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Actualités - OPINION

Des ennemis en or

Pire qu’un crime, une faute: comment qualifier autrement le coupable mépris des lois, mais aussi l’incommensurable stupidité dont viennent de faire preuve les responsables dans «l’affaire MTV»?
Que Michel Aoun soit l’ardent patriote que continuent de voir en lui ses fidèles ou bien l’aventurier mégalomane que dépeignent ses détracteurs, là n’est pas la question; là n’est plus la question depuis que l’affaire a été tranchée sur le terrain, puis définitivement classée, croyait-on, à l’aide d’une mesure d’exil absolument sans précédent depuis l’ère de la domination ottomane. Des années plus tard, il faut bien constater que le débat est loin d’être clos. Que cela nous plaise ou non n’a rien à y voir, une fois de plus: parce que nous continuons en principe de vivre en démocratie, parce que même les fossoyeurs de celle-ci ne se résignent pas (pas encore?) à se débarrasser d’un label qui colle de moins en moins à la réalité, chacun est libre de ses opinions dès lors que celles-ci s’expriment par des voies, elles aussi, démocratiques. Le pouvoir étant tenu, quant à lui — et toute la question est là — de préserver ces voies, de les garder praticables: non de les ensabler, de les barrer, de les murer l’une après l’autre comme il s’obstine à le faire, à l’ombre de la paix civile retrouvée.
S’il est encore des Libanais qui n’ont pas oublié Michel Aoun, ou d’autres protagonistes d’une période noire dont la seule évocation suscite pourtant l’horreur de tous, c’est surtout parce que l’après-guerre n’a pas tenu ses promesses; et que les gouvernants ont menti sur toute la ligne sans jamais parvenir à régler un grave et congénital problème de crédibilité. Serions-nous donc irrémédiablement condamnés à la démesure? Autant en effet la «guerre de libération» puis celle d’«élimination», prônée par l’un, s’est avérée suicidaire, autant l’aliénation servile et le suivisme zélé des autres sont, chaque jour un peu plus, dans la pratique, la négation même du noble objectif proclamé sur tous les tons: la réédification d’un Liban souverain, d’un Etat des institutions, d’un Etat de droit, au sein duquel seraient satisfaites au mieux les aspirations de toutes les communautés.
L’indépendance? De se borner à la célébrer tous les ans, avec un faste aussi déplacé que tapageur, ne risque plus de tromper même les élèves de maternelle. Les institutions? Regardez-les gripper et péricliter à peine rodées, au terme d’une laborieuse «réforme» constitutionnelle. L’harmonie communautaire? Bancale, tronquée, dès lors qu’un groupe historiquement essentiel du pays, les maronites, se voit systématiquement dénier — mascarade d’élection après mascarade d’élection — toute possibilité de se doter de leaderships nouveaux, réellement représentatifs. Le droit des gens à une vie digne et décente? Il est bafoué tous les jours (même les manifestations à caractère social sont sauvagement réprimées) au profit d’un club de puissants: lesquels, de surcroît, et en ces temps de crise économique, n’ont pas la fortune bien discrète. En tout état de cause, et tant qu’à parler de droit, les pillards du jour n’ont certes pas celui d’accuser périodiquement leurs prédécesseurs bannis d’avoir puisé dans la caisse: accusations purement verbales d’ailleurs, c’est-à-dire non assorties de poursuites judiciaires formelles, car l’on aurait imprudemment créé de la sorte un dangereux précédent...
