ces intérêts contradictoires ainsi que les manœuvres politiciennes des pôles d’influence officiels ont incité hier certains observateurs (dont notamment M. Najah Wakim) à exprimer la crainte que les élections municipales soient en définitive carrément torpillées. Le vaste et important mouvement de protestation dont le pays a été le théâtre cette semaine aurait-il été considéré comme de mauvais augure par le pouvoir? Cela n’est pas à exclure. Mais les hautes sphères auraient sans doute tort de ne pas réfléchir sérieusement à la portée et à la signification profonde de la fronde enclenchée par les étudiants et les Ordres des professions libérales. Il serait en effet particulièrement déplorable de ne pas tirer les leçons des événements des cinq derniers jours.
Michel TOUMA
M.T.
La cohérence n’étant pas le point fort du pouvoir actuel, ce qui était acquis il y a seulement quelques jours — les nominations au sein de certains conseils municipaux — a subitement été abandonné en l’espace de vingt-quatre heures par les blocs parlementaires du chef du Législatif Nabih Berry et du premier ministre Rafic Hariri. Et comme le dysfonctionnement des...