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Actualités - CHRONOLOGIE

Le gouvernement sous le feu des critiques pendant la séance nocturne Les libertés et la justice au centre des débats parlementaires

«Il y a une volonté du gouvernement d’interdire les programmes politiques sur les télévisions privées», accusent les opposants. «Cela est absolument hors de question», se défend le gouvernement. Les questions de la liberté de l’information et de l’indépendance de la justice étaient au centre de la séance d’interpellations dont la partie nocturne s’est transformée en débat de politique générale. MM. Boutros Harb et Najah Wakim se sont partagé la tâche. Le premier s’est occupé du dossier de la liberté et le deuxième de celui de la justice. Et tous deux ont donné du fil à retordre aux ministres concernés, MM. Bassem el-Sabeh et Bahige Tabbarah. Et bien que les sujets évoqués soient particulièrement délicats, aucune altercation grave n’a eu lieu. La Chambre tiendra aujourd’hui une séance essentiellement consacrée au projet de loi sur les élections municipales.

C’est sous le signe de l’économie que la séance d’hier s’est ouverte à 10h30. Est-il vrai que le projet de réaménagement de l’AIB va coûter plus cher que prévu et pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas divisé les travaux en tranches étalées sur plusieurs années?, demande M. Hoss. Le président Rafic Hariri assure que, «pour le moment», la somme de 400 millions de dollars prévue pour le gigantesque chantier (un des plus grands du pays) ne devrait pas être dépassée. Il laisse cependant entendre que les entrepreneurs pourraient réclamer une rallonge. Le chef du gouvernement précise en outre que les travaux accusent un certain retard dû aux problèmes causés par les expropriations et par le choix de la qualité des matériaux utilisés.
L’atmosphère est détendue. Ministres et parlementaires échangent des formules de courtoisie et semblent avoir oublié que le gouvernement a aboli, il y a deux mois, tous les titres hérités de l’empire ottoman.

7400 marques de
médicaments

MM. Nassib Lahoud et Hussein Husseini soulèvent la question du BOT (Build-operate-transfer). M. Husseini estime que cette formule est «illégale et anticonstitutionnelle» parce qu’elle consiste à confier au secteur privé des institutions du secteur public.
Le problème du bureau des médicaments est soulevé par M. Ismaïl Sukariyé, député de la Békaa, qui proteste vivement contre le fait que cet organe n’a jamais été activé malgré les promesses. Il réclame que le voile soit levé sur le sort du décret d’application. M. Hariri promet de faire le nécessaire pour activer cet organe qui permettra de faire baisser les prix des médicaments. Le ministre de la Santé, M. Sleiman Frangié, intervient à son tour pour dire qu’il y a au Liban environ 7400 marques de produits pharmaceutiques enregistrés au ministère, alors que dans d’autres pays, ce nombre est beaucoup plus réduit. «Si la Chambre est prête à en assumer la responsabilité, je suis disposé à supprimer 5000 marques de médicaments», dit-il. Brouhaha dans l’hémicycle. Les députés prennent visiblement les propos de M. Frangié comme un défi. «Oui, allez-y. N’hésitez pas», crient certains parlementaires. Mais l’affaire en reste là.
La décision du classement d’un certain nombre de biens-fonds à Tyr suscite un débat intéressant entre le ministre de la Culture et de l’Enseignement supérieur, M. Fawzi Hobeiche et M. Ali el-Khalil, qui indique que les propriétaires de ces biens-fonds sont lésés parce qu’ils ne peuvent pas les vendre où les louer. Le ministre précise que la décision a pour but de protéger les richesses archéologiques. «Il y a deux solutions: soit libérer les terrains, soit les exproprier» (L’expropriation coûterait au trésor 20 milliards de livres). «L’idéal serait d’attendre la venue au Liban en mars du secrétaire général de l’Unesco, M. Federico Mayor, pour examiner les propositions qu’il pourrait avancer pour régler ce problème et pour voir l’importance des aides qu’il pourrait offrir», a-t-il déclaré.