La loi, on ne se fait pas faute de la brandir bruyamment face aux faibles, aux citoyens ordinaires, aux sans-pistons; quant au reste, elle est régulièrement contournée, carrément ignorée ou alors «légalement» neutralisée, sous prétexte de «circonstances particulières»: lesquelles — comble de l’aberration — se trouvent laissées à la libre appréciation du gouvernant. A quoi servent donc les textes constitutionnels — ceux garantissant les libertés notamment — quand ils peuvent être manipulés à loisir par ceux qui en sont théoriquement les gardiens? Quel est le gouvernant qui se priverait alors d’invoquer, lui aussi, des «circonstances particulières» ouvrant la porte à tous les abus? Quel ersatz de système politique est-on en train de nous forger tantôt sournoisement, et tantôt au grand jour? Où enfin peut s’arrêter l’arbitraire, dès lors qu’il tend à devenir la règle?
Comme si tout cela n’était pas déjà assez, l’Etat semble trouver un masochiste plaisir à entretenir ses propres cauchemars. A s’échiner à gonfler lui-même, à force de maladresses, la stature de l’Epouvantail. En interdisant Michel Aoun d’antenne, on aura amplifié au centuple l’audience qu’il pouvait raisonnablement escompter. Pire, la république aura été amenée à afficher sa peur panique d’un discours aux thèmes pourtant bien connus, banalisés presque par l’œuvre du temps, par la perpétuation des faits accomplis. Aveu de frayeur, aveu de faiblesse: c’est bien ce qui peut arriver de plus catastrophique à tout Etat, qu’il soit ou non fait de carton-pâte; à la limite, on aurait très bien pu exiger en effet — et obtenir — que la terrifiante émission de Maguy Farah soit assortie, en duplex, d’un ou de plusieurs contradicteurs officiels.
Au lieu d’un tel pis-aller, voilà que l’Etat se retrouve avec, sur les bras: une infamante tentative d’institution de la censure préalable en matière d’audiovisuel; un Barreau en grève pour la défense des libertés publiques menacées; des universités mises en ébullition là où il n’y avait qu’un inoffensif sit-in, sanctionné néanmoins par des brutalités policières et des arrestations; le spectacle d’un incroyable cafouillis entre ministères de l’Information et de l’Intérieur puis celui, encore plus désolant, du ping-pong judiciaire entre instances civiles et militaires se rejetant, comme morceau de braise, la compétence en la matière; et last but not least, une fronde parlementaire, une effervescence politique dont les auteurs pourtant, dans leur quasi-totalité, sont bien peu suspects de sympathie pour le général: lequel se trouve aujourd’hui comblé au-delà de toute espérance.
Une fois de plus, une fois pour toutes, ces quelques lignes ne se veulent pas un plaidoyer pour l’exilé «de jure» (?) Michel Aoun. Ou pour l’exilé de facto Amine Gemayel qui, dans la plus pure tradition mafieuse, s’est vu charitablement conseiller de ne pas rentrer au pays, où sa sécurité personnelle posait problème en effet. Ou bien encore pour Samir Geagea expédié, lui, dans les profondeurs abyssales du Pentagone local. La préoccupation essentielle des Libanais de tous bords est, aujourd’hui, la sauvegarde d’un minimum de libertés publiques proprement vital pour un pays comme le leur. Les responsables nous le doivent, et tous les chantiers de reconstruction de la terre ne pourront jamais servir de palliatifs. Ils le doivent à une jeunesse née avec la guerre, grandie dans le chaos et qui se retrouve aujourd’hui sous la coupe d’assemblages politico-financiers peu dignes de son estime: de milices d’un nouveau genre d’autant plus haïssables qu’elles se prévalent, elles, d’une paix et d’une concorde souvent sommaires ou factices.
Aux jeunes du Liban, que l’on se décide enfin à proposer un modèle de société valable. Un modèle bien libanais dans ses traditions libérales. Une société qui serait nôtre.

Issa GORAIEB
Pire qu’un crime, une faute: comment qualifier autrement le coupable mépris des lois, mais aussi l’incommensurable stupidité dont viennent de faire preuve les responsables dans «l’affaire MTV»?Que Michel Aoun soit l’ardent patriote que continuent de voir en lui ses fidèles ou bien l’aventurier mégalomane que dépeignent ses détracteurs, là n’est pas la question; là...