«Les milices de Solidere»

Comme d’habitude, c’est M. Najah Wakim qui met le feu aux poudres. Il interpelle le gouvernement au sujet «de la prise d’assaut par les milices de Solidere de l’immeuble Khayat à Tabaris». Il accuse la société de reconstruction du centre-ville d’avoir exercé toutes sortes d’intimidations contre les habitants de cet immeuble dans le but de les obliger à quitter les lieux, alors que l’affaire était devant les tribunaux. Devant la ténacité des habitants, «les milices de Solidere, appuyées par les agents du commissariat du coin, ont investi les lieux, battu les habitants et démoli les bureaux», affirme-t-il.
A cet instant, M. Hariri se lève pour quitter la salle comme il le fait souvent quand M. Wakim prend la parole. «Ce que je dis concerne le chef du gouvernement car je possède des informations indiquant qu’il a lui-même donné l’ordre pour que l’immeuble soit investi. Je ne poursuivrai pas tant qu’il ne regagne pas son siège», déclare le député. Mais M. Hariri poursuit son chemin et c’est le ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah, qui se charge de répondre à M. Wakim. Il précise que, conformément à un décret promulgué en 1992, Solidere est devenue propriétaire de tous les biens-fonds du centre-ville et que les montants des indemnités versées aux propriétaires et aux locataires ont été fixés par des commissions d’estimation. «Tout litige est examiné par les tribunaux compétents et l’affaire de l’immeuble Khayat fait partie de ces litiges», précise-t-il. M. Tabbarah ajoute que Solidere l’a informé qu’elle a tenté de faire évacuer l’immeuble Khayyat avec l’aide des forces de l’ordre conformément à des jugements rendus par les tribunaux. «Seules deux personnes dont je ne citerai pas les noms ont prétendu avoir des droits dans l’immeuble. Et l’une d’elles y possédait un bureau électoral (lors du scrutin de 1996)», dit-il.
M. Wakim revient à la charge en reprochant à M. Tabbarah «de se ranger à l’avis de Solidere». «Le ministre a fait état de jugements sans nous donner des détails et sans nous fournir des dates. Je vais lui répondre dates à l’appui», précise-t-il. Il énumère alors une série de jugements rendus par les tribunaux en faveur des habitants de l’immeuble. Il révèle être une des deux personnes mentionnées par le ministre. «Quand Solidere a voulu démolir l’immeuble, a-t-il dit, les habitants m’ont contacté. Je leur ai dit qu’il fallait qu’ils s’adressent aux autorités compétentes et je leur ai conseillé d’accrocher une banderole électorale portant mon nom». Cette fois, la réponse aux propos de M. Wakim ne vient pas d’un membre du gouvernement mais d’un de ses collègues, M. Chaker Abou Sleimane. «Cette affaire est devant les tribunaux et ne concerne pas le Parlement», dit-il. «La Chambre est concernée par tous les dossiers», lui rétorque le président Berry. Le député du Metn se lance alors dans un long exposé expliquant que les tribunaux ont rendu 40 jugements dans l’affaire de l’immeuble Khayat et que les habitants ont reçu des indemnités. «Il est cependant vrai que les cas de trois personnes n’ont toujours pas été réglés», indique-t-il. A cette instant, M. Tabbarah intervient: «Les jugements des tribunaux ne doivent pas être examinés à la Chambre, de même que les lois adoptées par le Parlement ne doivent pas être étudiées par les tribunaux. La justice est un pouvoir indépendant». «Les prérogatives du Parlement sont larges, mais il est inacceptable d’intervenir dans les affaires de la justice. Cependant, nous réagirons à chaque fois qu’il y a une situation contradictoire avec les lois en vigueur», répond M. Berry.

Economie et finance

L’ordre revient dans l’hémicycle pendant un long moment après ce vif échange. Les débats qui suivent portent essentiellement sur des questions économiques et financières, une occasion en or pour le gouvernement et les députés de réaffirmer leurs positions bien connues, surtout lorsque la discussion tourne autour des bons du Trésor soulevée par M. Hoss.
Le débat s’anime à nouveau quand l’affaire du Conseil économique et social est abordée (également par M. Hoss). Pour M. Boutros Harb, la formation de cet organisme aura sans doute une contribution essentielle dans la baisse des tensions sociales dans le pays. M. Hussein Husseini estime que le gouvernement n’a nullement l’intention de former ce Conseil. M. Antoine Haddad propose d’abolir cet organisme puisque de toute façon, «sa fonction n’est que consultative».
Jusqu’à 14h15, heure de la levée de la séance, la plupart des interpellations sont axées sur des questions économiques, financières et administratives concernant les taxes douanières sur les voitures, les procédures utilisées pour recruter, à titre contractuel, des fonctionnaires et l’adjudication des travaux de nettoyage des réservoirs de mazout de Zahrani.
M. Wakim évoque une nouvelle fois la question de la location d’une parcelle de terrain appartenant à la direction des chemins de fer à une compagnie de transport privée, qualifiant cette transaction d’«illégale».
C’est pendant la séance nocturne que les dossiers épineux des grandes orientations économiques du gouvernement, de la liberté de l’information, du droit à manifester et de l’indépendance de la justice sont évoqués. Pendant plus de cinq heures, le gouvernement subit des attaques répétées de la part des opposants et c’est M. Zaher el-Khatib qui mène la première charge.
M. Khatib refuse de lire son interpellation tant que M. Hariri n’aura pas gagné l’hémicycle. Dès que le chef du gouvernement s’installe confortablement sur son siège, le député commence une critique méthodique de toute la politique sociale et économique du gouvernement. Il déplore «le manque de sérieux de M. Hariri qui aborde les questions cruciales avec beaucoup de légèreté et de provocation». M. Khatib dénonce la dilapidation des fonds publics sur des projets «improductifs», le gaspillage, les gigantesques chantiers qui absorbent des sommes colossales sans que cela ne serve les intérêts des plus démunis. «Comment se fait-il que le chef du gouvernement reconnaisse en personne l’existence d’une crise dans le pays et s’entête à ne pas revoir ses priorités et à poursuivre sur la même voie?», dit-il.
M. Hariri prend ensuite la parole pour rappeler les progrès réalisés «sur tous les plans» depuis 1992. Il souligne notamment la stabilisation de la monnaie nationale, la baisse de l’inflation, l’amélioration de l’état de l’infrastructure... Mais ces arguments ne convainquent pas M. Khatib qui reproche au chef du gouvernement de répondre toujours aux députés «par des généralités».
Le climat s’échauffe lorsque M. Boutros Harb évoque l’affaire d’un accident de la route mortel qui a fait six morts libanais tués par un chauffard syrien qui devait ensuite être libéré. «Comment se fait-il que cet homme, responsable de la mort de six personnes, ait pu être remis en liberté? Aujourd’hui il a regagné son pays et cela sera plus difficile pour le retrouver et le convoquer», dit-t-il.
M. Harb aborde ensuite la question des libertés. Reprenant une déclaration du ministre Sleimane Frangié mardi dernier, le député accuse le gouvernement de vouloir interdire définitivement les programmes politiques sur les télévisions privées, et Télé-Liban d’être partiale dans la distribution de ses temps d’antenne. «M. Frangié a affirmé que l’affaire de l’interview du général Michel Aoun (prévue dimanche dernier sur les écrans de la MTV) était planifiée depuis le début dans le but de provoquer une crise et un affrontement pour interdire les programmes politiques dans toutes les télévisions. Le ministre a indiqué qu’il était opposé à ce genre d’agissements», dit-il. M. Harb s’insurge aussi contre la censure préalable pratiquée sur les émissions diffusées par satellite en dépit d’un jugement du Conseil d’Etat estimant que cette mesure est contraire aux lois.
Avec son éloquence habituelle, le ministre de l’Information, M. Bassem el-Sabeh, explique, sans convaincre les députés, les circonstances de l’affaire Michel Aoun. Il assure qu’aucune censure préalable n’a été pratiquée, précisant qu’il avait exprimé à la direction de la MTV le «souhait» que l’interview en question ne soit pas diffusée. «Je tiens à démentir catégoriquement les propos attribués à M. Frangié et à assurer qu’il n’est absolument pas question d’interdire les émissions politiques», dit-il. Concernant la censure préalable sur les satellites, il précise que cette mesure vise à «préserver les relations extérieures du Liban». M. Hariri soulève aussi les mêmes arguments. Mais les députés ne se laissent pas convaincre. MM. Camille Ziadé et Hussein Husseini et Mme Nayla Moawad repartent à l’attaque en condamnant les velléités du gouvernement à vouloir contrôler les libertés publiques.
Il est près de 23 heures lorsque la présidence de la Chambre décide de regrouper sept interpellations de M. Wakim relatives principalement à Solidere, à la situation de la justice, au comportement des forces de l’ordre durant les élections syndicales, à l’octroi d’un permis à la chaîne de télévision MBC, et à la mise sur écoute des téléphones cellulaires. Les réponses fournies par le gouvernement laissent le député sur sa faim. M. Wakim s’étonne notamment de ce qu’une salle de tribunal puisse être aménagée dans l’immeuble Concorde aux fins de trancher les litiges entre Solidere et les propriétaires de biens-fonds. M. Tabbarah rappelle que des juges des référés ainsi que des magistrats s’occupant de questions relatives à l’état-civil et aux infractions au Code de la route, avaient été installés en 1992 dans deux étages loués dans l’immeuble en question à l’époque où le passage entre les deux parties de Beyrouth étaient difficiles. Il précise que depuis l’année dernière, seuls les juges s’occupant des infractions au Code de la route occupent ces locaux dans la mesure où la loi leur permet de juger n’importe où et pas nécessairement dans une salle de tribunal.
Il expose ensuite les circonstances dans lesquelles les deux responsables syndicaux Elias Abou Rizk et Yasser Nehmé avaient été poursuivis en justice et arrêtés, soulignant que toute la procédure était conforme aux règles. M. Tabbarah rejette les accusations du député précisant qu’il compte élaborer un projet de loi considérant comme un crime toute atteinte à l’autorité judiciaire. Un débat s’ensuit entre le député et le ministre accusé par M. Wakim d’avoir déformé ses propos. Le député de Beyrouth insiste sur le point selon lequel les hommes politiques exercent des pressions sur l’autorité judiciaire. C’est M. Harb qui tranche en déplorant le fait qu’on puisse donner l’impression à l’opinion publique de vouloir mettre la justice au banc des accusés. «Cela n’est pas notre but. Notre but est de libérer la justice d’autant que nous avons d’excellents magistrats», dit-il.
M. Michel Murr doit ensuite intervenir à deux reprises pour répondre aux accusations de M. Wakim concernant l’interdiction des manifestations. Il répète l’argumentation qu’il avait développée la veille, soulignant que le gouvernement redoute qu’Israël n’exploite des mouvements de protestation internes pour semer les troubles dans le pays. «Nous n’avons pas les moyens d’encadrer une manifestation et d’en assurer la sécurité. Que se passerait-il si une balle est tirée d’un toit?». M. Wakim contre-attaque: «Pourquoi n’avez-vous pas les mêmes craintes lorsqu’un responsable organise un rassemblement? Interdiriez-vous un meeting que convoquerait le leader d’une communauté, comme M. Walid Joumblatt? Pourquoi n’aviez-vous pas empêché le festival que le mouvement «Amal» avait organisé à Baalbeck, alors que vous aviez interdit un petit rassemblement que le Collectif des municipales voulait organiser dans une salle fermée au Long Beach?».
M. Murr précise ensuite que les FSI avaient pour seul ordre d’assurer la sécurité des élections syndicales et qu’elles avaient seulement fait sortir du bureau de vote les syndicalistes dont le nom ne figurait pas sur la liste d’électeurs. Il critique de nouveau «L’Orient-Le Jour» pour avoir publié le rapport du barreau sur la situation des droits de l’homme, rejetant la teneur du texte et estimant qu’il porte atteinte à la réputation du Liban.
La séance est levée peu après minuit. Faute de quorum, il n’est pas possible de donner suite à la requête de M. Wakim qui voulait que le gouvernement pose la question de confiance ou à celle de M. Pierre Daccache qui souhaitait une commission d’enquête parlementaire au sujet des permis accordé aux médias. La Chambre se réunira de nouveau aujourd’hui pour étudier une série de textes de lois inscrits à son ordre du jour et principalement le projet de loi sur les municipales.
«Il y a une volonté du gouvernement d’interdire les programmes politiques sur les télévisions privées», accusent les opposants. «Cela est absolument hors de question», se défend le gouvernement. Les questions de la liberté de l’information et de l’indépendance de la justice étaient au centre de la séance d’interpellations dont la partie nocturne s’est...